Tables rondes avec des jeunes autochtones

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La surreprésentation des jeunes autochtones dans le système de justice pénale du Canada

Remerciements
Nous tenons à remercier les jeunes autochtones de partout au Canada qui ont fait entendre leur voix et ont manifesté une force et une résilience sans faille en exposant leur vérité au grand jour. Nous tenons particulièrement à remercier les jeunes autochtones qui nous ont fait part de leurs réflexions et de leurs témoignages à l’égard des expériences qu’ils ont vécues dans le système de justice pénale. Nous avons essayé de faire en sorte que vos voix soient exposées clairement et fidèlement dans le présent rapport. Ce sont les personnes au nom desquelles vous parlez que nous gardons à l’esprit.

Avis au lecteur
La volonté de tenir compte des opinions et des expériences des jeunes autochtones est essentielle pour régler le problème de la surreprésentation des jeunes autochtones dans le système de justice pénale. Le gouvernement du Canada est déterminé à éliminer les obstacles systémiques auxquels les jeunes autochtones font face et à continuer de progresser sur la voie de la réconciliation avec les peuples autochtones.

Table des matières

Contexte

Les jeunes autochtones sont surreprésentés à toutes les étapes du cheminement dans le système de justice pénale. Les réalités de la vie des jeunes autochtones rendent ceux-ci vulnérables lorsqu’ils ont des démêlés avec le système de justice pénale, que ce soit en tant que victimes ou délinquants. Lorsque les jeunes autochtones doivent composer avec ce système, la manière dont ils sont traités accentue davantage leur vulnérabilité. Les jeunes autochtones qui ont déjà été incarcérés affirment que le système de justice pénale est une structure contre-productive qui n’est pas propice à la réadaptation. La perte de pouvoir, le sentiment d’impuissance, des cycles de violence et le désespoir augmentent les risques que les jeunes aient de nouveau des démêlés avec le système de justice pénale.

Comme l’indique le rapport de la Commission de vérité et réconciliation, l’ampleur de la surreprésentation des jeunes autochtones dans le système de justice pénale du Canada a atteint un seuil critique. Les jeunes autochtones représentent une proportion de la population des établissements correctionnels encore plus importante que ne le font les adultes autochtones. En 2017‑2018, les jeunes autochtones avaient beau ne représenter que 8 % de la population canadienne, ils constituaient 48 % des admissions au placement sous garde dans les neuf administrations ayant fourni des données (ce qui exclut la Nouvelle‑Écosse, le Québec, l’Alberta et le Yukon). Les jeunes hommes autochtones représentaient 47 % des jeunes hommes admis au placement sous garde, et les jeunes femmes autochtones, 60 % des admissions.1 Il est alarmant de constater que la surreprésentation des jeunes autochtones continue de prendre de l’ampleur. En effet, en 2014‑2015, les jeunes autochtones représentaient 37 % des admissions au placement sous garde dans des établissements provinciaux et territoriaux.

Le gouvernement du Canada s’est donné comme priorité de renouveler sa relation avec les Premières Nations, les Inuits et les Métis, et il fait progresser avec les peuples autochtones une réconciliation fondée sur la reconnaissance des droits, le respect et le partenariat. La nécessité de s’attaquer au problème de la surreprésentation des Autochtones au sein du système de justice pénale est énoncée dans l’appel à l’action no 38 formulé dans le rapport de la Commission de vérité et réconciliation. Cet appel à l’action exhorte le gouvernement fédéral, les gouvernements provinciaux et territoriaux ainsi que les gouvernements autochtones à s’engager à éliminer la surreprésentation des jeunes autochtones en détention.

Appel à l’action no 38 : Nous demandons au gouvernement fédéral, aux gouvernements provinciaux et territoriaux ainsi qu’aux gouvernements autochtones de s’engager à éliminer, au cours de la prochaine décennie, la surreprésentation des jeunes Autochtones en détention.

Mode de mobilisation

En mars 2019 a eu lieu une série de trois discussions distinctes ayant réuni en table ronde d’abord des jeunes des Premières Nations, le 19 mars, puis des jeunes métis, le 20 mars, et des jeunes inuits, le 21 mars.

