Bijuridisme et harmonisation : Genèse
Préface
Mario Dion, sous-ministre délégué, Secteur du droit civil et de la gestion ministérielle, ministère de la Justice du Canada
Il me fait plaisir, à titre de sous-ministre délégué responsable du droit civil, d'être associé à la publication du présent volume et d'avoir le privilège d'en rédiger la préface. Afin de bien situer dans son contexte ce deuxième recueil, je me propose de vous entretenir de l'historique de la démarche d'harmonisation du gouvernement fédéral, du Programme d'harmonisation actuel, de même que de ce second recueil à plus proprement parler tant au niveau de sa raison d'être que de son contenu.
Tout d'abord, mentionnons que le Canada est le seul pays du G-8 où le bijuridisme s'actualise par un programme formel émanant du gouvernement national. En effet, selon les sources disponibles, il s'agirait du seul État où la législation nationale est véritablement inspirée par deux systèmes de droit différents. Le partage des pouvoirs prévu dans la Loi constitutionnelle de 1867 confère la compétence en matière de propriété et de droits civils aux provinces, à l'exception des matières soumises à la compétence fédérale telles que les banques, le mariage et le divorce et la faillite et l'insolvabilité. La compétence provinciale en matière de propriété et de droits civils est la raison de la coexistence de deux systèmes de droit privé au Canada : le droit civil au Québec et la common law dans les autres provinces et territoires canadiens.
Il est essentiel de rappeler que cette actualisation du bijuridisme dans la législation fédérale ne s'est déclenchée toutefois de manière formelle que lors de l'actualisation de la réforme du Code civil entreprise par le gouvernement du Québec en 1955 qui a mené à la mise en vigueur, le 1er janvier 1994, du Code civil du Québec. Les changements de fond prévus par cette réforme ont entraîné la modification de près de 80 % des dispositions du Code civil du Bas Canada. En guise de réponse à cette réforme touchant le quart de la population canadienne, le gouvernement fédéral a mis en place un programme pour assurer l'arrimage de sa législation avec les termes et concepts du nouveau Code civil du Québec. En 1993, le gouvernement a mis sur pied une petite équipe responsable d'harmoniser la législation fédérale avec les nouveaux concepts, notions et institutions du système de droit civil de la province de Québec.
Malgré l'existence d'une politique de corédaction depuis 1978, les textes législatifs et réglementaires fédéraux demeuraient incomplets en ce qu'ils ne reflétaient pas les quatre auditoires juridiques présents au Canada à savoir, les civilistes francophones, les civilistes anglophones, les juristes de common law francophones et les juristes de common law anglophones. La Section du Code civil a été créée en 1993, entre autres, pour harmoniser la législation fédérale avec le Code civil du Québec. La Section du Code civil s'est vu confier, peu de temps après, la tâche additionnelle de s'assurer que la législation fédérale corresponde aux quatre auditoires juridiques du Canada et soit ainsi parfaitement bijuridique. Ce changement s'est produit malgré une période de coupures budgétaires importantes qui sévissait alors au sein de l'appareil gouvernemental fédéral.
Depuis 1999, le Programme d'harmonisation de la législation fédérale avec le droit civil de la province de Québec bénéficie de ressources permanentes et compte actuellement une cinquantaine de personnes, dont plusieurs juristes pour qui ce Programme représente une option différente de la pratique traditionnelle du droit. Le Programme est mis en oeuvre par la Section du Code civil dont le travail en est un surtout de recherche juridique et de rédaction de propositions de modifications législatives propres à rendre la législation fédérale entièrement bijuridique.
À ce jour, trois projets de loi ont été déposés au Parlement, le premier, connu comme le projet de loi C-50, avait été déposé à la Chambre des communes le 11 juin 1998 et n'a pu être sanctionné avant la prorogation de l'automne 1999. Le second dépôt a eu lieu le 11 mai 2000, cette fois devant le Sénat (S-22), mais a connu le même sort en raison du déclenchement des élections fédérales en octobre de la même année. Le projet de loi S-4 qui reprend essentiellement le contenu des projets précédents, a été déposé au Sénat le 31 janvier 2001.
