Consultations sur l’aide médicale à mourir – Résumé des résultats et des principales constatations

Annexe F : Synthèse des mémoires reçus

15 décembre 2015

Synthèse

Des milliers de Canadiens ont répondu à l'invitation du Comité externe sur les options de réponse législative à Carter c. Canada (le Comité) et ont exprimé leur point de vue. Il était possible de contribuer de trois façons : en répondant au questionnaire en ligne du Comité, le cahier de questions; en rédigeant un mémoire; et en participant aux consultations directes sur invitation. Ce document résume plus de 300 mémoires reçus du 2 août au 19 octobre 2015.

Les mémoires variaient sous tous les angles possibles : par leur longueur, leur contenu, leur ton et leur style. Certains prenaient la forme d'ouvrages complets et de thèses savantes, d'autres exprimaient des points de vue informels et sincères en à peine quelques lignes. Plusieurs décrivaient l'expérience de fin de vie d'un parent ou d'un ami. D'autres faisaient référence à des textes religieux, des philosophes ou des érudits. Concernant plusieurs éléments majeurs, comme la question de savoir si le Canada devrait légaliser l'aide médicale à mourir, des points de vue diamétralement opposés ont été exprimés. Plusieurs personnes voient les enjeux pertinents selon une vision absolutiste : comme un reflet des principes moraux et éthiques du Canada.

Même si les points de vue exprimés semblent inconciliables, les mémoires indiquent une préoccupation claire quant à plusieurs thèmes, enjeux et questions clés inspirés par la décision de la Cour suprême. Ce rapport met l'accent sur ceux-ci, dans une tentative de résumer l'afflux remarquable et précieux d'opinions et de réflexions des Canadiens.

Partie 1 : Les principaux enjeux

Le principal enjeu soulevé et considéré dans les mémoires, et celui qui sème le plus la division, est à savoir si le Canada devrait modifier la loi fédérale et légaliser l'aide médicale à mourir. La plupart des mémoires expriment un point de vue absolutiste : l'aide médicale à mourir doit être autorisée ou ne devrait jamais être autorisée. Et nombre de mémoires soutiennent ces positions à l'aide d'arguments articulés, poussés et bien documentés.

De nombreux mémoires demandent au gouvernement du Canada de déroger de la décision de la Cour suprême en invoquant l'article 33 de la Charte – appelé « la clause nonobstant ». Certains des mémoires recommandant cette solution ne prennent pas position sur l'aide médicale à mourir, mais font plutôt valoir que la date limite imposée par la Cour suprême ne laisse pas suffisamment de temps pour identifier, élaborer et mettre en œuvre une solution législative efficace. Nombre de mémoires réprouvent que la Cour suprême du Canada n'ait pas défini les termes clés, comme « adulte capable » et « problèmes de santé graves et irrémédiables »; certains proposent leurs propres définitions ou suggèrent des termes totalement différents.

Même si la plupart des mémoires demandent au Parlement de prendre des mesures concrètes, les vues concernant la structure d'un régime de réglementation de l'aide médicale à mourir varient considérablement. Plusieurs mémoires insistent pour que le régime relève des compétences du fédéral et comporte des normes précises, des critères d'admissibilité ainsi que des exigences de surveillance et de rapport s'appliquant à travers le pays. D'autres mémoires demandent plutôt des régimes provinciaux alignés sur les considérations régionales. Il y a aussi une diversité d'opinions significative quant aux rôles que devraient jouer les professionnels des domaines juridique et de la santé dans un régime permettant l'aide médicale à mourir. Certains mémoires indiquent que l'aide médicale à mourir devrait nécessiter l'autorisation d'un comité spécial incluant un juge par exemple. D'autres mentionnent que l'autorisation de l'aide à mourir ne devrait reposer que sur le consentement de deux médecins indépendants.

Parmi les mémoires reçus, le troisième enjeu semant le plus la division implique la liberté de conscience des travailleurs et des institutions de la santé. Nombre de mémoires affirment qu'une protection juridique explicite est nécessaire pour s'assurer que les travailleurs de la santé qui refusent de participer à l'aide médicale à mourir ne subissent aucune conséquence. Un élément clé est de savoir si les médecins qui rejettent l'aide à mourir devraient être légalement tenus de référer les patients pour qu'ils obtiennent le service; une fois de plus, il n'existe pas de consensus sur ce point. De même, les opinions sont divisées à savoir si les institutions de soins de santé, comme les hôpitaux, devraient être tenues d'accéder aux demandes d'aide à mourir. Certains mémoires suggèrent de n'offrir l'aide à mourir que dans des installations distinctes des institutions de soins de santé traditionnelles.