Au cours de chacune de ces trois tables rondes, les participants ont eu l’occasion de discuter, dans un cadre sûr et en compagnie de leurs pairs, des particularités de leurs expériences, qui sont déterminées par leur culture et leur situation géographique. Une approche fondée sur la distinction a été mise de l’avant, puisqu’il est entendu que des solutions panautochtones à la surreprésentation ne peuvent pas répondre aux expériences, aux besoins et aux défis divers des peuples autochtones.

Les tables rondes se sont tenues dans le pavillon Iskotew, qui se trouve sur un territoire algonquin non cédé et qui offre un environnement respectueux des valeurs culturelles. Pour favoriser les discussions, un cercle de partage a été organisé, bien que les Métis et les Inuits n’aient habituellement pas recours à une telle pratique. C’est que le cercle de partage favorise l’écoute et les échanges respectueux. Le fait d’être assis en cercle encourage tous les participants à prendre la parole en tant qu’égaux et leur donne l’occasion de s’exprimer à tour de rôle. Au sein du cercle de partage, les participants pouvaient intervenir et parler d’enjeux sur lesquels ils souhaitaient davantage mettre l’accent ou répondre à certaines questions. Le dialogue qui a suivi s’est déroulé naturellement et a été caractérisé par des échanges et une écoute empreints de sincérité et de compréhension.

Dans ce contexte, les participants ont commencé par une ronde au cours de laquelle ils se sont présentés au reste du groupe d’une manière qui les rendait à l’aise de le faire. Certains ont choisi de ne donner que leur nom et leur lieu de résidence, tandis que d’autres ont parlé de leur histoire ou ont eu recours à la poésie, au hip‑hop ou à la narration d’un récit. Ces présentations ont permis à l’animateur du cercle de partage de se faire une idée des connaissances et des expériences que chaque participant pourrait transmettre au groupe, ainsi que d’évaluer le degré d’aisance de ces derniers à discuter des expériences qu’ils ont vécues avec le système de justice pénale de même que la meilleure façon de soutenir chaque personne au cours de la discussion tout en nourrissant le dialogue qui allait suivre.

De plus, pendant que les participants présentaient leur expérience et leur point de vue, l’animateur leur a posé des questions afin de stimuler la discussion. De cette façon, le dialogue ne suivait aucun programme et a pu se dérouler naturellement. Des discussions ouvertes se sont tenues autour de trois grands thèmes : 1) la période préalable aux démêlés avec le système de justice pénale; 2) les démêlés avec le système de justice pénale; et 3) la période postérieure aux démêlés avec le système de justice pénale. La discussion a ainsi coulé naturellement et a suivi le cours des interventions que les participants ont choisi de faire.

Pour soutenir davantage les participants, un aîné était présent à chacune des trois tables rondes. Trois aînés – un membre des Premières Nations, un Métis et un Inuit â€“ ont été engagés pour participer à la table ronde correspondant à leur affiliation culturelle respective. Les participants ont aussi été encouragés à prendre la parole si, ou quand, ils en ressentaient le besoin.

Le cercle de partage permet à l’animateur de mener les échanges selon un mouvement circulaire et donne aux participants l’occasion de s’exprimer librement ou de simplement écouter.

Objectifs des tables rondes

Les tables rondes avaient pour objectif de permettre aux jeunes autochtones de parler des enjeux, des défis et des exemples de résilience qu’ils considéraient comme les plus importants en ce qui a trait aux expériences qu’ils ont vécues avec le système de justice pénale. Entendre leurs voix et leurs histoires est essentiel pour établir ou élaborer des politiques, des programmes et des outils législatifs en vue de lutter contre la surreprésentation des jeunes autochtones dans le système de justice pénale du Canada. Dans ce contexte, trois thèmes ont été abordés au cours de chaque table ronde : 1) la période préalable aux démêlés avec le système de justice pénale; 2) les démêlés avec le système de justice pénale; et 3) la période postérieure aux démêlés avec le système de justice pénale.

Période préalable aux démêlés avec le système de justice pénale

L’effet cumulatif des expériences vécues par les peuples autochtones sous le colonialisme a provoqué des traumatismes intergénérationnels. Un traumatisme intergénérationnel consiste en la transmission, au fil des générations, d’une oppression historique et de ses conséquences négatives.