Nous aimerions remercier le ministère de la Justice du Québec, de même que le Barreau du Québec et la Chambre des notaires du Québec, pour leur précieuse collaboration dans le cadre des consultations qui ont précédé le dépôt de ces projets de loi. Sans leur appui, les travaux effectués dans le cadre du Programme d'harmonisation auraient été plus difficiles.
Il importe de rappeler que l'harmonisation était jusqu'alors un domaine inexploré. La Section du Code civil a d'abord développé une nouvelle méthodologie de travail qui leur permettrait d'identifier et de corriger les problèmes de bijuridisme et de s'assurer que les deux systèmes juridiques sont visibles et véritablement respectés. C'est donc à force d'expériences et d'originalité que se sont établis les procédés méthodologiques nécessaires au travail d'harmonisateur que nous vous présentons d'ailleurs dans ce recueil.
Le ministère de la Justice, dans un désir de faire connaître le bijuridisme canadien, s'est doté d'une stratégie de promotion portant explicitement sur le bijuridisme canadien. Cette stratégie comprend cinq axes d'activités passant de la coordination ministérielle des initiatives en matière de bijuridisme, par la formation, au rayonnement du bijuridisme canadien autant à l'intérieur du Ministère qu'au sein de la fonction publique et de la communauté juridique canadienne. Plusieurs acteurs, par une gamme d'activités et d'initiatives, agissent dans le cadre de cette stratégie et contribuent à la promotion du bijuridisme canadien comme avantage concurrentiel des juristes canadiens dans le cadre de la mondialisation des marchés et de la multiplication des structures supranationales telles que l'Union européenne et l'Organisation des États américains
Dans ce cadre, la Section du Code civil a établi un programme de contrats de recherche pour les étudiants en droit des cycles supérieurs et publie divers textes dans certaines revues juridiques. Elle a choisi d'en colliger un certain nombre dans le présent recueil.
La Section du Code civil avait d'abord publié un premier recueil constitué exclusivement d'articles de professeurs et autres experts du monde juridique ayant procédé à certaines études relatives à l'harmonisation de la législation fédérale avec le droit civil pour le compte de la Section du Code civil, de même qu'à d'autres visant le bijuridisme canadien. Ce premier recueil avait été accueilli très favorablement non seulement par les hautes instances tant judiciaires qu'universitaires et juridiques, mais aussi par un certain nombre de praticiens. Il apparaît clair que depuis la publication de ce premier recueil, l'intérêt pour le bijuridisme canadien et pour le Programme d'harmonisation du ministère fédéral de la Justice est sans cesse grandissant. Des conférences ont été prononcées à plusieurs occasions devant divers fora et la Faculté de droit de l'Université d'Ottawa y a même consacré récemment un pan important d'un colloque international.
Je suis donc très heureux de la publication de ce deuxième recueil qui regroupe des textes en majorité rédigés par des juristes à l'emploi de la Section du Code civil, certains d'entre eux ayant d'ailleurs été embauchés dans le cadre de la mise en place de ce Programme, et aussi par des collaborateurs précieux issus d'autres groupes du Ministère. Ces contributions reflètent nos efforts pour décloisonner les horizons de notre compréhension du bijuridisme et étendre ses implications à d'autres contextes que la seule présence des concepts et notions issus des deux systèmes de droit dans la législation et la réglementation fédérales.
La sortie de ce recueil à l'occasion du Congrès du Barreau du Québec de mai 2001 assure une meilleure connaissance du Programme d'harmonisation ainsi que des particularités du bijuridisme canadien dans l'ensemble de la communauté juridique du Québec et même d'ailleurs. De plus, il s'agit d'une belle occasion pour les Canadiens de recevoir une partie de l'investissement important qu'ils ont déjà fait dans ce projet.
Certaines caractéristiques de ce recueil, soit son existence en version bilingue, de même que sa disponibilité sur support informatique, en font un produit aisément accessible par la communauté juridique canadienne et internationale. Quoique la question intéresse d'abord les civilistes, il est clair que de plus en plus de nos collègues common lawyers se rendent compte que l'interpénétration des systèmes de droit fait son entrée partout dans le monde.
