Justice Canada - Vol. 10 No. 1
Table des matières
- Le savoir, c'est le pouvoir – et les gens
- Une semaine en Haïti, des leçons pour la vie
- Les textes réglementaires au Canada
- La justice en langues officielles : une assise de la dualité linguistique canadienne
- Ils ont des histoires à raconter
- Elle lance et compte!
- Mes parents se séparent ou divorcent
- Les Prix Justicia 2011
Le savoir, c'est le pouvoir – et les gens
Alexandre Larouche est dirigeant principal du savoir au ministère de la Justice du Canada. Stephen Bindman, directeur de la rédaction de justice canada, l'a récemment rencontré pour discuter de son rôle, de ses aspirations et des défis qu'il a à relever.
M. Larouche est au Ministère depuis près de 15 ans. Il a travaillé à la Section des droits de la personne et au Groupe du droit des langues officielles et, à Whitehorse, aux Services juridiques d'Affaires indiennes et du Nord Canada. Il a été directeur exécutif des Services juridiques de Parcs Canada pendant plus de sept ans.
Qu'est-ce qu'un dirigeant principal du savoir et pourquoi le ministère de la Justice doit-il en avoir un?
Tout d'abord, je suis certain que vous conviendrez avec moi que c'est un titre pompeux! Toutefois, de plus en plus d'organisations, au gouvernement et en dehors du gouvernement, nomment un dirigeant principal du savoir.
Le dirigeant principal du savoir veille, avec son équipe, à ce qu'il y ait dans son organisation des politiques, des procédures et des outils qui permettent de tirer le meilleur profit possible du savoir collectif. Nous veillons à ce que les pratiques de gestion du savoir du Ministère maximisent la valeur de notre capital intellectuel.
Lorsqu'il s'agit de fournir des services juridiques au gouvernement, nous offrons des compétences analytiques et du jugement, mais notre expérience et nos connaissances juridiques sont notre principal atout. C'est vrai pour beaucoup d'organisations, mais cela s'applique tout particulièrement à notre ministère.
Ce savoir se trouve dans la tête des gens, dans les mémos, les messages électroniques, les notes d'information et les mémoires que nous produisons chaque jour, dans les guides et autres outils se rapportant aux pratiques, et dans les décisions que prend la haute direction à propos des pratiques juridiques. L'idée est d'amener les gens à tisser des liens, à partager leurs connaissances et à rendre celles-ci accessibles, afin que les praticiens sachent à qui parler et où trouver l'information pertinente pour offrir les meilleurs services juridiques qui soient, de la manière la plus efficace et la plus cohérente possible.
C'est la raison pour laquelle le Ministère doit être le meilleur en gestion de ses connaissances juridiques, et c'est pourquoi il a créé le poste de dirigeant principal du savoir et la Division de la gestion du savoir et des pratiques juridiques.
Certains disent du Ministère que c'est le plus grand cabinet d'avocats au pays. Les défis auxquels le Ministère est confronté en gestion du savoir sont-ils similaires à ceux du secteur privé, ou différents?
Bon nombre des défis sont les mêmes. Je suis en contact avec des experts en gestion du savoir dans des cabinets d'avocats privés au Canada et ils font face à bon nombre des mêmes défis : choisir, acquérir et mettre en œuvre les bons outils technologiques, et amener leurs avocats et leurs professionnels à partager leurs connaissances avec leurs collègues. Par ailleurs, une plus grande partie du travail qu'auparavant s'effectuant par courriel, il est plus difficile de gérer l'information et la connaissance. Enfin, les firmes privées ne savent pas vraiment comment tirer parti des outils de réseautage social pour faciliter la collaboration et la gestion du savoir.
Le Ministère aussi doit relever ces défis, mais à une plus grande échelle. De plus, nous sommes dispersés dans tout le pays, et nous sommes divisés en un grand nombre de petites unités. Il faudra probablement faire preuve de créativité et d'innovation pour faire participer tout le monde. Heureusement, le climat de collégialité qui règne au Ministère favorise en règle générale le partage des connaissances, et de nombreuses personnes sont déjà impatientes de participer. Cela nous donne la possibilité de devenir des chefs de file. Par exemple, lorsque j'ai parlé de Questions et réponses juridiques 2010 à une réunion avec les gestionnaires du savoir de quelques firmes de Montréal, ils étaient curieux de savoir comment nous allions amener les praticiens du Ministère à participer et à quel point ils allaient le faire. Je me suis engagé à leur en reparler le printemps prochain.
Vous mentionnez Questions et réponses juridiques 2010. Qu'est-ce que c'est?
C'est notre toute dernière initiative de gestion du savoir, qui visait à élaborer une série de questions juridiques fréquemment posées, de listes de vérification et d'autres guides.
À l'automne 2010, nous avons invité les employés à nous faire part des questions d'ordre juridique courantes ou fréquentes auxquelles, selon eux, le Ministère devrait avoir une réponse déjà prête. Nous avons reçu 82 suggestions et nous en avons retenu 15, qui ont été confiées à des stagiaires. Nous avons jumelé chacun de ces étudiants à cinq avocats d'expérience qui leur feront part de leurs connaissances et de leur expérience sur le sujet. Les étudiants rédigeront la version préliminaire d'un guide de pratiques qui, une fois approuvé, sera distribué à tous les employés.
