État des lieux sur la situation de l'accès à la justice dans les deux langues officielles

Introduction

Contexte de l'étude

Depuis le pacte confédératif de 1867, les Canadiens et Canadiennes ont le droit d'utiliser le français et l'anglais devant les tribunaux du pays. Cette disposition constitutionnelle représente l'un des droits linguistiques fondamentaux à la base de la protection juridique et constitutionnelle de la dualité linguistique du Canada. De ce fait, la protection des droits linguistiques fait l'objet de plusieurs dispositions législatives du Parlement canadien et des législatures provinciales.

L'encadrement juridique de la prestation des services judiciaires et juridiques dans les deux langues officielles est plus élaboré au Manitoba, au Nouveau-Brunswick et au Québec. D'autres provinces ont adopté des lois provinciales ou conçu des politiques traitant des services judiciaires et juridiques offerts dans les langues officielles minoritaires.

Des études effectuées aux paliers fédéral et provincial démontrent cependant que des lacunes existent toujours quant à la disponibilité des services judiciaires et juridiques dans les langues officielles minoritaires. En outre, étant donné que le contexte linguistique et démographique dans lequel se trouvent les différentes provinces et territoires diffère, des défis particuliers s'y posent.

En 1995, le Commissaire aux langues officielles publiait un rapport intitulé L'utilisation équitable du français et de l'anglais devant les tribunaux au Canada. Cette étude présente une description des services judiciaires et juridiques dans chaque province et territoire et elle offre des recommandations pour l'amélioration de ces services. Le Commissaire souligne, entre autres, qu'au-delà de la reconnaissance législative du droit d'accéder au système de justice dans les deux langues officielles, il importe de reconnaître le rôle que joue l'appui des juges, des avocats et de tout le personnel judiciaire dans la mise en œuvre de ces droits.

Plusieurs provinces ont effectué leurs propres recherches ou évaluations dans ce domaine. Au Manitoba, le rapport Chartier examine la prestation de tous les services en français dans la province et recommande l'établissement d'une cour bilingue. En Ontario, le professeur Marc Cousineau a préparé une étude similaire pour le compte du Procureur général de la province. Une étude de l'AJEF de la Saskatchewan recommande l'instauration d'une cour provinciale bilingue itinérante. D'autres études ont également été menées au Nouveau-Brunswick et en Nouvelle-Écosse.

En 1999, l'arrêt Beaulac de la Cour suprême du Canada a établi un nouveau contexte de reconnaissance des droits linguistiques en matière judiciaire. Ce jugement a précisé l'obligation des gouvernements fédéral et provinciaux d'instaurer le bilinguisme institutionnel au sein des tribunaux et d'assurer l'égalité d'accès à des services de qualité égale aux justiciables des collectivités de langue officielle minoritaire.

Le ministère de la Justice du Canada désire maintenant approfondir cette question en identifiant les obstacles, en documentant les difficultés et en explorant des pistes concrètes de solution permettant d'améliorer l'accès à la justice dans les langues officielles minoritaires.

Mandat

PGF/GTA Recherche a reçu le mandat, de la part du Ministère de la Justice du Canada, d'effectuer une étude nationale intitulée État des lieux sur la situation de l'accès à la justice dans les deux langues officielles. Dans le cadre de cette étude, il s'agit de dresser un portrait de l'accès aux services judiciaires et juridiques dans l'une et l'autre langue officielle minoritaire[1] ainsi que d'identifier les besoins spécifiques des provinces et territoires. Cet exercice a pour but de faciliter l'adoption, dans les sphères de compétence fédérale, de mesures adaptées.

Objectifs

Les objectifs de l'étude sont les suivants :

Plus précisément, il s'agit de présenter les éléments suivants :

Méthodologie

Afin de rencontrer ces objectifs, l'équipe de recherche a mis en œuvre la démarche suivante :

Revue de la littérature et de documents

La revue de la littérature et des documents pertinents nous a conduits à recenser et à analyser la recherche théorique et appliquée touchant à l'accès à la justice dans l'une et l'autre langue officielle minoritaire. Cette tâche a fait l'objet d'un rapport détaillé soumis au ministère de la Justice du Canada sous pli séparé.

Le premier chapitre du présent rapport intitulé « Historique des droits linguistiques au Canada », constitue une synthèse de la revue de littérature effectuée dans le cadre de ce mandat.

Collecte de données

L'équipe de recherche a produit différents instruments de collecte de données, sondage, questionnaires, guides d'entrevues et groupes de discussion, pour obtenir de l'information aussi précise que possible auprès de différentes catégories de répondants. Ces instruments sont présentés dans les annexes 1 à 6 du présent rapport.

Type d'instruments Catégories de répondants Nombre de répondants
Sondages Juristes au Québec et Hors Québec 266
Protocole d'entrevues Juges au Québec et Hors Québec 14
Protocole d'entrevues Représentants des provinces 7
Questionnaire Procureurs-chefs fédéraux et Procureurs-chefs provinciaux 13
Protocole d'entrevues Auxiliaires de justice 37
Protocole d'entrevues Présidents des AJEF 7
Groupes de consultation Avocats de pratique privée au Québec et hors-Québec 14
Total 358

On peut constater, dans le tableau précédent, que 358 personnes ont contribué à la collecte de données et ont fourni des informations sur lesquelles l'analyse de ce rapport est fondée.

