Lignes directrices facultatives en matière de pensions alimentaires pour époux - Juillet 2008
14. LA MODIFICATION, LA RÉVISION, LE REMARIAGE ET LA NOUVELLE FAMILLE
Les formules proposées aux chapitres 7 et 8 s'appliquent avant tout dans le cas d'une ordonnance initiale ou de la négociation d'une entente initiale. Dès lors qu'est établi le droit aux aliments, les formules produisent des fourchettes aussi bien pour le montant que pour la durée de la pension alimentaire pour époux au moment du divorce. Elles permettent aussi de déterminer une fourchette de montants dans le cas des ordonnances provisoires rendues en vertu de la Loi sur le divorce. Quel rôle peuvent jouer par la suite les Lignes directrices facultatives que nous proposons, c'est-à-dire en cas de demande de révision ou de modification? Quel rôle peuvent-elles jouer s'il y a un remariage, une nouvelle union ou formation d'une nouvelle famille? Ces questions soulèvent certainement les aspects les plus difficiles de l'élaboration des Lignes directrices facultatives en matière de pensions alimentaires pour époux. Nous en avons déjà abordé quelques-unes ci-dessus.
En principe, des lignes directrices facultatives vraiment complètes devraient pouvoir s'appliquer à toute la gamme des situations pouvant découler de la révision ou de la modification d'une ordonnance. C'est malheureusement impossible dans l'état actuel du droit. Nous avons opté, à ce stade, pour une démarche plus modeste : appliquer les formules proposées dans toute la mesure où le consensus et la jurisprudence actuelle le permettent, sans aller plus loin. Nous avons identifié certaines situations dans lesquelles les Lignes directrices facultatives peuvent s'appliquer aux révisions et aux modifications, notamment les cas d'augmentation du revenu du bénéficiaire ou de diminution du revenu du payeur. Nous avons laissé les autres scénarios — augmentation du revenu du bénéficiaire après la séparation, nouvelle union, remariage, nouvelle famille — au processus de fixation discrétionnaire tel qu'il se développe dans le cadre juridique actuel. Nous espérons qu'il sera possible ultérieurement, après qu'on aura acquis une certaine expérience des Lignes directrices facultatives, d'élaborer des formules pouvant s'appliquer à ces autres situations.
14.1 Les changements dans la situation, la révision et les questions concernant le maintien du droit à la pension
Il importe de souligner dès le départ que les Lignes directrices facultatives ne changent pas — et ne peuvent pas toucher — les règles juridiques de base en matière de révision et de modification. Aux termes du paragraphe 17(4.1) de la Loi sur le divorce, un changement de situation important doit se produire pour qu'il soit possible de modifier une pension alimentaire ordonnée par un tribunal. Le paragraphe 17(7) définit les objectifs d'une ordonnance modificative et le paragraphe 17(10) traite des modifications subséquentes à l'échéance de la pension alimentaire pour époux, exigeant que le changement de situation soit lié au mariage.
Le processus de révision, fondé sur la jurisprudence établie par les tribunaux d'appel et de première instance, permet de réévaluer la pension alimentaire sans qu'il soit nécessaire qu'il y ait eu un changement de situation important. En 2006, dans l'arrêt Leskun, la Cour suprême du Canada a approuvé l'utilisation des ordonnances de révision[129]. Une ordonnance de révision est justifiée lorsqu'il existe « une incertitude à la fois réelle et importante constatée à l'audience initiale »
au sujet de la situation financière des époux dans un avenir rapproché. « Il suffit de penser à la nécessité de trouver un nouveau lieu de résidence, d'entreprendre des études, d'acquérir une formation ou de se perfectionner, ou de se trouver un emploi »
, a déclaré la Cour. Si une modalité relative à la révision est comprise dans une ordonnance, les questions qui feront l'objet de la révision doivent être établies clairement dans l'ordonnance pour éviter que le dossier complet fasse l'objet d'un nouveau procès.
Comme elles traitent du montant et de la durée de la pension alimentaire pour époux, les Lignes directrices facultatives n'ont aucun effet sur ces mécanismes. L'époux qui cherche à faire modifier l'ordonnance alimentaire devra toujours prouver l'existence d'un changement important avant que les Lignes directrices facultatives ne puissent servir à déterminer le montant et la durée. De la même façon, une révision n'est possible que si elle était prévue dans l'ordonnance initiale et que les conditions préalables sont réunies, par exemple, l'expiration d'une période déterminée ou la fin d'un programme de formation. C'est seulement dans ce cas que les Lignes directrices facultatives peuvent servir à déterminer le montant et la durée.
