Réponse du gouvernement du Canada au rapport de la Commission d’examen de la rémunération des juges sur la question de suspendre l’accumulation d’années de service ouvrant droit à pension pour les juges dont la révocation a été recommandée par le Conseil canadien de la magistrature

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Ceci est la réponse du gouvernement du Canada au rapport de la Commission d’examen de la rémunération des juges daté du 28 octobre 2019, lequel a été déposé devant les deux chambres du Parlement en décembre 2019. Cette réponse est présentée conformément au paragraphe 26(7) de la Loi sur les juges.

Le gouvernement souhaite remercier le président de la Commission, Me Gil Rémillard, ainsi que les deux autres membres de la Commission, Mme Margaret Bloodworth et M. Peter H. Griffin, pour leur travail, leur engagement et l’habilité avec laquelle ils ont mené le premier examen effectué au titre du paragraphe 26(4) de la Loi sur les juges. La rigueur et l’attention dont ils ont fait preuve en examinant la proposition du ministre de la Justice et les observations des participants, de même que leur gestion efficace du premier exercice de cette nature, sont inestimables.

Contexte

Compte tenu de la nature unique de l’examen quadriennal mené par la Commission et de l’importance des principes constitutionnels qui sont en jeu, il y a lieu de commencer par donner, comme dans les réponses précédentes, un aperçu du contexte dans lequel est établie la rémunération des juges, y compris les avantages sociaux.

Dans le Renvoi relatif à la rémunération des juges de la Cour provinciale (Î. P. É.), [1997] 3 R.C.S. 3, la Cour suprême du Canada a conclu que tout changement à la rémunération des juges devait préalablement faire l’objet d’un examen effectué par une commission « indépendante, efficace et objective ». À la suite de cette décision, la Loi sur les juges a été modifiée en vue de la création de la Commission d’examen de la rémunération des juges, communément appelée « Commission quadriennale », pour aider à établir la rémunération des juges nommés par le gouvernement fédéral et celle des officiers judiciaires, peu importe les tribunaux où ils siègent.

Le paragraphe 26(1) de la Loi sur les juges exige que la Commission quadriennale procède tous les quatre ans à un examen rigoureux de la rémunération des juges afin de s’assurer qu’elle est satisfaisante. La Commission est toujours composée de trois membres qui sont nommés pour un mandat de quatre ans avant le début de chaque examen quadriennal. De plus, la Loi sur les juges prévoit un processus permettant de saisir la Commission de questions particulières en tout temps. En effet, en vertu du paragraphe 26(4), le ministre de la Justice peut demander à la Commission d’examiner une question précise et fixer avec elle le délai de cet examen après l’avoir consultée à ce sujet. Qu’il s’agisse d’un examen quadriennal ou d’un examen demandé en vertu du paragraphe 26(4), la Commission doit tenir compte des mêmes facteurs, soit ceux énoncés au paragraphe 26(1.1) de la Loi :

  1. l’état de l’économie au Canada, y compris le coût de la vie ainsi que la situation économique et financière globale du gouvernement;
  2. le rôle de la sécurité financière des juges dans la préservation de l’indépendance judiciaire;
  3. le besoin de recruter les meilleurs candidats pour la magistrature;
  4. tout autre facteur objectif qu’elle considère comme pertinent.

À la suite d’un examen, selon ce que prévoit la Loi sur les juges, la Commission doit remettre un rapport au ministre de la Justice pour lui faire part de ses recommandations, et le ministre doit ensuite rendre ce rapport public en le déposant au Parlement, puis il doit y répondre publiquement dans les quatre mois suivant sa réception.

Réponse du gouvernement

Le gouvernement accepte intégralement les recommandations formulées par la Commission dans son rapport du 28 octobre 2019, et il proposera les modifications législatives nécessaires aussitôt que possible.

Il s’agissait du tout premier examen que la Commission effectuait à la suite d’une demande du ministre de la Justice présentée en vertu du paragraphe 26(4) de la Loi sur les juges. Dans sa lettre datée du 31 mai 2019, le ministre demandait à la Commission d’examiner une proposition de modification à la Loi sur les juges ayant pour but de suspendre l’accumulation d’années de service ouvrant droit à pension à compter de la date à laquelle le Conseil canadien de la magistrature (CCM) recommande la révocation d’un juge. Le ministre faisait remarquer que, selon cette modification, si le juge concerné choisissait de contester la recommandation de révocation devant les tribunaux, le délai ainsi occasionné n’aurait pas pour effet d’accroître ses années de service ouvrant droit à pension. La modification proposée par le ministre prévoyait également des mesures permettant la restitution intégrale de la période ouvrant droit à pension, comme si l’accumulation n’avait jamais cessé, dans l’éventualité où le juge obtiendrait gain de cause dans sa contestation judiciaire et ferait l’objet d’une décision définitive (sans possibilité d’appel) l’autorisant à reprendre ses fonctions.

