Lignes directrices facultatives en matière de pensions alimentaires pour époux - Juillet 2008
7. LA FORMULE SANS PENSION ALIMENTAIRE POUR ENFANT
Nous examinons ici la première de deux formules de base qui constituent le fondement des Lignes directrices facultatives que nous proposons — la formule sans pension alimentaire pour enfant. Cette formule s'applique dans les cas où il n'y a pas d'enfant à charge et, par conséquent, aucune obligation alimentaire concomitante envers des enfants. En présumant du droit aux aliments, la formule produit des fourchettes pour le montant et la durée des pensions alimentaires pour époux.
La formule sans pension alimentaire pour enfant vise une gamme variée de situations de fait, le seul dénominateur commun étant l'absence d'obligation alimentaire concomitante envers un enfant ou des enfants nés du mariage[61]. Elle vise tous les mariages, quelle que soit leur durée, au cours desquels les époux n'ont pas eu d'enfant. La formule s'applique également aux mariages de longue durée qui ont compté des enfants qui ne sont plus à charge[62]. Les demandes alimentaires présentées dans ces situations sont fondées sur des motifs compensatoires et non compensatoires.
Il peut sembler impossible de mettre au point une formule qui peut générer des décisions de pension alimentaire appropriées à l'égard d'une telle diversité de situations conjugales. Nous avons adopté le concept de la fusion au fil des années, qui intègre des arguments compensatoires et non compensatoires pour les pensions alimentaires pour époux. En gros, selon ce concept, plus un mariage s'étend dans le temps, plus les aspects économiques et non économiques de la vie des époux deviennent profondément fusionnés, ce qui a pour résultat de conférer plus d'importance au critère du niveau de vie des époux pendant le mariage[63]. En utilisant ce concept, qui établit un lien entre les questions de pensions alimentaires et la durée du mariage, nous avons mis au point une formule qui produit des résultats généralement compatibles avec la pratique courante, tout en offrant une structure désormais nécessaire.
Dans le texte qui suit, nous présentons tout d'abord la structure de base de la formule sans pension alimentaire pour enfant et nous présentons un exemple de la façon dont elle s'applique. Ensuite, nous analysons le concept de fusion au fil des années qui sous-tend la formule, ainsi que son lien avec les fondements existants des pensions alimentaires pour époux. Nous poursuivons avec un examen détaillé des différentes parties de la formule et une série d'autres exemples qui montrent comment s'applique la formule dans divers contextes.
7.1 La structure de base de la formule sans pension alimentaire pour enfant
La formule sans pension alimentaire pour enfant est décrite dans son expression la plus simple dans l'encadré ci-dessous. Cette formule contient en fait deux parties : l'une pour le montant et l'autre pour la durée. Elle donne comme résultat des fourchettes pour le montant et la durée, plutôt que des montants déterminés.
Elle comporte deux facteurs essentiels :
- l' écart entre les revenus bruts des époux;
- la durée du mariage, ou plus précisément, comme nous l'expliquons ci - dessous, la durée de la période de cohabitation.
Le montant et la durée de la pension alimentaire augmentent tous deux progressivement avec la durée du mariage.
Formule sans pension alimentaire pour enfant
Le montant varie de 1,5 % à 2 % de l'écart entre les revenus bruts des époux (« écart des revenus bruts ») par année de mariage (ou plus précisément, par année de cohabitation), jusqu'à un maximum de 50 %. La fourchette demeure fixe pour les mariages de 25 ans et plus, allant de 37,5 à 50 % de l'écart des revenus. (L'extrémité supérieure cette fourchette maximale ne peut pas dépasser le montant qui entraînerait l'égalisation des revenus nets des époux — le plafond du revenu net).
La durée varie de 0,5 à 1 an pour chaque année de mariage. Toutefois, la pension alimentaire sera versée pendant une période illimitée (durée non précisée) si le mariage a duré 20 ans ou plusou, si le mariage a duré cinq ans ou plus, lorsque les années de mariage et l'âge du bénéficiaire de la pension alimentaire (à la séparation) totalisent 65 ou plus (règle des 65).
