Réponse du gouvernement du Canada au rapport de la Commission d’examen de la rémunération des juges de 2021
Le présent document constitue la réponse du gouvernement du Canada au rapport de la sixième Commission d’examen de la rémunération des juges, remis au ministre de la Justice le 30 août 2021. Cette réponse est présentée en application du paragraphe 26(7) de la Loi sur les juges.
Le gouvernement souhaite remercier la présidente de la Commission, Mme Martine Turcotte, et les deux membres qui y prennent part à nouveau, Mme Margaret Bloodworth et M. Peter H. Griffin, pour leur engagement dans le cadre de cet important mécanisme d’intérêt public. Ils ont rempli leurs exigeantes responsabilités selon une approche réfléchie et rigoureuse, en accordant une grande attention aux participants et au processus, comme en témoigne leur analyse poussée de la preuve portée à leur connaissance et des observations des participants. Qui plus est, ils l’ont fait tout en gérant un processus qui était définitivement marqué par les effets de la pandémie de COVID-19. Dès sa nomination, la Commission a commencé par évaluer puis accepter la demande conjointe du gouvernement et de la magistrature (y compris les protonotaires de la Cour fédérale) visant à reporter le début de ses travaux au 1er décembre 2020, alors qu’il était prévu pour le 1er juin 2020. Les participants étaient reconnaissants à la Commission d’avoir exercé son pouvoir à cet égard en vertu du paragraphe 26(3) de la Loi sur les juges. En acceptant cette demande de report, la Commission a reconnu les « perturbations à l’administration de la justice et à l’accès aux lieux de travail, associées à la nécessité pour les parties de présenter au mieux leurs positions respectives devant la Commission pour l’aider dans ses travaux » (Décision concernant la demande de report de la date d’ouverture du 1er juin 2020).
Ce report n’était qu’un des aspects sans précédent de ces travaux de la Commission. Toutes les étapes du processus se sont déroulées à distance, y compris les deux journées d’audience, tenues en mai 2021, qui ont été diffusées pour la première fois sur YouTube, ce qui représentait une reconnaissance implicite de l’intérêt public que revêt ce processus et démontrait la détermination à en tenir compte. Le gouvernement salue la souplesse et le soin consciencieux dont ont fait preuve les membres de la Commission et les personnes qui les ont appuyés dans leur examen de plusieurs mois, malgré l’incertitude et l’imprévisibilité suscitées par la pandémie.
Contexte
Ceci est la réponse du gouvernement au sixième processus complet de la Commission d’examen de la rémunération des juges, établie en 1999 conformément à des modifications à la Loi sur les juges qui étaient entrées en vigueur peu de temps auparavant. Dans chacune de ses réponses, y compris celle adressée à la Commission de 1999, le gouvernement présente un aperçu du contexte dans le cadre duquel la rémunération des juges est établie. Il juge à nouveau utile de le faire, non pas en guise de routine, mais plutôt pour mettre volontairement l’accent sur l’objet du processus. La Commission d’examen de la rémunération des juges incarne une des protections issues du principe constitutionnel d’indépendance du pouvoir judiciaire, que la Cour suprême du Canada considère comme « l’élément vital du caractère constitutionnel des sociétés démocratiques » et comme un principe fondamental pour préserver la confiance du public dans l’administration de la justice (La Reine c. Beauregard, [1986] 2 R.C.S. 56, à la p. 70).
Sur le plan fédéral, l’article 100 de la Loi constitutionnelle de 1867 exige que le Parlement, plutôt que l’exécutif, détermine la rémunération des juges des cours supérieures (ce qui comprend le traitement, les indemnités et la pension). La rémunération de ces juges est énoncée dans la Loi sur les juges; depuis 2014, cette loi précise aussi la rémunération des protonotaires de la Cour fédérale, officiers de justice auxquels s’appliquent aussi les protections liées à l’indépendance du pouvoir judiciaire.
Dans le Renvoi relatif à la rémunération des juges de la Cour provinciale de l’Île-du-Prince-Édouard (Î.-P.-É.), [1997] 3 R.C.S. 3, la Cour suprême du Canada a établi qu’une commission « indépendante, efficace et objective » devait examiner le caractère adéquat de la rémunération des juges avant qu’il y soit apporté des changements.
