Résultats
La section suivante fournit un résumé de quelques-unes des principales constatations des 14 études et de l’analyse des médias. La bibliographie annotée et l’analyse des médias fournissent de l’information sur des types particuliers de technologie étudiée et abordent des questions liées à la modernisation des systèmes de justice familiale et civile qui ne sont pas visées par le présent rapport.
Études sur l’utilisation de la technologie
Des 14 études recensées entre 2010 et 2020, six provenaient du Canada, trois, des États-Unis, quatre, de l’Australie et une, du Royaume-Uni. Six de ces études portaient sur le système de justice familiale (quatre au Canada, une en Australie et une au Royaume-Uni), huit, plus généralement, sur les systèmes de justice civile, et deux, sur les systèmes de justice familiale et civile. Les études comprises sont les suivantes :
- Système canadien de justice familiale : Tait, 2013; Tait, 2016; MacLennan, 2016; Malatest, 2019;
- Système canadien de justice civile : Salyzyn, 2012; Schellhammer, 2013;
- Système étranger de justice familiale : Bell, 2019; Hodson, 2019;
- Système étranger de justice civile : Cashman et Ginnivan, 2019; Greacen, 2019; Sourdin et coll., 2019; Toohey et coll., 2019; Prescott, 2017; Wolf, 2012.
Le terme « technologie », dans les documents examinés, fait référence à une vaste gamme de plateformes et de services en ligne. Sourdin et coll. (2019) ont classifié les technologies en trois différents types : celles qui soutiennent les personnes aux prises avec le système (technologies de soutien), celles qui remplacent des éléments du système qui étaient auparavant exécutés par les humains (technologies de remplacement) et celles qui perturbent ou transforment fondamentalement le système (technologies perturbatrices).
Types d’études
Cinq des six études canadiennes étaient des évaluations ou des examens de programmes, ou comprenaient un sondage auprès d’utilisateurs de programmes. L’une des études étrangères comporte une analyse statistique comparant une plateforme de résolution en ligne des différends (RLD) aux pratiques judiciaires traditionnelles aux États-Unis. Ces études comprenaient une analyse des répercussions de la technologie sur l’accès à la justice. Les autres études étaient des analyses documentaires.
Dix des études ont été publiées au cours des cinq dernières années (de 2016 à 2019) et quatre ont été menées en 2012 et 2013. Il convient de noter que les évaluations et les examens de programmes faits au Canada portent tous sur des technologies de soutien et de remplacement en Colombie-Britannique. Il serait utile d’effectuer des études rigoureuses semblables au fil du temps pour la recherche sur l’utilisation des technologies perturbatrices.
Types de technologies
Le terme « technologie » est vaste et englobe divers outils. Dans les études et les articles examinés, la technologie va de l’utilisation de téléphones, d’imprimantes, de courriels et de moniteurs jusqu’au recours à l’intelligence artificielle. Toutefois, les mentions les plus nombreuses concernent l’utilisation de la vidéoconférence et des plateformes de dépôt et de communication électroniques, particulièrement dans les articles des médias.
Au Canada, avant 2020, la plupart des réformes avaient trait à des technologies de soutien et de remplacement, tandis que les études étrangères portaient également sur l’utilisation de l’intelligence artificielle, des algorithmes et de l’automatisation pour certains processus administratifs de prise de décisions.
Entre 2012 et 2017, les études ont surtout porté sur des technologies de soutien, comme le téléphone et la vidéoconférence, qui ont aidé à faciliter la RLD ou à offrir des programmes à distance (p. ex., sur le rôle parental après la séparation). Les études de 2019 ont porté sur des technologies de remplacement comme les plateformes numériques en ligne, qui remplacent les processus papier, ainsi que sur des technologies perturbatrices, qui appliquent l’intelligence artificielle et les algorithmes à la prise de décisions et à l’automatisation des processus judiciaires. Les auteurs des études de 2019 demandaient par ailleurs une modernisation des systèmes de justice familiale et civile par l’adoption de nouvelles technologies. Les annotations des études et des articles publiés dans les médias se trouvent respectivement aux annexes A et B. Vous trouverez à l’annexe C du présent rapport une liste de certaines des plateformes en ligne et des technologies numériques qui figurent dans les études.
Bien qu’il semble y avoir eu une augmentation du recours à la technologie entre 2012 et 2019, celle-ci a surtout été utilisée pour répondre au besoin d’accès à distance et pour accroître l’efficacité des processus administratifs. La technologie n’a pas été largement adoptée par les systèmes de justice familiale et civile avant la pandémie de COVID-19.