Un exemple simple sera utile pour illustrer l'application de base de la formule sans pension alimentaire pour enfant avant d'aborder ses aspects plus complexes. Cet exemple vise principalement à illustrer les calculs de base requis selon la formule et à donner une idée des résultats.
Exemple 7.1
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Arthur et Isabelle se sont séparés après 20 ans de mariage. Ils ont un enfant. Pendant le mariage, Arthur, qui venait d'obtenir un diplôme en commerce lorsque les parties se sont rencontrées, travaillait dans une banque, gravissant les échelons pour finalement devenir directeur de succursale. Il a été muté à plusieurs reprises au cours du mariage. Son revenu annuel brut s'élève maintenant à 90 000 $. Isabelle a travaillé pendant quelques années au début du mariage comme caissière dans une banque, puis est ensuite restée à la maison jusqu'à ce que leur fils fréquente l'école à plein temps. Elle a travaillé à temps partiel comme commis dans un magasin jusqu'à la fin des études secondaires de son fils. Celui-ci est maintenant autonome. Isabelle travaille actuellement à plein temps comme réceptionniste et son revenu annuel brut est de 30 000 $. Arthur et Isabelle sont tous deux au milieu de la quarantaine.
Voici comment la pension alimentaire serait calculée selon la formule sans pension alimentaire pour enfant, en présumant que le droit aux aliments a été établi.
Pour déterminer le montant :
- calculer l'écart entre les revenus bruts des parties; dans ce cas :
- 60 000 $ (90 000 $ moins 30 000 $);
- calculer les pourcentages applicables au montant en multipliant la durée du mariage par le facteur durée de 1,5 à 2 % :
- 1,5 X 20 ans = 30 %
- jusqu'à 2 X 20 = 40 %
- en appliquant le pourcentage pertinent à l'écart des revenus, la fourchette des montants serait la suivante :
- de 60 000 $ multiplié par 30 % = 18 000 $ par an (ou 1 500 $ par mois)
- à 60 000 $ multiplié par 40 % = 24 000 $ par an (ou 2 000 $ par mois)
La durée serait illimitée (non précisée) parce que le mariage a duré 20 ans.
Ainsi, en présumant que le droit aux aliments est établi, la pension alimentaire pour époux, selon la formule, se situerait dans la fourchette de 1 500 $ à 2 000 $ par mois et serait illimitée, sous réserve d'une demande de modification ou d'une révision de la situation.
- calculer l'écart entre les revenus bruts des parties; dans ce cas :
Si elle reçoit une pension alimentaire de 1 500 $ par mois, au niveau le plus bas de la fourchette, Isabelle aura un revenu annuel brut de 48 000 $ et Arthur de 72 000 $. Une pension alimentaire de 2 000 $ par mois, au niveau le plus élevé de la fourchette, donnerait à Isabelle un revenu annuel brut de 54 000 $ et à Arthur de 66 000 $. Nous examinerons au chapitre 9 les facteurs qui détermineront le choix d'un montant précis à l'intérieur de cette fourchette.
À première vue, il ne fait aucun doute que cette formule semble être une toute nouvelle approche de la pension alimentaire pour époux, très loin de la Loi sur le divorce et de ses objectifs et principes en matière de pensions alimentaires pour époux, ainsi que des principes de la pension alimentaire compensatoire et non compensatoire établis par la Cour suprême du Canada dans les arrêts Moge et Bracklow. Avant que nous examinions le fonctionnement et l'application de cette formule plus en détail, nous expliquons le concept de « fusion au fil des années » qui sous-tend cette formule et son lien avec les théories actuelles en matière de pensions alimentaires pour époux et avec les règles de droit actuelles. Nous démontrerons que la formule est une « mesure substitutive » pour les facteurs tels que le désavantage économique, les besoins et le niveau de vie qui sont actuellement utilisés pour déterminer les montants de pensions alimentaires pour époux.