Lors de la colonisation, le gouvernement canadien nouvellement formé a mis en Å“uvre des lois et des mesures visant à déloger les peuples autochtones des terres qu’ils occupaient pour y installer des colonies. Le gouvernement a alors créé des programmes préjudiciables comme le système de pensionnats indiens, dont l’objectif était d’assimiler les enfants autochtones et de détruire les cultures, l’identité et les traditions autochtones.

Les traditions coloniales ont abouti à la rafle des années soixante, au cours de laquelle des enfants autochtones ont été arrachés de leur foyer et placés dans des familles non autochtones.

À l’instar des pensionnats indiens, les externats indiens visaient à assimiler les enfants autochtones ainsi qu’à éradiquer les langues et les cultures autochtones, et ils étaient souvent dirigés par des instances religieuses. Les externats indiens constituent un autre exemple de pratique coloniale qui a contribué au traumatisme intergénérationnel vécu par les peuples autochtones au Canada.

Les Inuits et les Innus ont aussi vécu ce type de traumatisme en raison des politiques de réinstallation et du système d’attribution d’un numéro d’identification, instauré au début des années 1900, en vertu duquel ils devaient porter un médaillon sur lequel figurait  ce numéro.

Les Métis ont également subi un traumatisme intergénérationnel. On leur a enseigné qu’il fallait dissimuler leur identité autochtone et comprendre les effets du catholicisme sur leur vie, ce qui a semé la confusion chez les jeunes en ce qui a trait à leur culture.

Les politiques et les lois mises en Å“uvre au fil de l’histoire sont à l’origine de l’effondrement des systèmes socioéconomiques et des structures de gouvernance des peuples autochtones, à petite et à grande échelle. Par exemple, l’éclatement des structures familiales et communautaires a laissé des traces pour de nombreuses générations d’Autochtones. Plusieurs d’entre eux vivent maintenant avec de graves problèmes de santé mentale ou encore des problèmes de violence ou de toxicomanie.

Transmises par les parents et les grands‑parents, ces expériences ont contribué à l’augmentation du niveau d’anxiété et de stress chez les jeunes autochtones. Ces pressions s’aggravent étant donné le racisme qui a toujours cours, la perte d’identité culturelle et l’incessante systématisation des paradigmes coloniaux.

« On tente de survivre de la même façon que les autres. […] Quand chacun est en mode de survie, il est impossible d’avancer en tant que collectivité. »

- Participant de la table ronde

Les jeunes nous ont indiqué que beaucoup d’entre eux avaient commencé à adopter des comportements à haut risque, notamment en consommant de l’alcool et de la drogue, ce qui les avait amenés à avoir des démêlés avec le système de justice pénale dès un jeune âge.

En s’engageant sur cette voie, les jeunes autochtones se voient privés des ressources dont ils ont besoin pour enrayer les comportements à haut risque. Ils sont ainsi souvent séparés de leurs proches, qui pourraient intervenir efficacement et les aider à délaisser ces comportements.

Dans ce contexte général, les participants des trois tables rondes ont discuté des facteurs qui rendent les jeunes autochtones particulièrement vulnérables devant le système de justice pénale et ont parlé à plusieurs reprises des séquelles qu’entraîne le fait de grandir dans le vide culturel qu’a créé la colonisation. L’absence d’identité qui en résulte se traduit par une perte de motivation et d’appartenance tant pour la personne que pour la famille ou la collectivité.

Selon les participants, le fait de grandir sans connaître son identité mène à l’isolement, et cet isolement fait que les jeunes autochtones sont plus susceptibles d’adopter des comportements à haut risque, notamment en consommant de la drogue et de l’alcool ou en s’adonnant à des activités illégales. L’isolement peut également entraîner des problèmes de santé mentale et la victimisation.

Les jeunes ont en outre souligné que la perte d’identité résultant d’un manque de liens culturels ne pouvait être corrigée au sein de familles ou de communautés dont la structure de base a été détruite. De nombreux participants ont évoqué le désir d’échapper à leur famille en raison de la violence familiale, de mauvais traitements ou de problèmes de dépendance au sein du foyer.

Un certain nombre de participants ont ajouté que la structure et le sentiment de « sécurité Â» que procure le placement sous garde étaient souvent plus attrayants que le fait d’être chez soi. La combinaison de ces éléments illustre des facteurs intergénérationnels menant à des démêlés avec le système de justice pénale.