Si la pension alimentaire pour époux a été négociée, elle est intégrée à l'entente de séparation. La possibilité de réviser ou de modifier une pension alimentaire pour époux qui a fait l'objet d'une entente dépend de nombreux facteurs, dont le libellé de l'entente et la question de savoir si celle - ci a par la suite été intégrée au jugement de divorce.
Nous parlerons d'abord du cas où l'entente n'a pas été entérinée. L'effet de changements ultérieurs dans la situation des parties est alors régi par les termes de l'entente. Si celle-ci prévoit des révisions par les parties à des moments précis ou comporte une clause relative aux changements importants dont les conditions sont satisfaites, il serait possible que les Lignes directrices facultatives puissent servir à la détermination du montant et de la durée. Toutefois, s'il s'agit d'une entente finale comprenant une renonciation à la pension alimentaire pour époux ou une limitation de sa durée, les Lignes directrices facultatives ne s'appliquent pas.
Comme nous l'avons souligné à plusieurs reprises dans le présent document, les Lignes directrices facultatives ne traitent pas de l'effet d'ententes antérieures sur les pensions alimentaires pour époux. N'ayant aucun caractère officiel, elles ne confèrent pas le pouvoir de passer outre à de telles ententes. L'arrêt Miglin[130] continue à régir la question de l'effet d'une entente antérieure sur la latitude dont dispose un tribunal pour accorder une pension alimentaire pour époux. Les Lignes directrices facultatives ne seraient utiles qu' après l'analyse prévue de l'arrêt Miglin, s'il est établi que l'entente finale n'est pas déterminante et que le tribunal doit se prononcer à nouveau sur la pension alimentaire.
Si l'entente de séparation a été intégrée au jugement de divorce, comme elle l'est d'habitude dans beaucoup de régions du pays, elle a le même statut qu'une ordonnance. Si l'entente prévoit une révision ou comporte une clause relative aux changements importants dont les conditions sont satisfaites, il serait possible que les Lignes directrices facultatives puissent servir à déterminer le montant et la durée. S'il s'agit d'une entente finale comprenant une renonciation à la pension alimentaire pour époux ou une limitation de sa durée, il faudrait, pour qu'une modification soit accordée, que le seuil relatif au changement de situation prévu à l'article 17 de la Loi sur le divorce soit atteint ou que le lien causal prévu au paragraphe 17(10) soit établi, si la pension alimentaire pour époux a pris fin au moment du dépôt de la demande de modification. Comme l'ordonnance du tribunal s'appuie sur une entente dans ces cas, l'analyse prévue dans l'arrêt Miglin serait également pertinente pour déterminer si l'exigence relative au changement de situation est satisfaite et s'il y a lieu d'accorder une modification.
Abstraction faite de la question du cadre juridique s'appliquant aux révisions et aux modifications, une demande de révision ou de modification peut soulever des questions relatives au maintien du droit à la pension qui viendraient conditionner l'application des lignes directrices. Le droit à une pension est toujours la question centrale dont dépendent les questions relatives au montant et à la durée, comme nous l'expliquons au chapitre 2 ci-dessus. En cas de changement de la situation — changement d'emploi et de revenu, retraite, remariage, nouvelle union, nouvelle famille — la question du droit aux aliments peut devenir la plus cruciale.
Modifications et révisions suscitent de multiples questions[131]. Nous en avons examiné quelques-unes aux chapitres 7 et 8, surtout dans notre étude concernant la durée. Dans ce qui suit, nous présentons notre analyse de ces différentes questions en fonction des enjeux qu'impliquent la modification et la révision.
14.2 Les demandes de diminution de la pension alimentaire pour époux par suite d'un changement dans les revenus
Les demandes de diminution de la pension alimentaire pour époux fondées sur un changement dans les revenus de l'une des parties représentent la catégorie la plus courante de demandes de modification ou de révision. Les demandes sont généralement basées sur un des motifs suivants :
- le revenu de l'époux payeur a baissé;
- le revenu de l'époux bénéficiaire a augmenté;
- l'époux payeur demande la diminution ou la suppression de la pension alimentaire en soutenant que l'époux bénéficiaire pourrait gagner un revenu supérieur.