7.2 La fusion au fil des années et les théories actuelles concernant les pensions alimentaires pour époux
L'idée qui sous-tend la formule sans pension alimentaire pour enfant et qui explique le principe du partage des revenus en proportion de la durée du mariage est la fusion au fil des années. Nous utilisons cette expression[64] pour rendre l'idée selon laquelle à mesure qu'un mariage dure, les époux fusionnent plus en profondeur leur vie économique et non économique, chaque époux prenant d'innombrables décisions pour adapter ses aptitudes personnelles, son comportement et ses moyens financiers à ceux de l'autre époux. Selon la formule sans pension alimentaire pour enfant, l'écart entre les revenus des époux représente la différence entre la perte du niveau de vie conjugal subie par chacun des époux. La formule permettant d'établir le montant ainsi que celle visant à établir la durée reflètent toutes deux l'idée selon laquelle plus le mariage dure, plus l'époux ayant un revenu faible devrait être mis à l'abri d'une telle perte de niveau de vie.
Selon cette formule, les mariages de courte durée sans enfant donneront lieu à des pensions alimentaires très modestes, tant au niveau du montant que de la durée. Dans les cas où les ressources sont appropriées, la pension alimentaire pourrait être versée sous forme de montant forfaitaire. Les mariages de durée moyenne donneront lieu à des pensions alimentaires transitoires de durées différentes, augmentant avec la durée de la relation. Les mariages de longue durée produiront de généreuses pensions alimentaires pour époux illimitées, ce qui donnera aux époux un niveau de vie presque équivalent après la rupture du mariage. Cette formule génère les mêmes fourchettes pour les mariages de longue durée dont les partenaires n'ont pas eu d'enfant que pour les mariages de longue durée dont sont issus des enfants maintenant autonomes.
Bien que l'expression ne soit pas courante, la notion de fusion au fil des années, qui établit un lien entre l'importance de la demande de pension alimentaire pour époux et la durée du mariage, sous-tend en bonne partie le droit actuel. L'acceptation la plus évidente de ce principe est formulée dans le passage très souvent cité du juge L'Heureux-Dubé dans l'arrêt Moge :
Même si les principes régissant l'obligation alimentaire axés sur un partage équitable ne garantissent pas à chacune des parties le niveau de vie qu'elle avait durant le mariage, cette norme est loin d'être sans intérêt en matière de droit aux aliments … Le mariage devant être considéré comme une entreprise commune, plus longue est la durée de la relation et plus grande est l'union économique entre les parties, plus forte sera la présomption d'égalité du niveau de vie des deux époux après sa dissolution.[65]
La fusion au fil des années représente un moyen efficace d'englober les objectifs à la fois compensatoires et non compensatoires des pensions alimentaires pour époux que notre droit a reconnu depuis les arrêts Moge et Bracklow. En vertu du droit actuel, les deux sortes de demandes de pension alimentaire en sont venues à être analysées en termes de perte du niveau de vie qui existait pendant le mariage. Les budgets, et plus particulièrement les budgets déficitaires, jouent maintenant un rôle de premier plan dans la quantification de cette baisse de niveau de vie. Dans la formule sans pension alimentaire pour enfant l'écart entre les revenus des époux sert de mesure substitutive pratique et efficace pour établir la perte du niveau de vie qui existait pendant le mariage, remplaçant l'incertitude et l'imprécision générées par les budgets. La durée du mariage dicte alors l'étendue de la demande de protection contre cette perte du niveau de vie conjugal.
La fusion au fil des années peut comporter un aspect nettement compensatoire. Une des façons répandues pour les époux de fusionner leur vie économique est la division des rôles dans le mariage quant aux responsabilités relatives à l'éducation des enfants. Les demandes compensatoires seront significatives dans une importante catégorie de mariages que vise la formule sans pension alimentaire pour enfant, soit les mariages de longue durée dont sont nés des enfants maintenant autonomes.