Sondages auprès des juristes et des avocats de pratique privée au Québec et hors Québec

Deux sondages, contenant une majorité de questions fermées et quelques questions ouvertes, ont été élaborés, l'un en français pour les juristes francophones hors Québec et l'autre en anglais pour les avocats du Québec. Ces sondages portaient sur l'offre et la demande de services judiciaires et juridiques offerts dans la langue officielle minoritaire, les obstacles auxquels font face celles et ceux désirant recourir à ces services et les pistes pouvant être explorées pour améliorer les services offerts.

Environ 900 juristes et avocats pratiquant le droit en français dans les 12 juridictions hors Québec (neuf provinces et trois territoires) et environ 450 avocats pratiquant le droit en anglais au Québec ont été rejoints par voie électronique ou par téléphone et invités à répondre au sondage. Dans les sept provinces suivantes : la Nouvelle-Écosse, le Nouveau-Brunswick, l'Ontario, le Manitoba, la Saskatchewan, l'Alberta et la Colombie-Britannique, les juristes sollicités sont les membres des associations provinciales des juristes d'expression française.

Dans les provinces et territoires où il n'y a pas d'AJEF (Terre-Neuve-et-Labrador, Île-du-Prince-Édouard, Yukon, Territoires du Nord-Ouest et Nunavut), des avocats de pratique privée ont été identifiés grâce à des personnes ressources au ministère de la Justice et par les experts conseils. En ce qui concerne le Québec, le « Quebec Community Groups Network » nous a aidé à identifier des avocats à partir d'une liste des membres du Barreau du Québec. Celle-ci a été établie spécifiquement pour l'étude à partir de la langue maternelle des membres inscrits au Tableau de l'Ordre.

Comme le taux de réponses au sondage électronique était généralement bas dans toutes les juridictions, nous avons complété la cueillette des données du sondage par entrevues téléphoniques dans toutes les provinces à l'exception du Nouveau-Brunswick.

Le taux global de réponses au sondage pour les juridictions hors Québec est de 24% et au Québec il est de 12%.

Consultations auprès d'autres intervenants dans le système de justice 

En plus des avocats de pratique privée, des représentants des ministères provinciaux, des juges, des procureurs de la Couronne, des auxiliaires de justice et des représentants des AJEF, ont été invités à répondre à une entrevue téléphonique ou un questionnaire. Ces instruments de cueillette de données portaient sur l'offre et la demande de services judiciaires et juridiques dans la langue officielle minoritaire, les obstacles à l'accès au système de justice dans la langue officielle minoritaire et les pistes de solutions et initiatives aptes à améliorer la situation de l'accès à la justice dans les deux langues officielles.

Comme le nombre de répondants par catégorie est restreint dans chaque province et territoire, nous n'identifions pas les répondants par catégorie afin de conserver leur anonymat et la confidentialité de leurs réponses.

Nous avons animé deux groupes de discussion (focus groups) réunissant des juristes engagés dans diverses juridictions. Cette approche a permis d'approfondir certains enjeux et questions clés. Dans le cadre de cet exercice, 11 juristes exerçant en français dans des provinces à majorité anglophone se sont penchés sur la prestation de services judiciaires et juridiques en français et quatre juristes exerçant en anglais au Québec se sont penchés sur la prestation de services judiciaires et juridiques en anglais dans cette province.

Rapport final

Le rapport final présente l'analyse de l'information recueillie dans les étapes décrites ci-dessus. Il est divisé en juridiction, présentant un profil pour chacune des dix provinces et des trois territoires. Pour chacune des juridictions, nous suivons le même cadre d'analyse soit : une élaboration de la structure du système judiciaire, un portrait de la communauté francophone, un profil des répondants au sondage, un aperçu de la demande et l'offre de services dans la langue officielle minoritaire, l'identification des obstacles à l'accès à la justice dans la langue officielle minoritaire, les pistes de solutions proposées.

Les données quantitatives que nous avons recueillies à l'aide du sondage sont appuyées, nuancées ou questionnées à la lumière des données qualitatives recueillies à l'aide d'entrevues, de questionnaires et de groupes de discussion. Bien que le cadre d'analyse soit uniforme, l'envergure de l'analyse, dans certaines provinces ou concernant certains éléments, peut toutefois varier notamment en vertu de l'étendue de l'échantillon et de la qualité de l'information recueillie.

Nous avons retenu quatre variables comme étant structurantes », c'est-à-dire pouvant avoir une influence sur la question à l'étude et permettant d'en dégager les grandes tendances : le district judiciaire, la langue maternelle, la langue de travail et l'Université où les études ont été poursuivies. Toutefois, ces quatre variables n'ont pas un degré de pertinence identique même là où les nombres sont suffisants pour faire des constats valables à cet effet. Ainsi, nous exploitons seulement ces variables en tant qu'éléments structurants lorsque le nombre de répondants le permet et qu'un écart assez important apparaît.

Le rapport comprend également une synthèse nationale permettant d'établir des liens entre les différentes réalités au pays, parmi lesquelles la satisfaction globale à l'égard des services judiciaires et juridiques dans la langue de la minorité, la situation de l'offre et de la demande, les principaux obstacles, les pistes de solutions et les pratiques novatrices exemplaires.