Au cours de celle-ci, les tribunaux canadiens se sont tournés vers la technologie de vidéoconférence pour entendre les affaires lorsque les mesures de santé publique limitaient les comparutions en personne devant les tribunaux. L’utilisation d’autres options de RLD (p. ex., médiation, arbitrage et droit familial collaboratif), l’adoption de plateformes virtuelles (p. ex., Zoom) par les tribunaux ainsi que la communication et le dépôt électroniques de documents sont devenus essentiels au fonctionnement du système judiciaire. Vous trouverez à l’annexe B du présent rapport une liste de certaines des plateformes en ligne et technologies numériques utilisées par les tribunaux canadiens pendant la pandémie qui ont été mentionnées dans des articles des médias.
Accès accru à la justice
Le contexte du Canada
Un certain nombre d’études canadiennes ont révélé que la technologie a accru l’accès ou amélioré l’expérience des participants aux systèmes de justice familiale et civile. D’après les conclusions de ces études, les services en ligne accessibles sur le Web offrent des avantages considérables, notamment la capacité des utilisateurs d’accéder aux services à distance, des coûts réduits, un accès 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, et la compatibilité mobile (MacLennan, 2016). La médiation en ligne ou virtuelle a amélioré l’accès aux services, l’efficacité administrative et la commodité. Les clients ont économisé du temps et de l’argent, et certains ont souligné l’avantage d’une séparation physique d’avec l’autre partie (Tait, 2013). On a également constaté que les programmes sur le rôle parental offerts en ligne après la séparation coûtaient moins cher à administrer que les programmes en personne. Cela a permis d’assouplir les horaires, d’éliminer le besoin de se déplacer et de faire garder les enfants, de joindre plus de gens et d’être plus accessible aux personnes vivant dans des collectivités rurales ou éloignées, sans service Internet (Tait, 2016).
On a constaté que les plateformes en ligne permettaient aux utilisateurs de cerner, d’atténuer ou de gérer leurs problèmes juridiques, ainsi que de trouver des ressources appropriées et des services en personne. Ces plateformes aident les utilisateurs à mieux comprendre les lois, les options juridiques et leurs responsabilités. Les utilisateurs se sentaient plus à l’aise de chercher des renseignements juridiques de façon indépendante, et comprennent mieux leurs problèmes juridiques (Malatest, 2019). Ces études canadiennes soulignent l’importance pour le système de justice d’offrir des services qui renforcent l’autonomie de l’utilisateur final, en particulier les plaideurs non représentés, et de permettre un accès rapide et facile aux services ou aux outils qui peuvent aider à régler les différends juridiques (MacLennan, 2016).
En 2020, les tribunaux canadiens (droit familial, droit civil et droit pénal) ont utilisé un certain nombre de technologies pour aider les tribunaux à fonctionner, notamment la téléconférence et la vidéoconférence (p. ex., Zoom, Skype) pour les audiences à distance, les règlements de différends, la RLD et la médiation. De nouveaux systèmes intégrés de gestion des cas et des plateformes virtuelles ont également été mis à l’essai2 en reconnaissance de la nécessité de moderniser davantage le système judiciaire pour permettre l’accès à la justice malgré les restrictions en matière de santé publique. La pandémie a fait ressortir la nécessité d’aller au-delà de la mise en Å“uvre d’un ensemble disparate de solutions technologiques pour permettre une plus grande intégration de la technologie en ligne avec les anciens systèmes de tribunaux de la famille en personne3.
Dans le Sondage national sur la justice de 2021 du ministère de la Justice du Canada, sondage d’opinion publique mené auprès de plus de 3 200 Canadiens, on demandait aux répondants dans quelle mesure ils seraient à l’aise d’avoir accès au système de justice familiale dans un certain nombre de scénarios faisant appel à la technologie. Environ 87 % des répondants ont indiqué qu’ils se sentaient modérément ou très à l’aise de chercher de l’information et de lire sur le système de justice familiale en ligne, 80 % se sentaient à l’aise de remplir des formulaires en ligne au moyen de formulaires PDF à remplir et 71 % se servaient de plateformes de vidéoconférence (p. ex., Zoom, MS Teams ou Google Meet) pour remplacer des réunions en personne, des séances de médiation ou des séances du tribunal (ministère de la Justice du Canada, 2021).
