Le lien #42 … décembre 2014

Le Service de révision bijuridique de la Direction des services législatifs du ministère de la Justice tient à vous informer des plus récents développements en matière d’harmonisation et de bijuridisme.

International

Commentaire de l’OCDE sur le sens de « bénéficiaire effectif »

Le 15 juillet, le Conseil de l’OCDE a approuvé La mise à jour 2014 du modèle de convention fiscale de l’OCDE (la « mise à jour 2014 »). La mise à jour 2014 comprend de nouvelles directives sur le sens de « bénéficiaire effectif » par rapport aux revenus de dividendes, d’intérêts et de redevances.

Parmi les défis posés par l’interprétation de « bénéficiaire effectif » dans un contexte de conventions fiscales est la question de savoir si on doit lui donner un sens propre au droit interne ou au contexte internationalNote de bas de page 1. Cette question a été traitée dans plusieurs décisions fiscales, notamment dans les décisions canadiennes La Reine c. Prévost Car Inc., 2009 CAF 57 et Velcro Canada Inc. c. La Reine, 2012 CCI 57Note de bas de page 2. Le recours au sens propre au droit interne peut être problématique. Il peut créer de multiples interprétations dans le  réseau de conventions et pose de véritables difficultés dans les juridictions où le concept de « bénéficiaire effectif » est inconnu. Dans le contexte bijuridique canadien, ces difficultés se complexifient. Alors que le concept de « bénéficiaire effectif » a un sens dans les provinces et territoires de common law, il est inconnu en droit civil québécois.

La mise à jour  2014 est claire : l’expression « bénéficiaire effectif » doit être interprétée sans égard au sens attribué par le droit interne d’un pays. Le paragraphe 12.1 du commentaire relatif à l’article 10 (Dividendes) précise maintenant (les modifications sont indiquées en caractères gras) :

12.1 Étant donné que le terme « bénéficiaire effectif » a été ajouté pour résoudre les difficultés susceptibles de résulter de l’utilisation des termes « payés [...] à un résident » au paragraphe 1, il est censé être interprété dans ce contexte et ne pas faire référence à une quelconque signification technique qu’il aurait pu avoir selon le droit interne d’un pays donné (de fait, lorsqu’il a été ajouté au paragraphe, ce terme n’avait pas de signification précise dans le droit de nombreux pays). Par conséquent, le terme « bénéficiaire effectif » n’est pas utilisé dans une acception étroite et technique (comme le sens que lui attribue le droit des fiducies de nombreux pays de common law), mais doit être entendu dans son contexte, et notamment en lien avec les mots « payés [...] à un résident », et à la lumière de l’objet et du but de la Convention, notamment pour éviter la double imposition et prévenir l’évasion et la fraude fiscales.Note de bas de page 3

Il est intéressant aussi de noter que le paragraphe 12.1 tel que modifié n’inclut plus l’énoncé qui apparaissait dans le projet de paragraphe 12.1 publié en 2011 et qui mentionnait que le sens propre au droit interne pourrait toujours être pertinentNote de bas de page 4.

Le Commentaire révisé relatif à l’article 10 fournit d’autres éclaircissements sur le sens de l’expression « bénéficiaire effectif » :

Jurisprudence

Rectification : une évolution du droit civil motivée par la fiscalité

Dans Agence du revenu du Québec c. Services environnementaux AES inc. et Agence du revenu du Québec c. Riopel (2013 CSC 65), la Cour suprême du Canada a rejeté les appels de deux décisions de la Cour d’appel du QuébecNote de bas de page 7 qui permettaient aux contribuables de modifier leurs documents afin d’éviter des incidences fiscales imprévues.