Les participants de chacune des tables rondes ont souligné que le sentiment d’isolement, le manque de motivation personnelle et l’absence de sentiment d’appartenance rendaient attrayant l’esprit de communauté et d’acceptation qu’un gang pouvait apporter. Être membre d’un gang procure un sentiment d’appartenance aux jeunes, donne un sens à leur vie, et leur permet de tisser des liens humains et des relations familiales qu’ils ne pourraient avoir autrement. Les participants ont indiqué que l’appartenance à un gang pouvait avoir un caractère intergénérationnel quand les parents, les proches ou les modèles étaient également membres d’un gang. L’acceptation au sein d’un gang peut même devenir un « rite de passage Â» de l’enfance à l’âge adulte.

Bien que les effets dévastateurs de la perte d’identité culturelle aient été soulignés au cours de chaque table ronde, les participants métis et inuits ont rapidement fait remarquer qu’ils avaient une identité et une culture distinctes de celles des Premières Nations. Ainsi, lorsque des services et des programmes panautochtones sont offerts aux jeunes en placement sous garde, ils ne répondent généralement pas aux besoins particuliers des jeunes métis ou inuits.

Pour les peuples autochtones, cette absence de soutien fondé sur les distinctions n’est pas limitée à la culture. Compte tenu de l’histoire et de la situation géographique diverses des Premières Nations, des Métis et des Inuits ainsi que des traitements différents qui leur ont été réservés par les gouvernements coloniaux successifs, les défis à relever en ce qui concerne les déterminants sociaux de la santé sont également distincts.

La particularité de l’histoire et de la situation géographique des peuples autochtones ainsi que des relations que ceux-ci entretiennent avec les institutions gouvernementales a une incidence sur leur façon de faire face, par exemple, à des enjeux de santé mentale ou à l’accessibilité à un logement convenable, à la nourriture ou à l’éducation, ainsi que sur leur approche des services sociaux et de santé.

Les déterminants sociaux de la santé englobent un grand nombre de facteurs personnels, sociaux, économiques et environnementaux qui déterminent la santé des personnes et des populations. Ils comprennent les facteurs suivants :

Les privations et le stress supplémentaires causés par le manque d’accès à un soutien adéquat exacerbent davantage la vulnérabilité résultant de la perte culturelle. Par exemple, des participants inuits ont souligné à plusieurs reprises un lien entre le manque d’installations et d’activités pour les jeunes dans leurs communautés et les comportements criminels.

Ils ont également évoqué les effets néfastes de l’obligation qu’ils ont de quitter leur communauté pour faire des études secondaires. Ces facteurs ont intensifié la coupure avec leur foyer, leur culture et leur communauté, et ont ainsi accentué les sentiments de perte et de vulnérabilité.

Un certain nombre de participants inuits ont souligné que les activités communautaires destinées aux jeunes étaient importantes pour dissuader les jeunes d’adopter des comportements à haut risque. Le manque d’activités adéquates pour les jeunes et l’ennui résultant du fait de ne pas avoir accès à des activités communautaires ont été retenus comme les principaux facteurs ayant contribué à ce que des jeunes inuits commettent plusieurs infractions mineures dans leur communauté. Les participants ont affirmé que des activités sportives destinées aux jeunes s’avéraient essentielles pour soutenir les jeunes et rassembler la communauté.

Période des démêlés avec le système de justice pénale

Manque de programmes adaptés à la culture

« Les jeunes qui ne comprennent pas leur culture ou leurs valeurs perdent leur sentiment d’appartenance et le sens qu’ils donnent à leur vie. »

- Participant de la table ronde

Les participants de chacune des tables rondes ont évoqué l’importance capitale de la culture pour forger leur sentiment d’identité et leur force intérieure, et ils ont abordé les lacunes structurelles du système de justice pénale pour ce qui est de répondre aux besoins des jeunes autochtones d’une manière adaptée à leur culture. Il est important de fournir aux jeunes autochtones un soutien adapté à leur culture afin de les aider à persévérer et de prévenir la récidive.

Les démêlés avec le système de justice pénale ont été décrits comme des expériences qui dérobent aux personnes le peu d’identité ou de lien culturel qu’elles pourraient avoir. Ainsi, les participants ont affirmé que le système de justice pénale n’avait pas la capacité nécessaire pour guérir les jeunes délinquants autochtones ou contribuer à leur réadaptation.

