Les jeunes provenant des communautés noires et le système de justice pénale : rapport sommaire sur un processus de mobilisation au Canada
Contexte
La population noire au Canada est diversifiée. Elle comprend des communautés qui existent depuis des générations partout au pays, ainsi que des groupes d’immigrants établis plus récemment, qui sont diversifiés du point de vue de l’ethnicité, de la langue, de la religion, de l’identité de genre, de l’orientation sexuelle et du pays d’origine. Malgré ces différences, le racisme à l’endroit des Noirs est l’une des caractéristiques communes de l’expérience des Noirs au Canada. Le racisme transcende les époques, les régions, les institutions et différents domaines de la vie sociale. Cela ne signifie pas que toutes les personnes noires au Canada vivent en tout temps le racisme de la même façon. Cela signifie plutôt qu’il existe au pays des formes de racisme structurel, systémique, institutionnel et individuel ayant une incidence négative sur l’expérience collective de la population noire, et par le fait même, sur la société canadienne en général. Cette réalité ressort des résultats différents qu’obtiennent les personnes noires comparativement à la plupart des autres Canadiens : possibilités de réussite éducative moindres, occasions d’emploi et d’avancement professionnel moindres, taux de pauvreté et de chômage supérieur, démêlés plus fréquents avec le SJP (DasGupta et coll., 2020; Owusu-Bempah et coll., 2021).
Le racisme à l’endroit des Noirs est bien ancré dans l’histoire du Canada, qui a connu le colonialisme, l’esclavage, la ségrégation et des pratiques d’immigration restrictives. L’esclavage a sévi pendant plus de 200 ans dans les colonies qui ont formé le Canada, et l’oppression des personnes noires a perduré bien longtemps après l’abolition de l’esclavage (Maynard, 2017). Par exemple, le tout premier titulaire du rôle de premier ministre du Canada, John A. Macdonald, a justifié le maintien de la peine de mort en raison du présumé danger que représentaient les hommes noirs pour les femmes blanches (Walker, 2010). De même, en 1911, le premier ministre Wilfred Laurier a signé un décret interdisant l’immigration des Noirs au motif que la race noire était considérée comme inadaptée [traduction] « au climat et aux exigences » du Canada (Shepard, 1997). Les gouvernements du Canada qui se sont succédé tentaient de restreindre l’immigration des Noirs, tandis que les membres de la petite population noire qui étaient déjà au pays étaient victimes de discrimination, y compris de ségrégation (tant sur le plan juridique que dans les faits) en ce qui a trait à l’éducation, à l’emploi et au logement (Henry et Tator, 2010). Cette histoire a ouvert la voie aux expériences des générations subséquentes de Canadiens noirs, et plus récemment, des nouveaux arrivants noirs, car elle a jeté les bases du racisme à l’endroit des Noirs qui persiste aujourd’hui (Owusu-Bempah et Gabbidon, 2020).
De nombreux groupes d’étude et de plus en plus de recherches font la lumière sur l’existence de racisme à l’endroit des Noirs au Canada (Commission on Systemic Racism in the Ontario Criminal Justice System, 1995; James, 2010; Commission ontarienne des droits de la personne, 2018; Patrimoine canadien, 2019a; Nova Scotia, 2019; Wortley, 2019). Ces éléments de preuve indiquent que les personnes noires s’en tirent mal dans des domaines clés qui sont pertinents du point de vue de la justice pénale, y compris la protection de l’enfance, l’éducation et l’emploi. Par exemple, en raison des iniquités structurelles, les enfants noirs sont surreprésentés dans les dossiers de protection de l’enfance (Borden Colley, 2019; Association ontarienne des sociétés de l’aide à l’enfance, 2016). Comme les contacts avec le système de protection de l’enfance augmentent les probabilités de démêlés avec le SJP ultérieurement, les enfants noirs sont touchés de façon disproportionnée par le lien entre le système de protection de l’enfance et le SJP (Jonson-Reid et Barth, 2000; Owusu-Bempah, 2010).