Dans cet arrêt, le juge Lebel remarque que la preuve présentée par les contribuables à l’appui de leurs demandes de rectification n’était pas contestée (para [26]) et résume le cadre juridique applicable au Québec en matière de rectification en ces termes :

[52] Le fondement de cette intervention se trouvait en définitive dans les règles fondamentales du droit des contrats, lequel repose sur le principe du consensualisme et retient la distinction fondamentale entre l’échange des consentements et son expression écrite. Le droit de la preuve civile du Québec conforte cette distinction entre volonté interne — ou intention véritable — et volonté déclarée. Par exemple, si ce droit accorde une force particulière à la valeur probante de l’acte authentique, il admet néanmoins l’existence d’une procédure, l’inscription de faux, qui permet de l’attaquer. Par cette procédure, le tribunal peut rectifier un acte dans lequel l’officier public chargé de sa réception, par exemple le notaire, aurait inséré des déclarations erronées. On reconnaît maintenant qu’un tribunal peut corriger un tel acte pour le rendre conforme à la volonté des parties (P.-Y. Marquis, « L’inscription de faux et la correction des actes notariés » (1990), 92 R. du N. 407, p. 426). L’acte sous seing privé constitue lui aussi une forme d’expression de la volonté commune. S’il est entaché d’erreur, notamment une erreur imputable comme ici au conseiller professionnel du contribuable, une fois cette erreur établie conformément aux règles de la preuve civile, le tribunal doit la constater et faire en sorte qu’on y remédie. En droit civil, le fisc ne possède pas de droit acquis au bénéfice d’une erreur que les parties à un contrat auraient commise, puis corrigée de consentement mutuel.

Toutefois, la Cour suprême avertit également les contribuables :

[54] […] En effet, les contribuables ne devraient pas interpréter cette reconnaissance de la primauté de la volonté interne — ou intention commune — des parties comme une invitation à se lancer dans des planifications fiscales audacieuses, en se disant qu’il leur sera toujours possible de refaire leurs contrats rétroactivement en cas d’échec de ces planifications. L’intention d’un contribuable de réduire ses obligations fiscales ne saurait à elle seule constituer l’objet de l’obligation au sens de l’art. 1373 C.c.Q., compte tenu de son caractère insuffisamment déterminé ou déterminable, ni même l’objet du contrat au sens de l’art. 1412 C.c.Q. En l’absence d’un objet plus précis et mieux défini, aucun contrat ne se serait formé.

Par ailleurs, la Cour souligne également certaines réalités de l’environnement bijuridique canadien. Tout d’abord, le rôle des tribunaux lorsqu’ils traitent des questions de droit privé qui touchent la législation fiscale fédérale. Le juge Lebel écrit :

 [43] […] on ne saurait court-circuiter les voies d’appel particulières établies par le Parlement dans le domaine fiscal […] Ce principe signifie que les tribunaux saisis d’une contestation relative à des aspects civils d’une transaction ayant des implications fiscales ne peuvent statuer sur les avis de cotisation et les avis d’opposition établis ou déposés à l’égard de cette transaction. Il appartiendra plutôt aux juridictions déclarées compétentes en la matière de se prononcer sur la validité et les effets de cet avis, s’il y a lieu de le faire. Il leur reviendra aussi d’évaluer les conséquences des jugements rendus par les cours civiles au sujet des opérations à l’origine des avis de cotisation.

Dans ce contexte, il est intéressant de remarquer que la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta a récemment reconnu son droit d’interpréter la Loi de l’impôt sur le revenu (Canada)Note de bas de page 8. D’autres cours ont parfois refusé de traiter des questions de droit privé soulevées dans le cadre d’un litige fiscalNote de bas de page 9.

Le juge Lebel décrit également la position des autorités fiscales (tant fédérales que provinciales) du point de vue du droit fiscal et de celui du droit privé provincial :

[45] […] En droit civil proprement dit, le fisc peut aussi établir qu’il y a eu simulation et démontrer la nature réelle de transactions qu’il prétend être factices. De plus, les lois fiscales peuvent, pour leurs propres fins, requalifier des opérations contractuelles ou économiques en mettant de côté les catégories juridiques établies par la common law et le droit civil. Sous réserve de telles situations, toutefois, le droit fiscal vise des opérations régies par la common law ou le droit civil, dont les règles en déterminent la nature et les conséquences juridiques.

AES est une décision importante, tant sur le plan du droit civil que pour l’application de la législation fédérale. Avant le jugement de la Cour suprême, une auteure avait déjà dit : « Quelle que soit la décision du tribunal, elle constituera sans doute l’une des décisions historiques relativement à l’interaction entre la pratique du droit fiscal et les autres cadres législatifs »Note de bas de page 10. À la lumière de la décision dans AES, l’appel d’une autre décision de Québec en matière de  rectification, Mac’s Convenience Stores inc. c. Couche-Tard, procéderaNote de bas de page 11. La date d’audience est fixée au 24 mars 2015.