Le paragraphe 26(1) de la Loi sur les juges prévoit l’établissement de la Commission d’examen de la rémunération des juges tous les quatre ans. La Commission est chargée d’examiner si les traitements, les autres prestations et les avantages pécuniaires consentis aux juges de nomination fédérale ainsi qu’aux protonotaires de la Cour fédérale sont « satisfaisants », et de faire des recommandations à cet égard. Selon le paragraphe 26(1.1) de la Loi sur les juges, le caractère satisfaisant de ces éléments de rémunération doit être examiné au regard des critères suivants :
- l’état de l’économie au Canada, y compris le coût de la vie ainsi que la situation économique et financière globale du gouvernement;
- le rôle de la sécurité financière des juges dans la préservation de l’indépendance judiciaire;
- le besoin de recruter les meilleurs candidats pour la magistrature;
- tout autre facteur objectif qu’elle considère comme pertinent.
La Commission doit remettre un rapport au ministre de la Justice dans les neuf mois qui suivent le commencement de ses travaux (par. 26(2)), et le gouvernement doit donner suite publiquement au rapport et aux recommandations de la Commission au plus tard quatre mois après les avoir reçus (par. 26(7)).
La Commission actuelle (la « Commission Turcotte ») a commencé ses travaux à la date reportée du 1er décembre 2020, et elle a remis son rapport au ministre de la Justice le 30 août 2021. Ce rapport comporte huit recommandations : trois concernant le traitement des juges (recommandations 1-3), quatre concernant des indemnités existantes ou proposées à l’intention des juges ou des protonotaires (recommandations 4-7), et une dernière recommandation concernant la collecte de données en prévision des travaux de la septième Commission, qui sont censés commencer le 1er juin 2024 selon la Loi sur les juges (recommandation 8). La liste complète des recommandations de la Commission est annexée à la présente réponse.
Réponse du gouvernement
Le gouvernement accepte toutes les recommandations de la Commission Turcotte. Comme expliqué plus en détail ci-dessous, le gouvernement profite de l’occasion pour faire des observations et des commentaires non seulement sur les questions dont la Commission a traité expressément dans ses recommandations, mais aussi sur d’autres éléments qui se sont présentés pendant ses travaux.
Traitement (recommandations 1-3)
La Commission a tenu compte des traitements réels au 1er avril 2021 dans sa recommandation 3. En ce qui concerne les traitements en particulier, elle a recommandé que les « traitements des juges continuent à être rajustes annuellement en fonction des hausses de l’indice de l’ensemble des activités économiques (IEAE), conformément au paragraphe 25(2) de la Loi sur les juges ». Cette recommandation suit la pratique d’indexation annuelle déjà prévue par la loi, en dépit des propositions aussi bien de la magistrature (à savoir des augmentations de traitement de 2,3 % pour la troisième et la quatrième années de la période de travaux de la Commission, en plus de l’indexation) que du gouvernement (soit un plafonnement à 10 % de l’indexation fondée sur l’IEAE, par rapport au traitement payable au 1er avril 2020). La Commission a effectué une analyse rigoureuse de la preuve qui lui avait été présentée, des origines de l’indexation selon l’IEAE et de son rôle continu par rapport à la rémunération des juges. Elle a réitéré ce que la Commission Rémillard de 2015 avait déclaré, à savoir que l’« IEAE était garant que la rémunération annuelle des juges suivrait la progression de la rémunération annuelle du Canadien moyen » (par. 115), tout en reconnaissant que la « hausse singulièrement importante du 1er avril 2021 tient à ce que, à cause de la pandémie de la COVID-19, quelque 2,9 millions de travailleurs aient perdu leur emploi ou aient été licencies a printemps du 2020 » (par. 121).
La Commission a conclu par ceci : « Tenter d’en juguler les effets [de l’IEAE] en imposant des valeurs plafonds ou planchers autres que le maximum annuel de 7 % déjà prévu va à l’encontre de la politique qui sous-tend l’indexation et son application depuis 40 ans » (par. 127). En tout respect, le gouvernement est en désaccord avec l’idée, sous-entendue par la Commission, que l’actuel cadre légal régissant l’indexation selon l’IEAE est immuable. Le processus constitutionnel que représentent les travaux de la Commission se trouve justement à être le moyen approprié pour proposer d’autres possibilités, même si cela viendrait effectivement remettre en cause le plafonnement à 7 % que le Parlement avait jugé approprié en 1981. Le gouvernement respecte le fait que les membres de la Commission ont délibéré sur ces questions interreliées et les ont examinées consciencieusement, et il accepte la recommandation voulant que le fonctionnement de l’indexation demeure inchangé pour la présente période quadriennale (du 1er avril 2020 au 31 mars 2024).