En théorie, les demandes compensatoires se concentrent sur la perte par l'époux ayant le revenu le plus faible de sa capacité financière, de l'évolution de sa carrière, de prestations de retraite et ainsi de suite pour avoir été le principal responsable du soin des enfants. En pratique cependant, après l'arrêt Moge, les tribunaux ont commencé à s'attaquer aux obstacles présentés par la quantification avec un tant soit peu de précision, particulièrement pour les mariages de plus longue durée, en établissant des mesures substitutives de perte économique qui mettaient l'accent sur le niveau de vie pendant le mariage. Lors de l'attribution de pensions alimentaires pour époux dans les cas de mariages traditionnels de longue durée, les tribunaux ont commencé à définir le but poursuivi en fournissant à l'époux à plus faible revenu un niveau de vie raisonnable évalué par rapport au niveau de vie pendant le mariage. De plus en plus, la norme pour établir la pension alimentaire pour époux dans les mariages de longue durée est devenue grosso modo une équivalence des niveaux de vie.
La fusion au fil des années comporte aussi un important aspect non compensatoire. Dans les cas de mariages traditionnels de longue durée dont sont nés des enfants devenus adultes, il est maintenant répandu de voir des pensions alimentaires pour époux justifiées à deux titres. Les demandes de pension alimentaire non compensatoire reposant sur la dépendance pendant une longue période sont fréquemment utilisées pour compléter les demandes compensatoires fondées sur la perte de capacité de gain. Dans les mariages où les époux n'ont pas eu d'enfant (l'autre segment des mariages visés par la formule sans pension alimentaire pour enfant) les demandes de pension alimentaire pour époux sont souvent de nature non compensatoire, et donc fondées sur les besoins, la dépendance et la perte du niveau de vie qui existait pendant le mariage. La fusion au fil des années vise ces demandes non compensatoires.
Un des principaux défis du droit des pensions alimentaires pour époux depuis l'arrêt Bracklow a été bien sûr de cerner de façon précise la notion de pension alimentaire non compensatoire ou fondée sur des besoins. Selon une interprétation de l'arrêt Bracklow, le soutien non compensatoire est ancré dans la dépendance économique ou l'interdépendance des époux, pour reprendre les termes de la juge McLachlin. Cet arrêt reconnaît la difficulté de démêler des vies entremêlées de façon aussi complexe pendant de longues périodes. Selon cette interprétation large de l'arrêt Bracklow, que plusieurs tribunaux ont acceptée, le besoin n'est pas restreint aux situations de nécessité économique absolue, mais est une notion relative liée au niveau de vie au cours du mariage[66]. De ce point de vue, le droit à une pension alimentaire non compensatoire peut être établi habituellement chaque fois que l'époux à plus faible revenu subit une diminution importante de niveau de vie après la rupture du mariage en raison de la perte d'accès au revenu de l'autre époux, dont le montant et la durée sont réglés conformément au sens de l'équité d'un seul juge.
La fusion au fil des années inclut ce point de vue large du soutien non compensatoire et offre une certaine structure pour la quantification des pensions alimentaires accordées à ce titre[67]. Cette notion prend non seulement en compte les pertes économiques évidentes entraînées par le mariage, mais encore les éléments de dépendance et les attentes qui se développent dans les relations conjugales et qui augmentent avec la durée de la relation.
La formule sans pension alimentaire pour enfant produit les mêmes fourchettes dans le cas des longs mariages de couples qui n'ont pas eu d'enfant que dans celui des longs mariages de couples dont les enfants sont maintenant grands. Ce résultat est un reflet de ce que nous trouvons en vertu du droit actuel : les mariages de longue durée dans lesquels il y a une dépendance économique donnent lieu à d'importantes obligations en matière de pensions alimentaires pour époux, peu importe la source de la dépendance.
Nous reconnaissons que dans certaines situations particulières, la formule sans pension alimentaire pour enfant, s'appuyant comme elle le fait sur le concept de fusion au fil des années, conférant ainsi un poids considérable à la durée du mariage, peut ne pas répondre adéquatement aux objectifs de la pension alimentaire compensatoire ou non compensatoire (fondée sur les besoins). Au lieu de modifier la formule qui, en général, fonctionne bien pour une vaste gamme de situations et de revenus, nous avons tenté de régler ces problèmes grâce à des exceptions — l'exception pour les demandes compensatoires disproportionnées dans les cas de mariages de plus courte durée, l'exception pour maladie ou invalidité, et l'exception pour les besoins essentiels et les difficultés excessives dans les cas de mariages de courte durée. Ces exceptions sont analysées au chapitre 12 ci-dessous.