Dans chacun de ces trois scénarios, les Lignes directrices facultatives peuvent servir à déterminer le montant de la pension alimentaire. Dans certains cas, elles peuvent même entraîner l'annulation de la pension alimentaire si le montant tombe à zéro et que les perspectives de changements futurs sont faibles ou inexistantes.
Dans les situations (i) et (iii), des questions difficiles d'attribution de revenu peuvent se poser. Dans la situation (i), on pourrait s'interroger sur la bonne foi et le caractère raisonnable de l'époux payeur qui invoque une baisse de revenu, ce qui peut déboucher sur l'attribution d'un revenu fictif. Dans la situation (iii), il peut être nécessaire d'attribuer un revenu fictif à l'époux bénéficiaire qui n'a pas suffisamment saisi les occasions d'augmenter son revenu, comme nous l'avons vu ci-dessus, au chapitre 13, portant sur l'indépendance économique.
Dans le cas de la formule sans pension alimentaire pour enfant, la pension alimentaire pour époux diminue à mesure que l'écart entre les revenus bruts des époux baisse. De même, dans le cas de la formule avec pension alimentaire pour enfant, à mesure que l'écart entre les revenus nets des époux diminue, le montant de la pension alimentaire qui est nécessaire pour permettre à l'époux ayant le revenu le moins élevé de bénéficier d'un niveau de vie correspondant au pourcentage désiré diminue aussi. Dans certains cas où il y a présence d'enfants, cela peut signifier l'extinction du droit aux aliments, mais dans d'autres cas, cela peut simplement refléter une incapacité ponctuelle de payer, et le versement de la pension alimentaire pour époux peut être reporté à plus tard, conformément à l'article 15.3 de la Loi sur le divorce. Lorsque la disparité entre les revenus de chacun rétrécit, il arrive un moment, quelle que soit la formule, où le droit à pension alimentaire peut s'éteindre.
Nous présentons ci-dessous quelques exemples de l'application des Lignes directrices facultatives aux demandes de modification ou de révision dans cette catégorie.
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Exemple 14.1
Dans l' exemple 7.2 ci-dessus, calculé selon la formule sans pension alimentaire pour enfant, Jean-François et Francine ont été unis pendant 25 ans dans un mariage traditionnel et ont deux enfants adultes. Francine n'avait aucun revenu, tandis que Jean-François avait un revenu brut de 100 000 $ par an. Supposons maintenant que Jean-François, ayant perdu son emploi, a changé d'employeur, ce qui a fait baisser son revenu brut annuel à 80 000 $, et que Francine n'a toujours aucun revenu.
Si Jean-François présente une demande de modification, la pension alimentaire pour époux diminuerait, selon la formule sans pension alimentaire pour enfant, passant de la fourchette initiale de 3 125 $ à 4 167 $ par mois (limitée à 4 046 $) à la fourchette de 2 500 $ à 3 333 $ par mois (limitée à 3 216 $).
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Exemple 14.2
Dans l' exemple 8.1 ci-dessus, calculé selon la formule avec pension alimentaire pour enfant, Jean-Paul gagnait un revenu brut de 80 000 $ par an après 11 ans de mariage, tandis qu'Anne-Marie avait un travail à temps partiel qui lui rapportait un revenu brut de 20 000 $ par an. Le couple avait deux enfants âgés de 8 et 10 ans. Supposons maintenant qu'Anne-Marie trouve un emploi à temps plein qui lui assure un revenu annuel brut de 35 000 $, tandis que Jean-Paul a toujours le même revenu.
En cas de demande de modification ou de révision selon la formule avec pension alimentaire pour enfant, la hausse du revenu d'Anne-Marie ferait passer la pension alimentaire pour époux de la fourchette initiale de 474 $ à 1 025 $ à la fourchette de 52 $ à 741 $ par mois.
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Exemple 14.3
En reprenant l' exemple 8.1 ci-dessus, supposons maintenant que les enfants ont 13 et 14 ans et qu'Anne-Marie travaille toujours à temps partiel. Jean-Paul allègue qu'Anne-Marie a refusé l'offre d'un emploi à temps plein faite par son employeur.