Le dernier enjeu fréquemment soulevé touche la relation entre l'aide médicale à mourir et les soins palliatifs. En fait, le point de vue le plus souvent exprimé est peut-être celui que les Canadiens doivent avoir un meilleur accès à des soins palliatifs de grande qualité. Plusieurs mémoires suggèrent que l'accès limité à de tels soins est un des principaux facteurs contribuant à demander l'aide à mourir. D'autres préoccupations sont également fréquemment exprimées, à savoir que l'aide médicale à mourir et les soins palliatifs devraient être séparés et distincts; que l'aide médicale à mourir ne devrait jamais être pratiquée dans une installation de soins palliatifs; et que les professionnels impliqués ne devraient jamais être tenus ou contraints de participer à l'aide médicale à mourir.

Partie 2 : Les risques

Les mémoires énoncent clairement que le principal risque est celui d'une mort injustifiée. La cause le plus souvent invoquée lorsqu'il est question de mort injustifiée est celle de l'erreur de processus : que le processus ne tienne pas compte des personnes qui changeraient d'idée après avoir consenti à l'aide à mourir par exemple, ou qu'un fondé de pouvoir quant aux soins médicaux d'une personne n'agisse pas dans le meilleur intérêt de celle-ci. Plusieurs mémoires signalent le conflit d'intérêt possible lorsque le fondé de pouvoir se trouvera également à bénéficier (p. ex. par héritage) du décès de quelqu'un.

Nombre de mémoires soutiennent que légaliser l'aide médicale à mourir entraînera une augmentation du mauvais traitement des groupes vulnérables, comme les personnes âgées et celles souffrant d'un handicap physique ou mental. Certains voient un risque significatif particulier dans la nature épisodique de nombreuses maladies mentales; une personne vivant un épisode aigu mais temporaire de maladie mentale pourrait demander et obtenir l'aide médicale à mourir.

Quelques mémoires signalent un risque difficile à mesurer : une perte de respect pour les personnes âgées, les personnes handicapées et les autres personnes vulnérables. Une idée maintes fois exprimée est que lorsque la mort est considérée comme une façon d'éviter d'éventuelles souffrances possibles et leurs conséquences – tant pour les individus que pour leurs proches et leurs amis – les groupes vulnérables courent un plus grand risque de préjudice.

Un autre risque identifié dans nombre de mémoires est que l'aide médicale à mourir pourrait avoir des effets négatifs sur le système de santé : elle pourrait augmenter la détresse morale et l'épuisement professionnel chez les travailleurs de la santé qui croient à la primauté de la vie et au principe de « avant tout, ne pas nuire ». Au moins un mémoire identifie un risque potentiellement accru de responsabilité juridique pour les infirmières qui aident ou conseillent des patients en fin de vie.

De nombreux mémoires explorent les liens entre l'aide médicale à mourir et les soins palliatifs. Certains suggèrent que légaliser l'aide à mourir aura des effets inévitables et préjudiciables sur la qualité et la disponibilité des soins palliatifs. Quelques mémoires prédisent qu'une crainte de l'aide à mourir pourrait donner lieu à un report des références en soins palliatifs et à une réduction de l'accès à ces soins. Une idée maintes fois exprimée est qu'accroître la qualité et la disponibilité des soins palliatifs éliminerait (ou réduirait considérablement) les demandes d'aide à mourir.

Plusieurs des risques perçus sont directement liés aux processus de l'aide médicale à mourir, lesquels n'ont pas encore été développés. Il est ainsi mentionné qu'une formation inadéquate des personnes impliquées dans l'aide médicale à mourir pourrait entraîner des conséquences négatives, et que des autorités davantage permissives pourraient ne pas respecter scrupuleusement les exigences juridiques. Certaines mémoires assument que le processus de l'aide à mourir exigera un consentement donné au moment même, ce qui ne pourra être possible dans certains cas en raison de la détérioration de l'état de santé d'une personne.