Dans la partie qui suit, nous examinons plus en détail le fonctionnement et l'application de la formule.
7.3 Déterminer la durée de la relation
La formule sans pension alimentaire pour enfant s'appuie sur la durée du mariage pour déterminer le montant et la durée de la pension alimentaire. Bien que nous utilisions l'expression « durée du mariage », qui est commode, la véritable mesure d'après les Lignes directrices facultatives est la période de cohabitation. Cette période comprend la cohabitation avant le mariage et prend fin à la séparation. L'inclusion de la cohabitation avant le mariage pour déterminer la « durée du mariage » est comparable avec ce que font maintenant la plupart des juges, lorsqu'ils établissent les pensions alimentaires pour époux. Cette façon de définir la durée d'un mariage favorise aussi l'application des Lignes directrices facultatives dans le cadre des lois provinciales sur les pensions alimentaires pour époux, qui s'appliquent aux relations hors mariage.
Nous n'avons pas de règles précises pour déterminer la durée d'un mariage. La démarche la plus simple consiste à arrondir à la hausse ou à la baisse à la prochaine année complète et c'est ce que nous avons fait dans les exemples présentés. Une autre démarche, un peu plus compliquée, est d'accepter les semestres et d'arrondir à la hausse ou à la baisse en fonction de cette période de six mois. Puisque la formule produit des fourchettes et non des nombres précis, il n'est pas nécessaire de calculer la durée du mariage de façon absolument précise. L'addition ou la soustraction d'une demi-année n'influera sans doute pas beaucoup ou pas du tout sur le résultat.
7.4 La formule pour établir le montant
Plusieurs aspects de la formule permettant d'établir le montant doivent être soulignés. En premier lieu, la formule utilise les revenus bruts (c.-à-d. avant impôt) plutôt que les revenus nets (c.-à-d. après impôt). (La détermination du revenu est expliquée en détail au chapitre 6.). Bien que le revenu net puisse être un peu plus précis, la facilité du calcul et la familiarité avec le concept font pencher la balance, à notre avis, en faveur de l'utilisation du revenu brut[68]. Comme vous le constaterez à la lecture du chapitre 8, le revenu net est utilisé dans la formule avec pension alimentaire pour enfant en raison du traitement fiscal différent de la pension alimentaire pour époux et de celle pour enfant.
En deuxième lieu, la formule applique un pourcentage déterminé à l' écart entre les revenus des époux plutôt que des pourcentages spécifiques au montant global des revenus combinés des époux. L'application du partage des revenus à l'écart entre les revenus des époux constitue une autre différence par rapport à la formule avec pension alimentaire pour enfant, dans laquelle l'utilisation des revenus nets exige un modèle de partage des revenus qui s'applique aux revenus combinés des époux.
En troisième lieu, notre formule permettant d'établir le montant n'utilise pas un pourcentage fixe ou unique pour le partage de l'écart des revenus. Notre formule inclut plutôt un facteur durée pour accroître le pourcentage des revenus partagés à mesure que la durée du mariage augmente[69]. Le facteur durée que nous avons choisi se situe entre 1,5 et 2 % de l'écart des revenus bruts par année de mariage.
Nous avons élaboré les fourchettes des montants en déterminant tout d'abord le moment où le partage atteindrait son maximum, que nous avons établi à 25 ans. Nous nous sommes tout d'abord appuyés sur l'hypothèse selon laquelle le partage maximum devait se rapprocher sensiblement d'une opération d'égalisation des revenus, soit le partage de 50 % de l'écart des revenus bruts. Nous avons ensuite essentiellement travaillé à rebours pour établir le niveau de revenu annuel requis pour atteindre le partage maximum à la 25e année. Le résultat a été de 2 % par an. Au cours de l'élaboration de la formule, nous avons essayé plusieurs fourchettes de pourcentages, mais la fourchette de 1,5 à 2 % s'est révélée la plus comparable aux niveaux utilisés dans la pratique actuelle.