En cas de demande de modification ou de révision, un tribunal pourrait décider d'attribuer à Anne-Marie le revenu fictif de 35 000 $ par an correspondant au travail à temps plein et de réduire en conséquence la pension alimentaire à la même fourchette que ci-dessus, c'est-à-dire 52 $ à 741 $ par mois. Le tribunal pourrait également ne pas être disposé à aller si loin et décider plutôt d'attribuer à Anne-Marie un revenu pour un montant légèrement inférieur, par exemple 30 000 $, ce qui donnerait une fourchette de 163 $ à 846 $ par mois.
14.3 La hausse du revenu de l'époux payeur après la séparation
En se basant sur des formules, deux réponses opposées sont possibles ici. D'un côté, on peut décider qu'une hausse du revenu de l'époux payeur après la séparation ne doit pas modifier le montant de la pension alimentaire pour époux. Après tout, diront certains, le bénéficiaire a droit à un partage du niveau de vie conjugal, sans plus. Il n'y a pas de doute que cette méthode bien claire assurerait des résultats prévisibles et serait simple à administrer. D'un autre côté, on peut soutenir que la formule devrait, au contraire, continuer de s'appliquer à toute hausse du revenu du payeur. Encore une fois, cette méthode donnerait des résultats prévisibles, que les principes de base de la pension alimentaire pour époux ne justifieraient cependant pas dans tous les cas. Cette méthode s'imposerait essentiellement en présence d'un mariage traditionnel de longue durée.
Dans le cadre du droit actuel, il est impossible d'accepter l'une des deux méthodes en excluant l'autre. Un concept général de « causalité » doit s'appliquer pour vérifier si de telles hausses de revenu du payeur après la séparation doivent se répercuter sur la pension alimentaire et dans quelle mesure. Tout dépend de la durée du mariage, des rôles assumés durant la vie commune, du temps écoulé depuis la séparation et du motif de la hausse du revenu (par exemple, un nouvel emploi plutôt qu'une promotion chez le même employeur, ou une évolution normale de la carrière plutôt que le lancement d'une nouvelle entreprise). La mesure dans laquelle il convient de partager de telles hausses de revenu implique un processus décisionnel complexe basé sur les faits particuliers de chaque cas[132].
Nous pouvons proposer dans ces cas une limite fondée sur les formules : la limite supérieure de la pension alimentaire ainsi augmentée devrait correspondre aux nombres générés par les formules. Comme le démontrent les exemples suivants, cette limite supérieure est d'une certaine aide quand il s'agit de définir la fourchette des résultats possibles par suite d'une hausse de revenu après la séparation.
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Exemple 14.4
En appliquant la formule sans pension alimentaire pour enfant, considérons ce qui se produirait dans l' exemple 7.1. Arthur et Isabelle ont été mariés pendant 20 ans et ont un enfant adulte. Au moment de l'ordonnance initiale, ils gagnaient des revenus annuels bruts respectifs de 90 000 $ et 30 000 $. Tous deux travaillaient à temps plein. Selon la formule sans pension alimentaire pour enfant, la pension alimentaire était illimitée (durée non précisée) et se situait dans la fourchette de 1 500 $ à 2 000 $ par mois. Le revenu brut d'Arthur passe à 110 000 $ par an sans que celui d'Isabelle change.
Un tribunal saisi d'une demande de modification pourrait ordonner de tenir compte de la totalité ou d'une partie de la hausse ou encore de ne pas en tenir compte du tout. Si la totalité de la hausse devait être prise en considération, la formule définirait alors le plafond d'une pension alimentaire modifiée qui se situerait dans la fourchette de 2 000 $ à 2 666 $ par mois.
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Exemple 14.5
Le calcul devient plus compliqué dans la formule avec pension alimentaire pour enfant. Lorsque le revenu de l'époux payeur augmente, il est courant que la pension alimentaire pour enfant augmente aussi si une demande de modification est présentée. Reprenons encore une fois le cas de Jean-Paul et Anne-Marie dans l' exemple 8.1. Au moment de l'ordonnance initiale, Jean-Paul gagnait un revenu brut de 80 000 $ tandis qu'Anne-Marie gagnait 20 000 $ par an, après 11 ans de mariage. Le couple avait deux enfants alors âgés de 8 et 10 ans. D'après la formule, la pension alimentaire pour époux se situait dans la fourchette de 474 $ à 1 025 $ par mois. Supposons que le revenu brut de Jean-Paul passe plus tard à 100 000 $ par an. La pension alimentaire qu'il doit verser pour ses deux enfants passera de 1 159 $ à 1 404 $ par mois.