Intelligence artificielle
L’intelligence artificielle (IA) désigne les processus logiciels ou les systèmes automatisés qui suivent un ensemble d’étapes préprogrammées ou computationnelles pour analyser des données afin d’en déduire une probabilité de résultat. L’IA ou les systèmes automatisés visent à améliorer l’accès à la justice en permettant aux clients de faire une partie ou la totalité de leur propre travail juridique ou en partageant les économies réalisées lorsque les avocats utilisent la technologie pour travailler plus efficacement (Bell, 2019). L’IA simple comprend des outils qui guident les utilisateurs vers une solution proposée à leurs problèmes. Les questions et les réponses sont générées en fonction des réponses de l’utilisateur. Par exemple, le tribunal de règlement des conflits au civil de la Colombie-Britannique est un outil en ligne qui fournit aux utilisateurs un « explorateur de solutions ». L’outil comprend des questions simples pour l’utilisateur au sujet de son différend et, en fonction de ces réponses, fournit des renseignements et des outils juridiques, classe le différend et présente le formulaire de demande en ligne approprié (Cashman, 2019; Bell, 2019)4. Rechtwijzer, une plateforme de résolution en ligne des différends similaire basée aux Pays-Bas, a orienté des couples qui se séparaient en les amenant à adopter une solution fondée sur les points d’entente grâce à un questionnaire guidé (Bell, 2019; Cashman, 2019). La plateforme Rechtwijzer a été remplacée par une nouvelle plateforme, Uitelkaar.nl; celle-ci guide les couples qui se séparent en les amenant à « concevoir leurs propres ententes de séparation » de façon similaire (Bell, 2019). Parmi les outils d’IA plus perfectionnés, mentionnons la plateforme d’analyse juridique de Lex Machina, qui utilise des données brutes provenant de quatre sources différentes, dont les tribunaux d’État et les tribunaux fédéraux, et qui fournit des analyses prédictives de divers résultats : stratégies de dossiers fructueux; réponses ou résultats probables des décisions judiciaires d’après l’historique des décisions du juge sur une question donnée; et expérience en matière de litiges de l’avocat de la partie adverse, y compris l’expérience devant des juges et des tribunaux particuliers (Sourdin, 2019)5. Grâce à des outils allant de modules d’autoassistance automatisés de base à l’analyse prédictive, l’IA peut simplifier le processus juridique lors des interactions entre les utilisateurs, les avocats et le système de justice, donner accès à des solutions abordables et accroître l’efficience et la productivité d’intervenants juridiques. Toutefois, ces outils ne sont pas considérés comme des substituts aux conseils juridiques de professionnels ou au financement adéquat des tribunaux, de l’aide juridique et des services juridiques communautaires (Bell, 2019).
Résolution en ligne des différends
La RLD, initialement conçue comme plateforme numérique permettant aux gens de régler, entièrement en ligne, des différends commerciaux de faible valeur (p. ex., Amazon, eBay, PayPal), peut donner aux parties la capacité de résoudre des différends plus tôt, libérant ainsi des ressources juridiques et judiciaires qui peuvent alors traiter des questions complexes (Cashman et Ginnivan, 2019). Une RLD intégrée aux tribunaux qui combine diverses solutions numériques (p. ex., communication numérique, téléversement et réponse en ligne aux éléments de preuve) peut faciliter, pour un coût minime, la résolution rapide de la plupart des réclamations pour la grande quantité de différends de faible valeur pour lesquels les parties ne sont habituellement pas représentées et cherchent à obtenir une résolution rapide (Cashman et Ginnivan, 2019).
La plateforme en ligne est conçue pour fonctionner de façon asynchrone et en temps réel afin de limiter les obstacles à l’accès (Prescott, 2017). À l’instar d’un palais de justice, la plateforme permet aux parties d’échanger des arguments, des éléments de preuve et des renseignements, et de parvenir à une entente (Prescott, 2017). La RLD élimine ou minimise les obstacles causés par le coût, le temps et les retards liés à une présence devant les tribunaux. En effet, elle retire le processus de justice des lieux physiques; permet de passer d’un processus synchrone (en même temps) à un processus asynchrone (à des moments différents) pour le rendre plus pratique; et permet aux gens de régler les différends le plus tôt possible pour un coût minimal (Cashman et Ginnivan, 2019). Une analyse statistique de la plateforme judiciaire en ligne Matterhorn, aux États-Unis, a fait ressortir une clôture plus rapide, une conformité plus rapide et des taux de défaut plus faibles parmi les utilisateurs. L’efficacité des tribunaux a également été accrue grâce à la plateforme en ligne (Prescott, 2017).