De même, le lien entre les faibles résultats scolaires et les démêlés avec le SJP est bien établi (Groot et van den Brink, 2010; Lochner et Morett, 2004). Des recherches indiquent que les étudiants noirs au Canada sont également confrontés à de multiples défis dans les systèmes scolaires, lesquels sont mal outillés pour répondre à leurs besoins sur le plan du développement, ainsi que sur le plan éducatif et émotionnel. Les étudiants noirs sont plus susceptibles d’être orientés vers des programmes non universitaires, de faire l’objet de pratiques disciplinaires injustes et d’abandonner l’école (ou d’en être renvoyés) (Collins et Magnan, 2018; James, 2012; James et Turner, 2017; George, 2020). Cela reflète le phénomène qu’on appelle le cheminement de l’école à la prison, par lequel les mauvais résultats scolaires attribuables aux établissements d’enseignement, l’absentéisme scolaire et le décrochage scolaire des jeunes noirs augmentent la probabilité que ces derniers aient des démêlés avec le SJP (Maynard, 2017).
Combinés à des formes de discrimination structurelle et institutionnelle, les obstacles à l’éducation créent des iniquités dans le secteur de l’emploi pour les personnes noires au Canada. Des données du Recensement du Canada de 2016 montrent que le taux de chômage de la population noire était environ deux fois plus élevé que celui du reste de la population (Do, 2020). Cet écart est demeuré stable même en tenant compte des niveaux de scolarité. De fait, parmi les titulaires d’un diplôme d’études postsecondaires, le taux de chômage de la population noire était beaucoup plus élevé que celui observé dans le reste de la population (9,2 % et 5,3 %, respectivement) (Do, 2020). Les personnes noires à la recherche d’un emploi sont exclues de façon disproportionnée du marché du travail, en partie en raison de la discrimination dont font preuve les employeurs (Henry et Ginzberg, 1985; Douthwright, 2017). Les personnes noires qui ont un emploi gagnent moins que leurs pairs, souvent en raison de la discrimination systémique, qui fait en sorte qu’ils occupent des postes au bas de l’échelle offrant peu de perspectives d’avancement professionnel. Les données du Recensement du Canada montrent qu’en 2015, le salaire médian des femmes noires était de 35 663 $, comparativement à 39 654 pour les autres femmes au pays. De même, le salaire médian des hommes noirs en 2015 était de 41 146 $, comparativement à 55 801 $ pour les autres hommes au pays (Do, 2020). Ces disparités dans les revenus étaient observées dans toutes les grandes villes canadiennes (Do, 2020).
Le taux d’emploi et les salaires inférieurs ont mené à une plus grande pauvreté chez la population noire au Canada. En 2016, les personnes noires de 25 à 59 ans étaient deux fois plus susceptibles de vivre en situation de faible revenu que le reste de la population du même groupe d’âge (Do, 2020). Souvent, la pauvreté est concentrée géographiquement, ce qui signifie que les personnes noires sont surreprésentées dans les quartiers défavorisés. Ces quartiers sont mal desservis par les services de transport en commun, les bibliothèques, les écoles, les hôpitaux et d’autres services importants (Hulchanski, 2010; Walks et Borne, 2006). Il s’agit des services mêmes qui créent des communautés solides et protègent les jeunes pour éviter que ceux-ci tombent dans la criminalité et la violence et deviennent membres d’un gang (McMurtry et Curling 2008, p. 31). L’absence de ces ressources sociales importantes et la pauvreté accrue font en sorte que les taux de criminalité et de victimisation demeurent élevés dans ces quartiers. Il en découle des styles de maintien de l’ordre plus concentrés et répressifs qui augmentent d’autant plus les démêlés avec le SJP (Hulchanski, 2010; Meng, 2017).
Ce bref survol des expériences historiques et contemporaines des personnes noires au Canada démontre que les personnes noires continuent d’être confrontées à des iniquités dans différentes institutions sociales. Cela entraîne une augmentation de leurs démêlés avec le SJP. Les conclusions du processus de mobilisation résumées dans le présent rapport doivent être interprétées en tenant compte des expériences passées et contemporaines vécues par les personnes noires au Canada.
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