La Commission a refusé de recommander une différence de traitement entre les juges d’appel et les juges de première instance comme l’avaient proposé des membres de la Cour d’appel du Québec. Le gouvernement accepte les motifs de la Commission à cet égard et rappelle qu’il est convaincu que, malgré leurs rôles qualitativement différents, les juges de première instance et les juges d’appel jouent un rôle tout aussi important l’un que l’autre et ont une valeur égale au sein du système judiciaire du Canada.
Indemnités (recommandations 4-7)
La Commission a fait des recommandations par rapport à trois indemnités distinctes, soit deux préexistantes et une nouvelle.
Indemnité pour les faux frais
À l’heure actuelle, tous les juges de nomination fédérale ont droit à une indemnité annuelle maximale de 5 000 $ pour « les faux frais non remboursables en vertu d’une autre disposition de la présente loi, qu’ils exposent dans l’accomplissement de leurs fonctions » (Loi sur les juges, par. 27(1)). Les protonotaires ont droit quant à eux à une indemnité maximale de 3 000 $ pour ces mêmes types de frais (par. 27(1.1)). Cette indemnité est administrée par le commissaire à la magistrature fédérale pour les protonotaires ainsi que pour les juges, sauf les neuf de la Cour suprême du Canada; pour ces derniers, l’indemnité est administrée par le registraire de la Cour suprême du Canada. Le commissaire et le registraire ont tous les deux publié des lignes directrices sur les principes à respecter à cet égard, soit l’optimisation des ressources, la responsabilisation, la transparence et le respect de l’indépendance judiciaire1. La magistrature a proposé de faire passer l’indemnité actuelle de 5 000 $ à 7 000 $, en évoquant la hausse globale du coût de la vie ainsi que l’évolution de la façon dont les fonctions judiciaires sont exercées depuis la dernière augmentation de cette indemnité, en 2000. Par exemple, les coûts de la technologie, qui s’est montrée plus nécessaire que jamais pendant la pandémie, n’entraient pas en ligne de compte il y a plus de 20 ans.
Les protonotaires ont demandé de leur côté que leur indemnité pour faux frais, actuellement plafonnée à 3 000 $, devienne égale à celle à laquelle les juges ont droit. Ils soutiennent que les types et les montants des dépenses concernées (p. ex. en technologie et en formation continue) sont les mêmes pour les juges et les protonotaires, et qu’aucune raison de principe ne justifie qu’ils n’aient pas droit aux mêmes indemnités pour faux frais.
La Commission a accepté les arguments présentés par la magistrature et les protonotaires, et a recommandé l’augmentation de l’indemnité à 7 500 $ par année pour tous les juges et les protonotaires. Elle a conclu plus particulièrement que les dépenses technologiques sont peu susceptibles de diminuer même si la pandémie s’estompe, et elle a fait remarquer que l’indemnité semblait utilisée de façon prudente, et que le commissaire à la magistrature fédérale et le registraire de la Cour suprême du Canada exerçaient un rôle de vérification à cet égard. Le gouvernement accepte les deux recommandations concernant l’indemnité pour faux frais en ce qui concerne les protonotaires (recommandation 4) et les juges (recommandation 5).
Indemnité pour frais de représentation
Le paragraphe 27(6) de la Loi sur les juges prévoit une indemnité pour les juges exerçant des fonctions de leadership au sein de leur cour (juges en chef, juges en chef adjoints ou juges principaux régionaux) ou au sein du système judiciaire en général (juges puînés de la Cour suprême du Canada). Cette indemnité peut servir à rembourser aux juges les frais qu’ils engagent lorsqu’ils représentent leur cour et présentent ce qu’elle fait, par exemple lorsqu’ils prononcent des allocutions ou donnent des conférences dans le cadre d’événements publics, ou lorsqu’ils prennent part à des réunions avec des membres de la magistrature d’autres pays. Comme dans le cas de l’indemnité pour faux frais, le paiement des indemnités pour frais de représentation s’effectue conformément aux lignes directrices établies par le commissaire à la magistrature fédérale ou par le registraire de la Cour suprême du Canada2, selon le cas, et ce sont ces derniers qui vérifient les demandes et effectuent les remboursements s’il y a lieu.