Le concept de la prétendue pente glissante – voulant que légaliser l'aide médicale à mourir dans des circonstances très limitées donnera éventuellement lieu à une admissibilité considérablement accrue – revient dans nombre de mémoires. Certains affirment que les données provenant de territoires où l'aide médicale à mourir est autorisée (Pays-Bas, Belgique, Suisse et Oregon) prouvent la théorie de la pente glissante; d'autres prétendent que ces données réfutent plutôt la théorie.

Au moins un mémoire suggère que l'autorisation de mise sur le marché de Santé Canada n'autorise actuellement pas l'utilisation de médicaments aux doses requises par l'aide médicale à mourir. À défaut d'une précision dans la loi, les travailleurs de la santé pourraient être exposés à une responsabilité juridique accrue.

Quelques mémoires font ressortir les risques associés à l'élaboration – ou à la non élaboration – d'un régime de réglementation. Des règlements trop stricts pourraient mettre en péril l'autonomie du patient par exemple, tandis que des politiques priorisant l'autonomie du patient pourraient accroître les préjudices pour les patients, leur famille et la société. Enfin, certains mémoires soutiennent que ne pas mettre au point une législation pourrait créer un vide juridique et mener à des pratiques et des politiques incohérentes.

Partie 3 : Les mesures de sauvegarde

La nécessité d'inclure des mesures de sauvegarde explicites dans la loi et les règlements connexes revenait souvent dans les mémoires. Plusieurs insistaient sur l'importance d'une définition précise des principaux termes, comme maladie terminale ou consentement du patient, et des procédures et processus prescrits. Certains mémoires suggéraient que la loi exprime clairement que l'aide médicale à mourir n'est pas un acte médical mais une exception aux lois contre l'homicide.

Tel que noté précédemment, les perceptions diffèrent quant à l'autorité qui devrait chapeauter l'aide médicale à mourir et sa sûreté. Certains croient qu'il serait préférable que l'aide médicale à mourir soit un acte criminel relevant de la compétence fédérale, alors que d'autres croient que l'aide médicale à mourir serait plus sure si elle était du ressort des gouvernements provinciaux.

Une idée commune à plusieurs mémoires est le besoin d'avoir une (ou plusieurs) agence indépendante chargée de la supervision. Certains demandent que cette entité ait un rôle préliminaire – afin de trier les demandes d'aide à mourir – et d'autres demandent plutôt de lui attribuer un rôle subséquent – pour examiner les cas antérieurs, identifier les tendances et les enjeux, et recommander des améliorations à apporter aux politiques et aux procédures. Quelques mémoires demandent une révision judiciaire triennale de l'aide médicale à mourir.

Il n'y a pas non plus de consensus quant à la composition de ces agences; certains demandent l'implication d'au moins un juge de la Cour fédérale, et d'autres les limiteraient aux médecins. Plusieurs mémoires citent la Commission du consentement et de la capacité de l'Ontario comme un exemple de comité d'examen.

L'idée le plus souvent identifiée comme mesure de sauvegarde renvoie au processus de l'aide médicale à mourir : les étapes qu'un individu devrait franchir pour avoir accès au service. La variété de mesures de sauvegarde suggérées est vaste. Plusieurs mémoires réclament que deux évaluations du patient soient réalisées par des médecins indépendants. D'autres demandent que des évaluations soient effectuées par une équipe multidisciplinaire, soit une équipe interprofessionnelle composée d'au moins un médecin, un psychiatre et un autre spécialiste comme un travailleur social.

Les mesures de sauvegarde liées au consentement varient également considérablement. Certains mémoires indiquent que le consentement devrait être requis tant à l'avance qu'immédiatement avant la mort. D'autres mémoires notent toutefois que le consentement immédiatement avant la mort (aussi appelé le consentement donné au moment même) s'avérera impossible dans certains cas où l'état de la personne se sera détérioré au-delà d'un certain point.

Une inquiétude connexe mentionnée dans nombre de mémoires est celle de la capacité : la capacité d'une personne à faire un choix éclairé. Les mémoires de plusieurs spécialistes en santé mentale soulignent l'absence de normes scientifiques permettant d'évaluer la capacité de manière précise et constante.

Une mesure de sauvegarde qui revient dans plusieurs mémoires a trait à la documentation et à l'établissement de rapports : que ceux qui sont impliqués dans les procédures d'aide médicale à mourir consignent des renseignements spécifiques à propos des demandes d'aide à mourir, des efforts de counseling, des procédures de consentement et d'autres interactions pertinentes. Plusieurs soulignent que les médecins et les travailleurs de la santé devraient être tenus de faire rapport de toutes les demandes d'aide médicale à mourir.