Les participants ont souligné que le manque de programmes culturels constituait un obstacle à la réadaptation. Plus important encore, les participants métis et inuits ont fait remarquer que même là où ils sont offerts, les programmes ne sont pas adaptés aux différents groupes autochtones et donc à leur culture distincte. Enfin, l’incapacité des institutions à répondre aux besoins particuliers des délinquants autochtones par des mesures adaptées à leur culture serait une conséquence du colonialisme.

De plus, le manque de connaissance et de considération que manifestent les intervenants du système de justice pénale à l’égard des cultures autochtones aggrave l’incapacité du système à répondre aux besoins des jeunes autochtones. Les jeunes ayant participé aux trois tables rondes ont parlé d’autres difficultés découlant du fait que les intervenants ne connaissaient pas leur histoire et leur culture ou qu’ils n’en tenaient pas compte. Cette absence de sensibilité culturelle a entraîné une mauvaise communication et l’absence d’un soutien adéquat, ce qui a créé des obstacles supplémentaires à la réadaptation et à la guérison.

Rapports Gladue

Les participants des tables rondes ont évoqué les diverses difficultés et les conséquences imprévues que les rapports Gladue peuvent avoir. Ils ont décrit ces rapports comme un obstacle à la réadaptation et un handicap, et les ont jugés inefficaces.

Selon eux, ces rapports contribuent à étiqueter les jeunes en fonction des problèmes qui y sont décrits. En effet, les problèmes mentionnés dans ces rapports sont associés aux jeunes et déterminent la manière dont ceux-ci sont traités et perçus, de sorte qu’il est difficile pour eux, malgré tous leurs efforts, de se défaire des étiquettes qui leur ont été attribuées. Les jeunes sont étiquetés, peu importe qui ils sont et qui ils veulent devenir. Les participants ont également affirmé que ces rapports accentuaient les défis auxquels les jeunes sont confrontés et qu’ils ne fournissaient pas de mesures de soutien adaptées en vue de régler les problèmes sous‑jacents ayant entraîné des démêlés avec le système de justice pénale, ce qui éviterait la récidive.

Certains jeunes ont par ailleurs déclaré que les rapports Gladueaccentuaient le racisme et la vulnérabilité que connaissent les jeunes autochtones au sein du système de justice pénale. Ils ont estimé que ces rapports, de même que le processus employé pour les amener à raconter leur histoire, étaient d’autres moyens les ayant dévalorisés.

Selon les jeunes, le fait de devoir être interrogé pour la préparation d’un rapport Gladueconstitue une source supplémentaire de traumatisme et exacerbe les difficultés d’adaptation pendant le placement sous garde. Devoir raconter leur histoire personnelle fait revivre aux jeunes des traumatismes qu’ils ont subis, ce qui augmente leur vulnérabilité dans un contexte de garde. Le plus souvent, les jeunes doivent regagner leur cellule après leur entretien sans bénéficier du soutien médical, culturel ou psychologique qui les aiderait à gérer la douleur causée par le fait d’avoir dû raconter leur histoire personnelle.

Justice réparatrice

Des participants de chacune des tables rondes ont souligné le potentiel de la justice réparatrice, en particulier des initiatives de justice réparatrice qui sont ancrées dans les cultures autochtones et qui éloignent les jeunes autochtones de la criminalité en leur redonnant un sentiment de force individuelle, culturelle et communautaire.

Les participants ont fait valoir que, pour être efficace, la justice réparatrice devait être adaptée aux différents groupes autochtones et tenir compte des particularités des cultures et des réalités quotidiennes des membres des Premières Nations, des Métis et des Inuits. Les participants ont également discuté de l’importance de veiller à ce que la justice réparatrice soit fondée sur la communauté et la famille.

Le fait que la communauté joue un rôle fondamental dans la recherche d’une solution encourage les délinquants et aide la communauté à soutenir ceux-ci et les victimes. Cette approche permet également de tenir compte du point de vue des Autochtones, selon lequel la communauté est elle aussi victime quand il y a une infraction, et apaise les craintes des délinquants ou des victimes quant à la volonté de la communauté de les accueillir de nouveau en son sein.