Si la hausse de revenu de Jean-Paul n'est pas prise en compte dans le calcul de la pension alimentaire pour époux, il aurait à payer une pension alimentaire pour enfant de 1 404 $ par mois et la fourchette de la pension alimentaire pour époux resterait la même, soit de 474 $ à 1 025 $ par mois. Cela aurait pour effet de réduire non seulement le pourcentage du revenu net disponible de la famille attribué à Anne-Marie, mais aussi son pourcentage de RIND, calculé d'après le nouveau revenu de Jean-Paul. À l'autre extrême, il serait possible de tenir compte du plein montant de la hausse dans la formule de la pension alimentaire pour époux, ce qui placerait la nouvelle pension alimentaire dans une nouvelle fourchette supérieure allant de 961 $ à 1 715 $ par mois.
14.4 La baisse du revenu de l'époux bénéficiaire après la séparation
Supposons que le bénéficiaire perde son emploi, soit atteint d'une maladie, devienne invalide ou perde pour une autre raison une partie de son revenu après la séparation. Si l'une des deux formules de partage du revenu était appliquée, toute réduction du revenu du bénéficiaire après la séparation entraînerait immanquablement une hausse de sa pension alimentaire. Là encore, comme dans le cas de la hausse du revenu de l'époux payeur après la séparation, la notion de causalité semble s'imposer d'une façon ou d'une autre dans le droit actuel, ce qui implique une fois de plus un processus décisionnel délicat fondé sur les faits particuliers de la cause. Même s'il n'est pas possible de concevoir dans de tels cas une solution basée sur une formule, la même limite supérieure peut tout de même être appliquée, en ce sens que la limite supérieure de la pension alimentaire majorée devrait correspondre aux nombres générés par les formules.
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Exemple 14.6
Reprenons le cas d'Arthur et Isabelle dans l' exemple 7.1. Isabelle travaillait à temps plein et gagnait un revenu brut de 30 000 $ par an au moment de la détermination initiale. Supposons qu'Isabelle soit obligée de travailler à temps partiel et qu'elle ne gagne plus maintenant que 20 000 $ par an, tandis que le revenu annuel d'Arthur reste à 90 000 $.
La pension alimentaire pour époux se situait dans une fourchette initiale de 1 500 $ à 2 000 $ par mois, et elle resterait la même si la baisse de revenu d'Isabelle n'était pas prise en compte. Les montants pourraient se hisser jusqu'à une fourchette de 1 750 $ à 2 333 $ par mois si l'on tenait compte de la totalité de la baisse de revenu d'Isabelle.
14.5 Le passage d'une formule à l'autre
Quand les enfants grandissent, finissent leurs études ou cessent d'être des enfants à charge pour une raison ou pour une autre, l'obligation de verser une pension alimentaire pour enfant prend fin. Qu'arrive-t-il à ce moment-là? À notre avis, il devrait être possible pour chacun des deux époux de demander une conversion permettant de passer de la formule avec pension alimentaire pour enfant à la formule sans pension alimentaire pour enfant dans le cadre d'une demande de modification ou de révision. Cette conversion serait tout à fait compatible avec l'esprit et la lettre de l'article 15.3, et particulièrement du paragraphe 15.3(3) de la Loi sur le divorce. Aux termes du paragraphe 15.3(3), si la pension alimentaire pour époux a été réduite ou n'a pas été accordée du tout à cause de la priorité donnée à la pension alimentaire pour enfant, la diminution ou l'annulation ultérieure de la pension alimentaire pour enfant constitue un changement ouvrant la porte à une demande de modification de la pension alimentaire pour époux.
Le passage d'une formule à l'autre entraîne un changement du montant mais non de la durée de la pension alimentaire pour époux. Dans le cadre du premier critère, soit celui de la durée dans la formule avec pension alimentaire pour enfant, qui s'applique aux mariages de moyenne à longue durée avec enfants à charge, le résultat se situera dans la partie supérieure de la fourchette de durées dans la plupart des cas.
Les situations nécessitant la conversion d'une formule à l'autre se présentent surtout dans le cas des mariages de moyenne à longue durée, lorsque les enfants ne sont plus très jeunes au moment de l'ordonnance initiale. Ce sont les cas où la durée de la pension alimentaire dépend de la durée du mariage, de sorte que lorsque les pensions alimentaires pour enfants prennent fin, la pension alimentaire pour époux est maintenue pendant un certain temps. Dans le cas des mariages de courte à moyenne durée avec enfants à charge, la durée maximale se situera à la fin de la période d'éducation des enfants, de sorte que la pension alimentaire pour époux s'arrêtera normalement au plus tard en même temps que celle pour enfant, sous réserve du paragraphe 15.3(3), ce qui ne nécessite donc pas le passage d'une formule à l'autre.