Certains mémoires suggèrent qu'une mesure de sauvegarde efficace consisterait à clarifier les rôles et les responsabilités de tous les intervenants impliqués dans l'aide médicale à mourir – des médecins et autres professionnels de la santé aux travailleurs sociaux et conseillers. Quelques mémoires suggèrent la création d'un nouveau professionnel autorisé – un euthanasiste ou euthanologue – qui aurait la responsabilité principale de la procédure. Certains suggèrent même que les médecins ne soient pas autorisés à dispenser l'aide à mourir.

Un élément important présent dans de nombreux mémoires provenant de professionnels de la santé est le besoin de protéger la liberté de conscience des travailleurs de la santé. Quelques mémoires indiquent que les travailleurs de la santé devraient pouvoir s'exclure complètement de l'aide médicale à mourir – sans préjudice – et ne pas être tenus de participer ou même de référer un patient à l'aide médicale à mourir. Certains de ces mémoires décrivent un système d'autoréférence plutôt qu'un système obligeant les médecins non-consentants à référer les patients à d'autres médecins. D'autres mémoires adoptent le point de vue opposé; certains avancent que la liberté de conscience aura un effet négatif sur l'accès à l'aide médicale à mourir. Quelques mémoires indiquent que les travailleurs de la santé ne devraient pas pouvoir s'exclure et que les institutions financées par des fonds publics (les hôpitaux par exemple) devraient être tenues de fournir ce service.

Une demande visant à accroître la sensibilisation et l'éducation concernant les enjeux de fin de vie revient également dans de nombreux mémoires. En plus de sensibiliser le public, on réclame aussi une formation ciblée pour les médecins et les professionnels de la santé.

Partie 4 : Les critères d'admissibilité

La plupart des mémoires abordent des éléments se rapportant aux critères d'admissibilité : les qualifications qu'une personne devrait rencontrer pour avoir accès à l'aide médicale à mourir. Le critère qui revient le plus dans les mémoires est l'approbation de deux médecins indépendants.

Il est aussi souvent question de restrictions en fonction de l'âge ou de la nature de la maladie : certains indiquent que l'aide à mourir ne devrait être accessible qu'aux personnes souffrant de maladies terminales spécifiques, et d'autres utilisent plutôt des descripteurs comme extrêmes, débilitantes et sans espoir. Autant les mémoires en faveur qu'opposés à l'aide médicale à mourir mentionnent l'absence de mesures empiriques permettant d'évaluer la souffrance ou la douleur pour appuyer leur point de vue.

Plusieurs des critères avancés dans les mémoires sont beaucoup plus nuancés; on insiste par exemple pour que l'aide à mourir soit disponible seulement après une série de soins palliatifs, ou seulement après qu'un patient refuse de consentir à un plan de soins palliatifs de grande qualité. Il y a également plusieurs nuances dans les mémoires concernant les critères utilisés pour évaluer la capacité et la santé mentale. Certains mémoires se prononcent pour que l'aide à mourir puisse être accessible aux personnes souffrant d'une maladie mentale, alors que d'autres disent exactement le contraire. Certains mémoires demandent l'évaluation d'un psychiatre, et d'autres demandent une telle évaluation seulement s'il y a lieu de croire que la personne souffre d'une maladie mentale. Au moins un mémoire suggère que l'évaluation tienne compte non seulement de la santé physique et mentale, mais aussi de la situation des amis proches et des membres de la famille.

Un autre élément abordé dans plusieurs mémoires est la nécessité de déterminer s'il convient de reconnaître les demandes d'aide médicale à mourir formulées dans des directives préalables – une déclaration signée par une personne spécifiant que tel traitement médical lui soit administré advenant que son état décline jusqu'à un certain niveau. Ici encore, des points de vue diamétralement opposés sont exprimés.

Dans de nombreux cas, les mémoires essentiellement critiques par rapport à la légalisation de l'aide médicale à mourir appuient leur point de vue en décrivant la difficulté (l'impossibilité selon certains) de développer des critères qui réduiraient les risques potentiels. Un mémoire par exemple signale qu'un régime autorisant l'aide à mourir se doit nécessairement de définir les caractéristiques d'une vie valant la peine d'être vécue et que la décision de garder en vie des personnes malades sera prise par des administrateurs susceptibles d'être influencés par d'autres facteurs tels que le coût des soins.