Au bout du compte, le Ministère aura de nouveaux outils juridiques qui faciliteront la pratique du droit, et les stagiaires auront acquis de nouvelles connaissances et élargi leur réseau. Cette initiative a tiré profit de notre savoir collectif et a contribué à renforcer le tissu social du Ministère.
Pouvez-vous parler d'autres projets auxquels vous travaillez?
Notre priorité est Justipédia, le portail du savoir juridique du Ministère. Ce site Web regroupera nos outils juridiques actuels et servira de dépôt ministériel unique pour tous nos avis juridiques, nos plaidoiries et nos mémoires, les modèles et les outils de pratique juridique, les documents de formation juridique et un répertoire d'expertise. Il sera possible d'interroger le contenu, qui sera organisé par type et domaine de pratique. Le concept a déjà été mis à l'essai avec l'aide de l'équipe du droit correctionnel, et nous espérons que la première version de Justipédia sera lancée dans les mois à venir.
Alexandre Larouche
Photo : Pat Walton pour le ministère
de la Justice
Nous offrons aussi du soutien aux groupes de pratique – les praticiens qui se rencontrent à intervalles réguliers pour échanger leurs points de vue et leurs connaissances sur un sujet, qu'il s'agisse du droit de la sécurité nationale, du droit constitutionnel ou du droit des faillites. Il y a à l'heure actuelle 27 groupes de pratique ! Le Ministère essaie maintenant de leur faciliter la tâche en aidant les groupes à se former, en offrant de la formation aux présidents et en lançant un nouvel outil en ligne – la première composante de Justipédia – pour organiser et annoncer les réunions des groupes.
Une autre de nos initiatives est la trousse de transfert du savoir, qui offrira divers outils et stratégies pour favoriser le transfert des connaissances et la planification de la relève. Nous espérons qu'elle aidera les gestionnaires et les employés à mieux intégrer la gestion du savoir à leurs activités quotidiennes. Nous prévoyons lancer cette trousse au printemps.
Enfin, nous nous efforçons de rendre les pratiques juridiques plus cohérentes au Ministère. À ce sujet, nous dirigeons l'adoption d'instructions pour éclaircir les questions entourant l'application du secret professionnel de l'avocat à notre travail ainsi que les règles relatives au partage des avis juridiques au sein du Ministère et avec d'autres ministères et organismes.
Est-ce que ce projet concerne essentiellement les gens ou la technologie, ou les deux?
La gestion du savoir concerne d'abord et avant tout les gens, pas la technologie. Il s'agit de transférer les connaissances acquises par une personne à d'autres personnes afin qu'elles puissent les utiliser pour faire leur travail et pour créer de nouvelles connaissances. Il s'agit de veiller à ce que les bonnes personnes aient la bonne information au bon moment, mais sous l'angle du savoir.
Illustration : Kaméléons & Cie
On peut trouver certaines de nos connaissances dans nos documents : c'est ce que nous appelons la connaissance explicite. Nous devons veiller à ce que nos documents se trouvent en un seul endroit et à ce que la personne suivante qui fait un travail semblable puisse les retrouver et les consulter. Ici, la technologie peut aider et Justipédia sera la solution.
Une bonne partie de notre savoir se trouve toutefois dans notre propre expérience et nos propres connaissances, dans notre tête. Nous appelons cela la connaissance tacite, et elle est au moins aussi précieuse que la connaissance explicite; certains diraient qu'elle l'est davantage. Il y a de nombreuses façons de transférer la connaissance tacite : travailler ensemble, discuter de sujets dans des groupes de pratique, ou au moyen de l'encadrement, du mentorat, des bilans ou des leçons apprises, des rencontres-midi et des autres présentations. Cela se produit déjà en bonne partie, et la technologie peut nous fournir de nouvelles façons d'interagir, mais essentiellement l'accent est mis sur les gens et la création de liens entre eux.
Une dernière question : comment mesurez-vous la réussite? Comment saurez-vous que vous avez fait quelque chose de valable pour le Ministère et les Canadiens que nous servons?
Très bonne question! Les spécialistes de la gestion du savoir en débattent partout dans le monde. La littérature ne propose pas vraiment de façons pratiques de mesurer le rendement de l'investissement ou la réussite.
Bien que nous devions encore mettre la touche finale à notre cadre d'évaluation, nous savons que nous allons suivre l'utilisation de Justipédia, parce que nous croyons que, plus le nombre d'utilisateurs qui interrogeront le portail et y contribueront sera grand, plus ils le trouveront utile. Nous envisagerons aussi la possibilité d'avoir des groupes de discussion ou des enquêtes auprès des utilisateurs pour mesurer à quel point ils trouvent utiles Justipédia, les groupes de pratique et d'autres outils de gestion du savoir, et combien de temps cela leur fait gagner.
Bonne chance. Vous avez beaucoup de travail devant vous !
Oui, nous en sommes tout à fait conscients. Cependant, nos initiatives sont des plus emballantes, j'ai une équipe formidable qui m'appuie et, plus que tout, je sais que je peux compter sur la coopération de tous mes collègues du Ministère.
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