La demande de modification visant à passer à la formule sans pension alimentaire pour enfant vient le plus souvent de l'époux bénéficiaire, après un long mariage. Prenons l'exemple suivant.
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Exemple 14.7
Reprenons encore une fois le cas de Jean-Paul et Anne-Marie dans l' exemple 8.1. Au moment du divorce, survenu après 11 ans de mariage, Jean-Paul gagnait un revenu brut de 80 000 $ par an tandis qu'Anne-Marie gagnait 20 000 $ par an. Le couple avait deux enfants alors âgés de 8 et 10 ans.
D'après la formule avec pension alimentaire pour enfant, la pension alimentaire pour époux se situait initialement dans la fourchette de 474 $ à 1 025 $ par mois. Selon le critère applicable au mariage de longue durée, la fourchette de durées allait de 5 ans et demi à 11 ans. N'oublions pas que ce maximum découlait du premier critère de durée fondé sur la durée du mariage, cette durée étant plus longue que le temps qui restait jusqu'à la fin des études secondaires de l'enfant le plus jeune (qui avait alors 10 ans). Si les deux enfants devaient faire des études postsecondaires, la pension alimentaire pour enfant serait maintenue et la formule avec pension alimentaire pour enfant continuerait à s'appliquer jusqu'au terme de la durée maximale de 11 ans de la pension alimentaire pour époux, même si le montant de celle-ci devrait probablement changer en raison de l'amélioration de la situation d'emploi d'Anne-Marie.
Toutefois, une légère modification de ces circonstances peut donner lieu à un changement de formule. Si Jean-Paul et Anne-Marie avaient été mariés depuis 20 ans au moment de la séparation et que, par la suite, leurs enfants avaient fini l'école, ce qui aurait mis un terme à la pension alimentaire pour enfant, Anne-Marie pourrait présenter une demande de modification pour obtenir un changement de formule.
Selon la formule avec pension alimentaire pour enfant, sa pension alimentaire se situait initialement dans la fourchette de 474 $ à 1 025 $ par mois, avec deux enfants dont Anne-Marie a la responsabilité principale. Avant de passer d'une formule à l'autre, il serait possible d'ajuster la formule avec pension alimentaire pour enfant pour le cas où un seul enfant demeure encore à la maison, puisque le montant prévu aux tables de pensions alimentaires pour enfants serait réduit à 719$ par mois et la pension alimentaire pour époux augmenterait pour atteindre la fourchette de 1 217$ à 1 703$ si Jean-Paul avait encore un revenu de 80 000$ et Anne-Marie, un revenu de 20 000$. Au moment de passer d'une formule à l'autre, en supposant que les revenus des époux soient restés les mêmes, la fourchette serait plus élevée avec l'application de la formule sans pension alimentaire pour enfant : cela donnerait entre 1 500 $ et 2 000 $ par mois pour un mariage de 20 ans avec un tel écart de revenus bruts.
Si Jean-Paul et Anne-Marie avaient eu 25 ans de vie commune, la nouvelle fourchette après le changement de formule serait encore plus élevée, allant de 1 875 $ à 2 500 $ par mois (limitée à 2 428 $). La hausse s'explique par deux facteurs : l'effet de la durée du mariage sur la fourchette sans pension alimentaire pour enfant et la capacité supplémentaire de payer occasionnée par l'absence d'obligation de verser une pension alimentaire pour enfant.
Pour en arriver à ces possibilités, nous avons supposé que les revenus et la situation des deux époux sont restés les mêmes au fil des ans, ce qui est très improbable. Il serait beaucoup plus vraisemblable que le revenu d'Anne-Marie soit supérieur puisqu'elle travaillait à temps partiel au moment de l'ordonnance initiale. La hausse de son revenu aurait probablement entraîné une réduction de sa pension alimentaire pour époux. En même temps, le revenu de Jean-Paul peut également s'être accru, ce qui peut avoir modifié le montant de la pension alimentaire pour époux qu'il doit verser, dépendamment de la façon dont la hausse de son revenu après la séparation a été traitée, comme nous l'avons vu ci-dessus.