Nous avons choisi l'égalisation des revenus (c.-à-d. 50 % de l'écart des revenus bruts) comme niveau maximum de partage des revenus, qui peut être atteint après 25 ans de mariage et représente la fusion complète de la vie des époux. Nous avons aussi passé beaucoup de temps à examiner un plafond quelque peu moins élevé pour prendre en compte les effets incitatifs et les coûts liés au travail dans les situations où seul le payeur travaille. Cependant, nous avons également conclu qu'il pourrait y avoir des cas où l'égalisation des revenus serait la solution appropriée. Par exemple, lorsque seul le revenu de retraite est partagé après un très long mariage, ou peut-être lorsque les deux époux travaillent après un mariage de longue durée, mais avec une disparité de revenus importante. Nous avons prévu cette possibilité dans la formule.
Après la publication de l'Ébauche de proposition, nous avons sollicité de la rétroaction pour déterminer s'il fallait établir le niveau maximum de partage à un niveau inférieur à 50 % de l'écart des revenus bruts. Nous avons conclu que nous devions retenir l'égalisation des revenus comme partage maximum, mais qu'il fallait plutôt parler d'égalisation des revenus nets plutôt que des revenus bruts. Nous avons donc rajusté la formule en établissant la limite supérieure de la fourchette maximale au montant correspondant à l'égalisation des revenus nets des époux — ce qu'on appelle le plafond du revenu net.
7.4.1 L'égalisation du plafond du revenu net
Dans le cas de mariages de longue durée pour lesquels la formule engendre la fourchette maximale de 37,5 à 50 % de l'écart entre les revenus bruts, le bénéficiaire peut obtenir en bout de ligne plus de 50 % du revenu net des époux, particulièrement lorsque l'époux payeur travaille encore et que le bénéficiaire a peu ou pas de revenu. Ce résultat ne devrait jamais se produire.
Pour éviter ce résultat, peu de temps après la publication de l'Ébauche de proposition, nous avons commencé à conseiller aux avocats et aux juges d'examiner de près les revenus nets des époux dans le cas de mariages de longue durée pour calculer un montant approprié dans une fourchette. Nous avons maintenant choisi de modifier la formule sans pension alimentaire pour enfant en y ajoutant un plafond du revenu net. Le bénéficiaire d'une pension alimentaire pour époux ne devrait jamais recevoir un montant qui le laisse avec plus de 50 % du revenu net disponible ou des liquidités mensuelles du couple.
En fait, l'ajout du plafond du revenu net conserve l'égalisation des revenus comme limite maximale du partage selon la formule sans pension alimentaire pour enfant. Cela permet tout simplement de calculer de manière plus exacte l'égalisation du revenu. Pour ce qui est de réduire le maximum de la fourchette maximale, nous en sommes arrivés à la conclusion que les arguments en faveur du choix initial de l'égalisation des revenus comme limite maximale du partage étaient toujours convaincants. En outre, personne ne semblait s'entendre sur un pourcentage plus bas pour établir le plafond.
Le logiciel peut calculer les « 50 % du revenu net » avec précision, et la fourchette de la formule présentée à l'écran montrera cette limite au maximum de la fourchette. Pour déterminer le « revenu net» aux fins du calcul du plafond, les déductions permises seront l'impôt sur le revenu fédéral et provincial, les cotisations d'assurance-emploi, les cotisations au Régime de pensions du Canada et toute autre déduction dont profite le bénéficiaire (p. ex. assurance médicale ou dentaire, assurance-vie collective et autres régimes d'avantages). Les retenues obligatoires de la pension ne sont pas autorisées, pour les mêmes raisons que pour la formule de base avec pension alimentaire pour enfant, expliquée plus loin, au chapitre 8. Les cotisations syndicales et les frais professionnels sont déjà déduits des revenus bruts des époux, conformément aux Lignes directrices fédérales sur les pensions alimentaires pour enfants (voir le chapitre 6).