Plusieurs participants ont fourni des exemples de mesures de justice réparatrice qu’ils estiment efficaces. Deux participants inuits ont plus particulièrement parlé de leur expérience avec des comités de justice inuits, qui sont composés de membres de la communauté, y compris d’un aîné. Les victimes, les délinquants et les communautés participent à ces comités, ce qui permet aux personnes et aux communautés de guérir et d’obtenir réparation. Ces comités favorisent la responsabilisation des délinquants, les besoins des victimes ainsi que le bien‑être et la guérison de la communauté. Ils soutiennent les délinquants dans leur réadaptation, et les réconcilient avec la communauté et les victimes. Ces deux participants inuits ont parlé de manière positive de leur expérience avec le comité de justice inuit de leur territoire.

Période postérieure aux démêlés avec le système de justice pénale

Manque de soutien au sein des communautés

Selon les participants, le manque de soutien, de ressources et de services au sein des communautés autochtones s’ajoute aux difficultés que doivent surmonter les jeunes autochtones lorsqu’ils sont remis en liberté et qu’ils retournent dans la collectivité.

De plus, les participants ont affirmé qu’il était essentiel pour leur réinsertion sociale que les jeunes aient accès à des mesures de soutien adéquates – comme de l’aide pour ouvrir un compte bancaire, trouver les services offerts et combler leurs besoins en matière de transport pour se rendre aux points de services et à leurs rendez‑vous.

Les participants ont également indiqué qu’il importait d’offrir aux jeunes de l’aide à long terme, notamment du soutien individuel et communautaire. De telles mesures sont nécessaire pour que les jeunes reprennent aisément leur place dans la communauté et pour appuyer les efforts qu’ils déploient à long terme en vue de se construire une vie à l’écart des facteurs qui les ont rendus vulnérables et ont contribué à ce qu’ils aient des démêlés avec le système de justice pénale. Les participants ont aussi mentionné qu’ils connaissaient peu les services offerts et qu’il leur était difficile d’obtenir de l’information à ce sujet.

Effets persistants du traumatisme intergénérationnel

« On sort et on retourne dans le foyer où on était avant d’être enfermé, et tout est pareil. On se retrouve dans la même situation que celle qui a fait en sorte qu’on s’est retrouvé enfermé. Si on a eu la chance d’avoir des activités culturelles et que ces activités ont été utiles, on n’y a plus accès encore une fois. Si on retourne dans la réserve, on n’a pas accès aux ressources dont on a besoin. »

- Participant de la table ronde

Les jeunes ont également fait remarquer que du soutien devait être offert non seulement aux délinquants remis en liberté, mais aussi à leur famille et à leur communauté.

Un certain nombre de participants ont fait valoir qu’après leur remise en liberté, les jeunes se retrouvent dans la même situation que celle qui les a rendus vulnérables et a contribué à ce qu’ils aient des démêlés avec le système de justice pénale.

La santé émotionnelle, physique et sociale des personnes dépend grandement de leur famille et de la communauté dans laquelle ces personnes vivent. Par conséquent, les répercussions des traumatismes intergénérationnels sur les personnes, leur famille et leur communauté continuent de faire des victimes parmi les jeunes autochtones et constituent une entrave supplémentaire au renforcement de la résilience et à la prévention de la récidive.

Des participants inuits ont mentionné que les traumatismes intergénérationnels subis représentaient un facteur aggravant, principalement dans les communautés inuites éloignées, où l’isolement géographique intensifie les difficultés liées à la mise en place et au maintien de services de soutien cohérents.

Par exemple, des participants ont indiqué que, même si des services de santé mentale existaient, le manque de sensibilité culturelle et le roulement élevé du personnel rendaient les ressources offertes inefficaces. Les jeunes hésitent à utiliser ces services parce qu’ils sentent qu’ils ne seront pas compris et parce qu’ils sont fatigués de devoir reprendre les mêmes processus initiaux chaque fois qu’un intervenant en santé mentale est remplacé.

Déterminants sociaux de la santé

Tout au long des tables rondes, les participants ont souligné l’importance de tenir compte des déterminants sociaux de la santé dans les communautés autochtones et les populations autochtones vivant en milieu urbain. Selon les participants, prendre en considération ces déterminants est essentiel tant pour prévenir les premiers démêlés que pourraient avoir des jeunes autochtones avec le système de justice pénale que pour favoriser la réussite de la réadaptation et de la réinsertion des jeunes délinquants.