Considérations relatives à l’utilisation de la technologie
Bien que certaines données probantes indiquent que la technologie a amélioré l’accès aux tribunaux (en particulier pendant la pandémie) ainsi qu’aux services de justice familiale, les études ont également mis en évidence un certain nombre de limites qu’il est important de prendre en compte.
L’un des principaux points à considérer est l’inclusion numérique, qui permet à toutes les personnes et collectivités, y compris les plus désavantagées, d’accéder aux technologies de l’information et des communications, et d’utiliser celles-ci (Toohey et coll., 2019). L’un des principaux obstacles à l’accès, pour certains, est l’accessibilité et la fiabilité des services Internet ou des appareils permettant d’utiliser Internet en raison des coûts ou des services limités offerts dans les collectivités rurales ou éloignées (Cashman et Ginnivan, 2019). Cela comprend le risque de difficultés techniques lors de l’utilisation de services de conférence Web ou une capacité limitée d’utiliser certaines plateformes (Tait, 2013; 2016).
Les difficultés découlant de l’incapacité des fournisseurs de services (c.-à -d. des médiateurs) de lire des indices visuels et non verbaux ou de tenir compte de la dynamique du pouvoir lors de leurs interactions sur la plateforme en ligne ont également une incidence sur la prestation des services (Tait, 2013). Il faut par ailleurs veiller à ce que les services et les produits en ligne permettent de régler les problèmes d’accessibilité physique, notamment en permettant d’ajuster la taille des polices, en utilisant un vocabulaire facilement compréhensible et en facilitant la navigation (MacLennan, 2016).
Ces obstacles touchent de façon disproportionnée les communautés qui ont le plus besoin de solutions en matière d’accès à la justice (p. ex., personnes âgées, personnes handicapées, Autochtones, personnes de groupes défavorisés sur le plan socioéconomique, personnes vivant dans des collectivités rurales et éloignées, et personnes ayant l’anglais pour la langue seconde). Les plateformes en ligne qui ne tiennent pas compte du lien entre les désavantages socioéconomiques, la faible littératie numérique et l’exclusion du système juridique risquent de contribuer à une plus grande marginalisation.
Si l’on s’attend à ce que l’IA et les systèmes automatisés accroissent l’efficience et l’offre de solutions à faible coût pour certaines personnes, il pourrait y avoir des conséquences éthiques si l’on passait de l’utilisation de l’IA pour fournir des renseignements juridiques à son utilisation pour fournir des conseils juridiques. Les décisions en matière de droit familial sont hautement discrétionnaires, tandis que les systèmes d’IA utilisent des algorithmes pour déterminer l’issue des causes en fonction d’un sous-ensemble de causes des tribunaux qui ne contiennent pas les renseignements pertinents des affaires réglées hors cour. Ces systèmes supposent que l’expérience d’une population donne les résultats les plus équitables pour tous. Ils ne sont pas capables de reconnaître les préjugés systématiques. On craint également que l’IA et les programmes automatisés ne permettent pas de reconnaître ou de saisir les problèmes complexes dans les relations, comme la coercition, le contrôle ou la peur (Bell, 2019).
L’utilisation de la vidéoconférence et des plateformes en ligne (p. ex., dépôt électronique, communication de documents, RLD, médiation en ligne) a aidé à maintenir les tribunaux canadiens en activité pendant la pandémie. Toutefois, l’analyse des médias a permis de relever un certain nombre de préoccupations liées au passage soudain à la technologie pour garder les tribunaux ouverts, notamment la possibilité de problèmes de protection de la vie privée et d’intégrité lors de la mise en Å“uvre de procédures judiciaires en ligne, ainsi que des obstacles pour certains, y compris les populations défavorisées qui ont un accès limité au Wi-Fi, aux téléphones cellulaires et aux ordinateurs, et celles qui ont une faible littératie numérique. Les articles des médias ont également soulevé la nécessité d’aller au-delà de l’adoption d’un ensemble disparate de plateformes et de ressources en ligne au sein du système judiciaire existant pour intégrer pleinement la technologie et faire entrer les tribunaux canadiens dans le XXIe siècle6.
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