En outre, dans le cas d’un juge déjà visé par une recommandation de révocation au moment de l’entrée en vigueur des modifications, le ministre proposait de ne pas retrancher le service accumulé ouvrant droit à pension avant l’entrée en vigueur des modifications, mais d’empêcher l’accumulation à compter de la date à laquelle elles entreraient en vigueur.

Le ministre a demandé l’examen de cette question en vertu du paragraphe 26(4) de la Loi sur les juges, parce qu’il était et demeure convaincu qu’il s’agit d’une question urgente pour préserver la confiance du public dans l’intégrité de la magistrature et du système judiciaire au Canada.

Aux termes de l’article 99 de la Loi constitutionnelle de 1867, les juges nommés par le gouvernement fédéral peuvent uniquement être révoqués par le gouverneur général, sur adresse des deux chambres du Parlement. De plus, dans les arrêts Therrien (Re), 2001 CSC 35, et Moreau Bérubé c. Nouveau Brunswick (Conseil de la magistrature), 2002 CSC 11, la Cour suprême du Canada a conclu que le principe de l’indépendance judiciaire exige d’accorder au juge la possibilité de se faire entendre au cours d’une audience équitable présidée par un juge impartial avant que ne puisse avoir lieu la révocation. La Loi sur les juges confère au CCM la responsabilité de voir au respect de cette exigence d’équité procédurale. Lorsque l’exigence a été respectée, la Loi exige que le CCM remette ensuite au ministre de la Justice un rapport et une recommandation au sujet de la révocation du juge. Ce rapport est public, et le juge visé a le droit de contester le rapport et la recommandation devant les tribunaux.

La Loi sur les juges accorde le droit aux juges nommés par le gouvernement fédéral de recevoir une pension égale aux deux tiers de leur traitement au moment de leur retraite. Un juge devient automatiquement admissible à une pleine pension s’il répond à l’une des trois conditions établissant les années de service minimales prévues par la loi. Les juges qui ne sont pas admissibles à une pleine pension peuvent avoir droit à une pension réduite (calculée au prorata), pourvu qu’ils répondent à certains critères d’admissibilité : avoir atteint l’âge de 55 ans et avoir au moins 10 années d’ancienneté dans la magistrature. La valeur de la pension réduite à laquelle un juge peut avoir droit dépend de son âge et de ses années d’ancienneté, mais il s’agit tout de même de sommes importantes. Les juges qui cessent leurs fonctions judiciaires avant de répondre à ces exigences ont uniquement droit au remboursement de leurs cotisations.

Dans le cas d’une recommandation de révocation par le CCM, la nature des modalités de pension peut donner l’impression que le juge a avantage à contester la recommandation de révocation afin de demeurer en poste jusqu’à la date lui donnant droit à une pleine pension ou à une pension réduite. Même si ce n’était pas l’intention du juge, la contestation pourrait néanmoins être perçue comme un moyen pour lui de tirer un avantage pécuniaire. Cette perception risque de miner la confiance du public dans l’intégrité des juges nommés par le gouvernement fédéral.

Dans son rapport du 28 octobre 2019, la Commission souscrit de manière générale à la proposition du ministre, et ses recommandations en la matière sont favorables à la mise en œuvre de ladite proposition.

La Commission souligne d’entrée de jeu que l’Association canadienne des juges des cours supérieures, les protonotaires de la Cour fédérale et le Barreau du Québec appuient la proposition du ministre. Seul un participant a contesté la proposition, soit le juge qui fait actuellement l’objet d’une recommandation de révocation du CCM et dont la contestation de cette recommandation est toujours devant les tribunaux.