Les jeunes autochtones ont précisé que le fait de vivre dans des conditions d’extrême pauvreté et d’avoir un accès restreint à l’éducation, à des services de santé, à une alimentation nutritive et à des services sociaux disponibles en permanence avait sur eux des conséquences émotionnelles et physiques profondément dommageables.

Les participants inuits, en particulier, ont parlé des répercussions de la surpopulation résultant de la pénurie de logements, de l’insécurité alimentaire ainsi que du fait que ces difficultés aggravent les problèmes de santé physique et mentale.

La majorité des jeunes autochtones ont souligné les avantages d’offrir des programmes culturels avant, pendant et après les démêlés avec le système judiciaire. Néanmoins, les participants métis et inuits ont mentionné que les programmes culturels panautochtones offerts à différentes étapes du cheminement dans le système de justice pénale ne répondaient pas à leurs besoins culturels et qu’ils n’étaient pas utiles. Pour être efficaces, les programmes culturels doivent être adaptés aux différents groupes autochtones.

Recommendations

De nombreux participants ont évoqué les obstacles qu’ils avaient dû surmonter en tant que jeunes autochtones dans leurs démêlés avec le système de justice pénale, y compris durant la période de leur placement sous garde. Les participants ont indiqué que le racisme systémique et institutionnel de même que le fait que les intervenants du système de justice pénale ne connaissaient pas leur culture ni leurs réalités actuelles et historiques avaient eu des effets néfastes sur les interventions dont ils avaient été la cible. Ces effets néfastes pouvaient aller de problèmes récurrents de communication entre les intervenants du système de justice pénale et les jeunes autochtones à des incidents empreints de racisme flagrant.

Les tables rondes ont permis à des jeunes autochtones partout au pays de faire connaître leurs points de vue et leurs opinions sur les facteurs qui auraient contribué à ce qu’ils aient des démêlés avec le système de justice pénale.

Les participants ont recommandé l’adoption des mesures suivantes pour réduire la surreprésentation des jeunes autochtones dans le système de justice pénale canadien.

  1. Chercher à cerner et à abolir les préjugés systémiques et institutionnels qui ont cours dans le système de justice pénale.
  2. Éduquer les intervenants du système de justice pénale relativement à la culture, à l’histoire et aux réalités sociales actuelles des Autochtones.
  3. Soutenir la mise en place d’un système judiciaire dirigé par des Autochtones et fondé sur la culture autochtone.
  1. Étudier la façon dont les tribunaux appliquent les principes énoncés dans l’arrêt Gladue quand il est question des jeunes en discutant du recours à des rapports Gladueavec des juges, des gardiens, des agents de probation et d’autres personnes‑ressources.
  2. Examiner les répercussions qu’ont les rapports Gladuesur les jeunes autochtones en adoptant le point de vue des jeunes autochtones.
  3. Analyser les pratiques exemplaires en matière de cercle de justice inuit et innu, et travailler en collaboration avec des partenaires des Premières Nations et métis pour renforcer les mesures extrajudiciaires préalables à l’incarcération applicables aux délinquants qui en sont à une première infraction.
  4. Améliorer l’évaluation du bien‑être mental et environnemental au moment de déterminer la mesure de réadaptation qu’il convient d’adopter pour un jeune autochtone qui a des démêlés avec le système de justice pénale.
  5. Accroître les communications entre les intervenants et les décideurs de tous les niveaux du système de justice pénale afin d’obtenir des commentaires et de la rétroaction sur la manière dont les intervenants pourraient améliorer la prestation de services à la clientèle ainsi que le continuum de soins et de réadaptation.
  6. Renforcer la coopération et l’échange de renseignements entre les travailleurs sociaux, les intervenants du système de justice pénale, les dirigeants communautaires et les aînés pour aider les jeunes autochtones à toutes les étapes du cheminement dans le système de justice pénale.

1 Les jeunes autochtones sont surreprésentés tant parmi les jeunes qui sont admis au placement sous garde que parmi ceux qui sont admis à un programme de surveillance communautaire. Ils comptent pour 50 % des admissions au placement sous garde et pour 42 % des admissions à un programme de surveillance communautaire.