La Commission a accepté la preuve d’expert présenté par la magistrature, selon laquelle la valeur réelle de cette indemnité avait diminué au fil du temps, étant donné l’effet de l’inflation depuis que les montants maximaux ont été établis (en 2004 pour les juges principaux régionaux, et en 2000 pour tous les autres), ce qui justifiait la proposition d’augmentations. Elle a donc recommandé une augmentation des « maximums admissibles selon la loi par rapport à la progression du cout de la vie pendant les années écoulées depuis la fixation initiale de ces maximums » (par. 282). Le gouvernement accepte cette recommandation, dont il assurera la mise en œuvre en faisant apporter les modifications requises à la Loi sur les juges.
Indemnité pour soins médicaux
Le gouvernement a proposé la création d’une indemnité pour soins médicaux à l’intention des juges qui reçoivent une indemnité de vie chère pour le Nord au titre du paragraphe 27(2) de la Loi sur les juges, afin de rembourser les frais raisonnables de déplacement occasionnés par le recours non facultatif à un traitement médical ou dentaire. Le commissaire à la magistrature fédérale a noté la nécessité de ce type de soutien, et la Commission a manifesté son accord par la recommandation 7. Le gouvernement accepte cette recommandation et fera apporter les modifications législatives nécessaires pour créer cette indemnité, en s’inspirant de mesures de soutien similaires qui sont offertes aux fonctionnaires qui vivent en région éloignée. Cette nouvelle indemnité sera administrée par le commissaire à la magistrature fédérale.
Collecte de données (recommandation 8)
La Commission a fait une recommandation détaillée en ce qui concerne la collecte de données visant à aider la septième Commission à mieux évaluer le caractère adéquat de la rémunération des juges par rapport aux critères prévus par la loi (recommandation 8). Le gouvernement convient que les données mentionnées dans la recommandation sont pertinentes au regard du mandat que la loi confère à la Commission. En revanche, il constate que les données en question relèvent de divers organismes ayant différents mandats, et qu’il se pourrait donc qu’il demeure certaines limites aux données disponibles ou communicables. Le gouvernement est tout de même déterminé à donner suite à la recommandation de la Commission, en collaboration avec les autres participants au processus, à condition que ce soit approprié.
Statut surnuméraire pour les protonotaires de la Cour fédérale
Tant le gouvernement que les protonotaires ont fourni des renseignements à la Commission quant à la proposition de permettre à ces derniers d’exercer leur charge à titre surnuméraire, mais la Commission a préféré ne pas faire de recommandation en ce sens. Le gouvernement prend acte de l’observation de la Commission quant aux limites du mandat qui lui est conféré par la loi, et il respecte son point de vue. Cela dit, pour ce qui est de prévoir un statut surnuméraire pour les protonotaires, il tient à préciser les deux raisons pour lesquelles il avait néanmoins décidé de soumettre la question à l’attention de la Commission. Premièrement, il voulait l’informer qu’il avait donné suite à l’engagement qu’il avait pris, dans sa réponse à la Commission de 2015, de discuter de façon constructive avec le juge en chef de la Cour fédérale sur cette question. Les discussions à cet égard ont finalement mené à la décision du gouvernement de prendre des mesures afin de prévoir un statut surnuméraire pour les protonotaires.
Deuxièmement, le gouvernement prend très au sérieux la conclusion énoncée par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Conférence des juges de paix magistrats du Québec c. Québec (Procureure générale), 2016 CSC 39, [2016] 2 R.C.S. 116, à savoir que « lorsqu’une nouvelle charge est créée, la rémunération initiale qui y est rattachée doit être soumise à un comité » (par. 54). Étant donné le calendrier quadriennal des travaux de la Commission, le gouvernement a préféré soulever cette question avant de prévoir un statut surnuméraire pour les protonotaires, par respect pour la mise en garde de la Cour selon laquelle un examen rétroactif des conditions liées à une nouvelle charge judiciaire pourrait être constitutionnel, mais que le temps nécessaire « se calcule de façon générale en mois et non en années » (par. 56).
Cela étant, et compte tenu de sa décision de prévoir un statut surnuméraire pour les protonotaires, le gouvernement salue les observations positives de la Commission relativement à la proposition en ce sens. Le gouvernement est déterminé à faire adopter toutes les modifications législatives nécessaires à cet égard, en plus des autres modifications requises pour mettre en œuvre la présente réponse.
Conclusion
Le gouvernement prendra des moyens pour assurer la mise en œuvre des recommandations de la Commission en temps opportun, et faisant déposer les modifications nécessaires « dans un délai raisonnable », comme l’exige le paragraphe 26(7) de la Loi sur les juges. Il profite en outre de l’occasion pour remercier à nouveau la Commission de son engagement à servir l’intérêt public, comme en témoigne sa participation à cet important processus.
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