Les situations dans lesquelles l'époux payeur présente une demande de modification pour obtenir le passage vers la formule sans pension alimentaire pour enfant sont plus rares. Compte tenu de la façon dont les deux formules s'appliquent, il s'agira la plupart du temps de cas dans lesquels le mariage a duré 15 ans ou moins. L'époux payeur pourrait alors soutenir que la formule sans pension alimentaire pour enfant, dans laquelle les pourcentages dépendent de la durée du mariage, produirait une fourchette de pension alimentaire inférieure à celle de la formule avec pension alimentaire pour enfant. Voir l'exemple ci-dessous.
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Exemple 14.8
Reprenons à nouveau le cas de Jean-Paul et Anne-Marie, en supposant cette fois qu'ils ont, au moment de la séparation, les mêmes revenus que dans l' exemple 14.7. Supposons en outre que leurs enfants ne font pas d'études postsecondaires et que la pension alimentaire pour enfant prenne fin après 10 ans. La pension alimentaire pour époux sera vraisemblablement encore payable pendant une autre année, en se fondant sur la durée de leur mariage (11 ans).
Jean-Paul pourrait alors présenter une demande de modification, en soutenant que la pension alimentaire pour époux devrait être fixée dans la fourchette sans pension alimentaire pour enfant allant de 825 $ à 1 100 $ par mois, si la pension alimentaire initiale avait été fixée au moyen de la fourchette de 1 217 $ à 1 703 $ par mois, pour un enfant. Rappelons, une fois de plus, qu'il ne faut toutefois pas perdre de vue que les revenus changent avec le temps, ce qui modifie tant les enjeux que les raisons de demander le passage d'une formule à l'autre.
14.6 Le remariage ou une nouvelle union de l'époux payeur
Mis à part certains cas exceptionnels, le remariage ou la nouvelle union de l'époux payeur n'est pas ordinairement un motif de réduction de la pension alimentaire pour époux dans le cadre du droit actuel. Dans les cas où la capacité de payer la pension alimentaire était limitée, le remariage ou la nouvelle union du payeur peut améliorer cette capacité, en raison du partage des dépenses avec le nouvel époux ou le nouveau partenaire. Il n'y a donc pas lieu d'en tenir compte dans le cadre des formules.
14.7 Le remariage ou une nouvelle union de l'époux bénéficiaire
Le remariage ou la nouvelle union de l'époux bénéficiaire a un impact sur la pension alimentaire pour époux dans le cadre du droit actuel. Il est cependant difficile de prévoir dans quelle mesure, à quel moment et pourquoi il devrait en être ainsi. Aucun consensus ne se dégage de la jurisprudence à cet égard. Le remariage n'entraîne pas automatiquement la suppression de la pension alimentaire pour époux, mais il peut souvent mener à une diminution ou à une suspension alimentaire, voire à une annulation de la pension alimentaire. Dans ces cas, la pension alimentaire compensatoire est souvent traitée différemment de la pension alimentaire non compensatoire. La décision dépend dans une grande mesure du niveau de vie du nouveau ménage de l'époux bénéficiaire. La durée du premier mariage semble également constituer un facteur déterminant, ce qui est dans la logique de notre concept de fusion au fil des années. L'âge de l'époux bénéficiaire joue aussi un rôle.
Dans certains cas, généralement les cas extrêmes, il est possible de prédire le résultat. Par exemple, après un premier mariage de courte à moyenne durée dans lequel l'époux bénéficiaire est relativement jeune et que la pension alimentaire a un caractère transitoire et non compensatoire, le remariage de l'époux bénéficiaire entraînera probablement l'annulation de la pension alimentaire. À l'autre extrême, si la pension alimentaire est versée à un époux relativement âgé, après un mariage traditionnel d'une longue durée, le remariage est peu susceptible d'entraîner l'annulation de la pension alimentaire, alors qu'une diminution sera possible.
La possibilité de prédire le résultat dans certains cas ne suffit cependant pas pour élaborer une formule qui permettrait de prendre en compte la nouvelle situation conjugale de l'époux. Dans l'idéal, une formule devrait tenir compte d'une partie du revenu brut du nouvel époux pour réduire l'écart entre les revenus selon l'une ou l'autre des deux formules, cet ajout pouvant augmenter en fonction de la durée du nouveau mariage ou de la nouvelle union. Si l'époux bénéficiaire se remarie ou forme une nouvelle union avec une personne dont le revenu est comparable ou supérieur à celui de l'ex-époux, la pension alimentaire pour époux finira par s'éteindre plus ou moins vite, selon la formule adoptée. Si le revenu du nouvel époux est inférieur à celui de l'ex-époux, la pension alimentaire pour époux pourrait être maintenue d'après une telle formule pendant toute la durée maximale, à moins d'être annulée plus tôt.