La Cour suprême du Canada : une « institution fédérale et bijuridique »

Dans le Renvoi relatif à la Loi sur la Cour suprême, art. 5 et 6 2014 CSC 21, la Cour suprême a souligné l’importance du bijuridisme canadien et l’influence – passée et présente – de celui-ci sur la composition de la plus haute instance du Canada.

Au sujet de la garantie initiale selon laquelle deux des cinq juges de la Cour doivent provenir du Québec, la Cour affirme :

[55] Les députés du gouvernement comme ceux de l’opposition ont considéré que l’attribution de deux postes de juge (un tiers) au Québec était un moyen d’assurer non seulement le bon fonctionnement, mais aussi la légitimité de la Cour suprême en tant qu’institution fédérale et bijuridique.

Quant à l’évolution des pouvoirs de la Cour et à son rôle en matière de droit privé, on peut lire :

[85] À la suite de l’abolition des appels au Comité judiciaire du Conseil privé, […] [l]a Cour a assumé un rôle vital en tant qu’institution faisant partie du système fédéral. Elle est devenue l’arbitre ultime des litiges sur le partage des compétences et devait désormais juger en dernier ressort les questions de droit public et de droit provincial en matière civile. Grâce à l’expertise de ses juges issus des deux traditions juridiques du Canada, la Cour a veillé à ce que la common law et le droit civil évoluent côte à côte, tout en conservant leur caractère distinctif. La Cour est ainsi devenue essentielle au fonctionnement des systèmes juridiques dans chaque province et, plus généralement, au développement d’un système juridique canadien cohérent et unifié.

En concluant que les dispositions visant la composition de le Cour bénéficient d’une protection constitutionnelle, la Cour a observé que :

[93] Il ne faut pas s’étonner que l’al. 41d) ait accordé une protection spéciale à la composition de la Cour suprême du Canada. En effet, on reconnaît depuis longtemps son importance cruciale pour le fonctionnement efficace de la Cour et sa légitimité institutionnelle en tant que cour d’appel de dernier ressort au Canada. Comme nous l’avons expliqué, l’entente essentielle qui a permis la création de la Cour suprême portait sur la garantie qu’un nombre relativement important des juges proviendraient d’institutions liées au droit civil et à la culture du Québec. L’objectif de garantir que la tradition juridique distincte du Québec soit représentée à la Cour demeure tout aussi important de nos jours et touche la compétence, la légitimité et l’intégrité de la Cour.

[…]

[104] Tout changement dans la composition de la Cour doit être fait conformément à l’al. 41d) de la Loi constitutionnelle de 1982. Le paragraphe 4(1) et les art. 5 et 6 de la Loi sur la Cour suprême codifient la composition de la Cour suprême du Canada et les conditions de nomination de ses juges telles qu’elles existaient en 1982. L’article 6 est particulièrement pertinent, car il reflète le caractère bijuridique de la cour et représente l’élément clé de l’entente historique qui a permis la création de la Cour suprême. Rappelons que la garantie qu’un tiers des juges de la Cour proviendraient du Québec assurait que la Cour posséderait une expertise en droit civil et que les traditions juridiques et valeurs sociales du Québec y seraient représentées, et renforçait la confiance du Québec envers la Cour.

Même le juge Moldaver, dissident, a reconnu que : « La coexistence de deux systèmes juridiques distincts au Canada — le système de droit civil au Québec et le système de common law ailleurs — constitue une caractéristique unique et fondamentale de notre pays » (par [113]).

Nouvelles de l’ARC

Les biens d’une société de personnes attribués  aux associés pour les besoins d’un traité fiscal

L’article XIII de la Convention fiscale entre Canada et la République de Singapour prévoit que : « Les gains provenant de l’aliénation d’actions d’une société ou de l’aliénation d’une participation dans une société de personnes (partnership) ou dans une fiducie (trust), dont les biens sont composés principalement de biens immobiliers, tels qu’ils sont définis au paragraphe 2 de l’article VI, sont imposables dans l’État contractant où ces biens sont situées ».