Quant à son format permettant les mises à jour et les ajouts, il confirme que le travail en matière de bijuridisme canadien progresse toujours et que le ministère de la Justice du Canada a la ferme intention de partager ses connaissances au fur et à mesure de leur évolution. Le droit émanant de ces travaux est un droit savant pour lequel les acteurs et le ministère doivent être reconnus mais qui doit également bénéficier aux Canadiens s'intéressant à cette question.
Afin de vous permettre de mieux apprécier la valeur de cette collection d'articles, permettez-moi de vous toucher un mot sur son contenu. Comme nous l'avons indiqué précédemment, nous avons élaboré une méthodologie du travail d'harmonisation que nous vous présentons en amont des textes plus rigoureux qui portent essentiellement sur des notions précises dans les domaines du droit de la faillite, du droit fiscal et du droit des sûretés ayant fait l'objet d'une proposition de modification législative au cours des dernières années.
Certains textes réfèrent directement au parcours parlementaire du plus récent projet de loi déposé dans le cadre de cette initiative afin de permettre aux lecteurs de mieux comprendre l'aboutissement des recherches effectuées par les juristes de la Section du Code civil et parfois d'ailleurs. Il est utile de mentionner que ce projet de loi est toujours le premier à être considéré par le Parlement. Il comprend donc dans ses premiers articles, de même que dans son préambule, les déclarations de principes en lien avec le bijuridisme canadien. L'impact, entre autres, de ces déclarations dans la Loi d'interprétation canadienne est discuté par Me Henry Molot au sein du présent volume.
Ayant comme objectif de démontrer l'importance de la démarche d'harmonisation entreprise par le gouvernement fédéral, nous incluons un fascicule faisant état de la contribution de la Cour suprême du Canada en matière de bijuridisme. Toutefois, l'engouement pour cette démarche dépassant les frontières, nous vous offrons un aperçu de la réalité bijuridique dans le monde après avoir disserté sur la nature des rapports diversifiés qui unissent, au Canada, les deux traditions juridiques qui y coexistent.
Le recueil regroupe d'autre part des discours prononcés autant par la ministre et plusieurs employés du Ministère sur le sujet du bijuridisme canadien et du Programme d'harmonisation. Vous serez à même de constater que le message se transpose dans plusieurs situations, lesquelles permettent toutes de faire rayonner la situation juridique particulière canadienne et l'importante contribution que les juristes du Ministère peuvent apporter dans le cadre de travaux semblables qui ont cours dans le monde.
Finalement, nous incluons malgré tout, dans le corps de ce recueil scientifique, un petit texte humoristique préparé par un des jeunes juristes de la Section du Code civil arrivé lors de sa mise en place, qui explique comment ce Programme d'harmonisation a permis à plusieurs de se trouver un emploi intéressant, original et ce, malgré le peu d'expérience alors acquise en tant que juriste. Ce texte se veut une sensibilisation à ce nouveau créneau auprès des jeunes juristes et étudiants en droit qui recherchent une voie alternative aux fonctions traditionnelles des professions d'avocat ou de notaire.
Je terminerai en remerciant tous les auteurs des articles contenus dans ce recueil de la rigueur et de l'énergie consacrées à la rédaction de leur texte tout en reconnaissant l'imposante tâche de travail et l'horaire chargé qui leur est déjà imposé par leur emploi régulier au sein du ministère de la Justice du Canada.
De plus, nous sommes très heureux d'être associés à l'organisation du Congrès du Barreau du Québec 2001 où le thème du bijuridisme aura une place de choix. L'association fructueuse entre notre Ministère et le Barreau du Québec en ce domaine remonte au tout début des années 1990 et se poursuivra encore, nous l'espérons.
Je souhaite à tous ceux et celles qui entreprendront la lecture de ce volume d'y retrouver des concepts juridiques qui stimuleront le développement de la recherche tout en étant utiles à leur travail ou à tout le moins qui viendra rassasier la curiosité qui caractérise les juristes en général.
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