Nous n'avons pas pu atteindre de consensus au sujet d'une formule suffisamment flexible pour s'adapter à ces situations, malgré les nombreux commentaires à l'effet qu'une telle formule serait souhaitable. Dans la présente version définitive, les questions entourant le remariage ou la nouvelle union de l'époux bénéficiaire continueront à faire l'objet d'ententes et de décisions au cas par cas.
14.8 Les nouvelles familles
Le cas des nouvelles familles, ou plus précisément, de l'arrivée de nouveaux enfants, suscite quelques-unes des questions les plus délicates dans le domaine du droit alimentaire. Nous avons déjà abordé, au chapitre 12, le cas des obligations alimentaires antérieures à l'égard d'ex-époux et d'enfants d'un premier lit pour en faire une exception dans le cadre des deux formules. Nous avons également parlé du remariage et de la formation d'une nouvelle union dans le présent chapitre. Nous examinons ici une question différente, soit celle de l'obligation à l'égard des enfants issus d'une nouvelle union.
Par « enfants issus d'une nouvelle union », nous entendons des enfants qui sont nés ou qui ont été adoptés après la séparation des époux. Dans la plupart des cas, on tiendra compte de la présence de ces enfants lors d'une modification ou d'une révision, mais il est possible que cette question soit soulevée lors de la détermination initiale de la pension alimentaire pour époux.
Depuis l'entrée en vigueur des Lignes directrices fédérales sur les pensions alimentaires pour enfants, les tribunaux débattent de ces questions, largement laissées à la discrétion des décideurs, qui tranchent en ayant surtout essentiellement recours au mécanisme des difficultés excessives prévu par ces Lignes directrices[133]. Il faut noter que ces questions deviennent encore plus complexes quand on doit, de surcroît, tenir compte du conflit possible entre les pensions alimentaires pour enfant et pour époux.
Le principe selon lequel « la première famille vient en premier » l'emporte généralement. Dans cette optique, les obligations du payeur envers les enfants et l'époux d'un premier mariage l'emportent sur les obligations ultérieures. La plupart de ceux qui adhèrent à ce principe reconnaissent cependant qu'il existe une exception : si le fait de verser une pension alimentaire à la première famille oblige la nouvelle famille à s'adresser à l'aide sociale ou à vivre dans la pauvreté, un certain soutien doit, dans les cas flagrants, pouvoir être envisagé. Mis à part cette exception limitée, le principe de « la première famille vient en premier » fournit une solution simple pour le calcul des pensions alimentaires pour enfant et pour époux : la naissance d'enfants d'une nouvelle union ne donne lieu à aucun changement.
Dans les cas qui soulèvent la question de l'obligation alimentaire pour enfant on constate qu'une importante préoccupation domine, celle de traiter de façon égale tous les enfants de l'époux payeur. Cela peut généralement se faire grâce aux calculs relatifs au niveau de vie des ménages. Cette méthode accorde plus de poids aux intérêts des enfants subséquents, mais ne donne aucune indication concernant l'équilibre entre la pension alimentaire pour le premier époux et celle pour le bénéfice des enfants de la nouvelle famille. On a tendance, dans l'application de cette méthode, à donner moins de poids à la pension alimentaire pour époux dans le souci d'accorder un traitement égal aux enfants de l'époux payeur. La réduction de la pension alimentaire pour époux sert souvent de moyen pour établir un certain équilibre entre les ménages.
Aucune façon de faire n'étant prescrite à ce sujet dans les Lignes directrices fédérales sur les pensions alimentaires pour enfants, il est difficile, voire impossible d'établir des règles claires pour la pension alimentaire pour époux par rapport à la pension alimentaire pour les enfants de la nouvelle famille. Pour le moment, nous devons laisser, à regret, les questions de montant et de durée à la discrétion des personnes chargées de prendre des décisions au cas par cas. Tout changement éventuel de la politique relative à la pension alimentaire pour enfant d'une nouvelle famille aura d'importantes répercussions sur la pension alimentaire pour époux.
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