Dans un récent avisNote de bas de page 12, l’Agence du revenu du Canada (ARC) se prononçait sur  le traitement fiscal d’un gain en capital réalisé par un résident de Singapour lors de la dispostion des actions d’une société résident au Canada (Canco). Au moment de la vente des actions, Canco détenait des participations dans deux sociétés de personnes canadiennes créées sous le régime du Code civil du Québec, les biens des sociétés de personnes étant composés de biens immobiliers situés au Canada.

L’ARC était d’avis que : « la meilleure position en l’espèce est de considérer que SEC et SENC ne constituent pas des personnes distinctes aux fins de l’application de la Convention et que leur patrimoine respectif peut être assimilé à celui de leurs membres ». En conséquence, les biens de Canco sont composés principalement de biens immobiliers situés au Canada, et le gain réalisé lors de la disposition des actions de Canco est imposable au Canada.  

Législation

Version anglaise du Code civil du Québec : 1 580 articles modifiés

Dans une note d’information du 1er mai 2014, on signalait que 1 580 articles de la version anglaise du Code civil du Québec « ont été l’objet de corrections visant l’uniformité de la terminologie, la qualité de la langue et des corrections mineures de concordance entre les versions française et anglaise »Note de bas de page 13. Quelques corrections à la version française ont également été apportées.

Ces modifications ont été apportées, car le ministre de la Justice a comme mandat la mise à jour des lois et règlements intégrés dans le Recueil des lois et des règlements du Québec. Plus précisément, les modifications actuelles visent à « corriger les erreurs manifestes de référence, de saisie, de transcription ou de semblable natureNote de bas de page 14 ».

Une version à jour du Code civil est disponible sur le site web de Publications Québec. Les mentions « N.I. 2014-05-01 » en français, et « I.N. 2014-05-01 » en anglais, signalent les modifications du 1er mai.

Une nouvelle loi sur les testaments et les successions en C.-B.

La loi intitulée Wills, Estates and Succession Act, RSBC 2009, c 13 est entrée en vigueur le 31 mars 2014. Le 28 mars 2013, le ministère de la Justice de la Colombie-Britannique affirmait dans un communiqué de presse que la nouvelle loi :

(notre traduction)
…modernise  les lois actuelles de la Colombie-Britannique – dont certaines dispositions remontent aux années 1800 – sur les successions et la planification successorale. En amalgamant ces sept lois dépassées en une, la nouvelle loi facilitera la compréhension de la planification successorale pour le grand public Note de bas de page 15.

Un nouveau Code de procédure civile au Québec

Un nouveau Code de procédure civile a été adopté par l’Assemblée nationale du Québec en févrierNote de bas de page 16 et se trouve depuis le 23 mai 2014 dans le Recueil des lois et règlements du Québec au chapitre C-25.01. On s’attend à ce que toutes les dispositions du nouveau Code soient en vigueur à l’automne 2015.   

Le Recueil des lois et des règlements du Québec

Une nouvelle Politique sur le Recueil des lois et des règlements du QuébecNote de bas de page 17, entrée en vigueur le 1er avril 2014, remplace celle du 3 janvier 2013. Ce document intéressant propose des règles détaillées concernant la citation des lois et des règlements du Québec. À l’égard du Code civil du Québec, la Politique souligne que le Code et la Loi sur l’application de la réforme du Code civil n’ont pas de désignation alphanumérique dans le RecueilNote de bas de page 18.

Nouvelle obligation d’immatriculation pour les fiducies exploitant une entreprise

Depuis le 1er juillet 2014, les fiducies exploitant une entreprise à caractère commercial au Québec, autre que celles administrées par un fiduciaire immatriculé, doivent s’immatriculer au Registraire des entreprisesNote de bas de page 19. Les fiducies-entreprises, les fiducies d’investissement et les fiducies d’opérations immobilières, entre autres, sont assujetties à cette loi. Voir : http://www.registreentreprises.gouv.qc.ca/fr/actualites/2014/2014-05-26.aspx.