Après avoir souligné que la confiance du public dans l’intégrité des juges et du système judiciaire est essentielle au bon fonctionnement de notre système démocratique, la Commission relève au paragraphe 22 que, selon la proposition du ministre, la suspension de l’accumulation d’années ouvrant droit à pension ne sera imposée de façon discrétionnaire ni par l’exécutif ni par le législatif. En revanche, elle s’appliquera automatiquement dès que seront remplies certaines conditions bien établies dans la loi et elle n’aura aucun effet sur le droit des juges de contester une recommandation de révocation. Par conséquent, la Commission a conclu, au paragraphe 23, que la proposition du ministre n’aura aucune incidence sur le caractère satisfaisant de la rémunération des juges. D’ailleurs, la Commission affirme ce qui suit au paragraphe 24 : « À notre avis, suspendre l’accumulation des années de service ouvrant droit à pension dès la publication d’un rapport du CCM recommandant la révocation d’un juge est une mesure raisonnable visant à favoriser la confiance du public dans le système judiciaire, surtout compte tenu du fait que cette mesure prévoira la reprise de l’accumulation en date même où elle a été suspendue dans le cas où une telle recommandation est infirmée ou rejetée. »

Cependant, malgré ces conclusions, la Commission a exprimé des réserves quant à la proposition du ministre de rendre ces modifications applicables aux juges qui font déjà l’objet d’une recommandation de révocation, au moment de leur entrée en vigueur. Aux paragraphes 28 et 29 de son rapport, la Commission mentionne ce qui suit :

[28] La Commission est d’avis que si la modification proposée au régime de rémunération des juges prévu à la partie I de la Loi sur les juges vise la modification des comportements, il conviendrait peut-être mieux de proposer des modifications aux procédures qui régissent le CCM durant une enquête afin de les simplifier.

[29] La Commission a examiné la modification proposée en fonction des critères énoncés au paragraphe 26(1.1) de la Loi sur les juges et [a] conclu qu’elle n’aurait aucune incidence sur le caractère satisfaisant des traitements et autres prestations prévues par la Loi ainsi que, de façon générale, les avantages pécuniaires consentis aux juges. Toutefois, la Commission ne formule aucun commentaire sur le moment où la modification proposée devrait entrer en vigueur, si ce n’est que pour souligner qu’il serait regrettable que la présentation du ministre et les conclusions du présent rapport aient une incidence négative sur ceux qui font l’objet de délibérations et de recommandations de la part du Conseil canadien de la magistrature et qui n’ont pas encore exercé les recours dont ils peuvent se prévaloir dans les limites de la loi.

Si la Commission propose que le gouvernement envisage de simplifier le processus disciplinaire de la magistrature, en particulier pour ce qui est des juges qui souhaitent contester une recommandation de révocation qui les concerne, le gouvernement est pleinement d’accord. La lettre de mandate du premier ministre au ministre de la Justice comprend un engagement à élaborer des propositions de réforme du processus déontologique de la magistrature fédérale.

Cependant, le gouvernement n’est pas d’avis que sa proposition de suspendre l’accumulation d’années de service ouvrant droit à pension est une mesure visant à modifier les comportements, ou plus précisément une mesure destinée à décourager les contestations judiciaires à l’encontre des recommandations de révocation des juges. Il est impossible d’abroger le droit d’un juge de demander un contrôle judiciaire relativement à l’équité d’un processus utilisé par le CCM pour parvenir à une recommandation de révocation. Même si c’était possible, il serait hautement déconseillé de le faire. Le ministre de la Justice qui examine une recommandation de révocation du CCM doit être convaincu que le processus ayant mené à cette recommandation était équitable. Ce n’est ni au ministre ni à la Chambre des communes de trancher une plainte relative à l’équité procédurale. La tâche ne peut en incomber qu’aux tribunaux, et à aucune autre instance. Par conséquent, même si l’on apportait des modifications législatives et des changements connexes qui permettraient d’améliorer le processus d’instruction des plaintes de juge contre le CCM en matière d’équité procédurale, les préoccupations qui ont donné lieu à la proposition du ministre à la Commission demeureraient inchangées. Pour résoudre ces préoccupations, il est nécessaire de mettre en œuvre les modifications proposées par le ministre et recommandées par la Commission.

Néanmoins, on peut supposer que, par ses remarques au paragraphe 29, la Commission voulait plus précisément dire qu’il ne serait peut-être pas équitable que les modifications proposées soient applicables aux juges qui font déjà l’objet d’une recommandation de révocation, au moment de leur entrée en vigueur. Si la Commission s’est gardée de formuler ces préoccupations sous forme de « recommandation », c’est peut-être parce qu’elles ne cadrent pas avec son mandat au titre du paragraphe 26(1.1) de la Loi sur les juges. Quoi qu’il en soit, le gouvernement est d’avis qu’il serait approprié de mettre en œuvre les modifications proposées de manière à respecter l’esprit du rapport de la Commission. Les modifications proposées seront donc mises en œuvre de façon à ne s’appliquer qu’aux juges qui feront l’objet d’une recommandation de révocation à la date d’entrée en vigueur ou après celle-ci.