Un des avantages de la formule sans pension alimentaire pour enfant est que l'on n'a pas besoin d'un ordinateur pour faire les calculs. Pour ceux qui ne possèdent pas le logiciel ou qui n'ont pas besoin d'un calcul du revenu net plus précis, ce plafond du « revenu net » peut être calculé simplement à la main, à raison de 48 % de la différence entre les revenus bruts. Cette méthode du « 48 % » est une possibilité de deuxième ordre mais est quand même satisfaisante[70].
Lorsque l'on pense au niveau maximum du partage, il est important de garder à l'esprit que la formule n'exige pas que la pension alimentaire représente l'égalisation des revenus des époux après 25 ans, mais prévoit plutôt des pensions alimentaires dans la fourchette se situant entre 37,5 et 50 % de l'écart des revenus bruts (dont la limite maximale est l'égalisation des revenus nets). Compatible avec le droit actuel, la formule ne constitue pas un mécanisme général d'égalisation des revenus; elle ne fait que prévoir la possibilité d'égaliser les revenus.
7.4.2 Le problème du montant dans le cas des mariages de courte durée
La rétroaction que nous avons reçue après la publication de l'Ébauche de proposition ainsi que notre lecture continue des affaires dans lesquelles les Lignes directrices ont été prises en compte ont confirmé que les fourchettes des montants générés au moyen de la formule sans pension alimentaire pour enfant sont « assez justes » et n'ont pas besoin d'ajustements importants hormis le plafond du revenu net.
De manière générale, nous avons constaté que la formule sans pension alimentaire pour enfant fonctionne bien et génère une variété raisonnable de résultats parmi un vaste éventail d'affaires portant sur des mariages dont la durée varie de courte à longue et dont les revenus varient. La formule fonctionne à merveille pour les mariages de longue durée, qui constituent la majorité des cas dans lesquelles la formule est appliquée[71]. Pour les mariages de durée moyenne, dans certains cas, les montants mensuels doivent être ajustés (c.-à-d. augmentés) grâce à la restructuration (voir chapitre 10), mais nous étions bien au courant de cette situation lorsque nous avons élaboré la formule. Nous avons mis beaucoup l'accent sur la restructuration pour que les résultats soient comparables à la pratique actuelle. Ce sont également les cas — mariages de durée moyenne sans enfant — dans lesquels des exceptions sont souvent invoquées.
Au cours du processus de rétroaction, nous avons entendu des critiques, dans certaines parties du pays, à l'effet que les montants que génèrent les formules dans les cas de mariages de courte durée étaient « trop faibles ».
Dans certains cas, on ne tenait pas compte de l' exception compensatoire — l'exception pour les demandes nettement compensatoires dans les mariages de courte durée. Dans ces affaires, un des époux peut avoir subi des pertes économiques importantes à la suite du mariage, en raison d'un déménagement ou parce qu'il a quitté son emploi, par exemple. Ou bien, un des époux peut avoir donné un avantage économique à l'autre époux en lui payant ses études pour obtenir un grade légal ou toute autre forme d'études ou de formation. Cette exception est analysée en détail au chapitre 12.
Dans d'autres cas, non compensatoires, certains ont critiqué la formule, soutenant qu'elle ne prévoit pas suffisamment de soutien pour la transition du niveau de vie durant le mariage à un niveau de vie inférieur fondé sur la capacité du bénéficiaire de gagner un revenu. Les affaires où le mariage a duré moins de six ou sept ans offrent très peu de possibilités de restructuration. Il fallait donc déterminer si la structure de la formule devait être fondamentalement modifiée en augmentant le pourcentage du partage des revenus dans le cas des mariages de courte durée.
Finalement, nous avons conclu qu'il ne fallait rien changer à la structure de base de la formule. Dans la majorité des affaires, partout au pays, la formule fonctionne bien pour les mariages de courte durée sans enfants, ce qui, dans le droit actuel, donne lieu à des obligations alimentaires très restreintes, dans la mesure, bien entendu, où le droit aux aliments a été établi. Les montants modestes générés par la formule sont normalement restructurés et convertis en un montant forfaitaire ou une pension alimentaire transitoire de très courte durée. Dans la plupart de ces cas, le bénéficiaire a un revenu de base, qui est complété par une pension alimentaire pour époux. Dans certaines régions du pays, on peut trouver des pensions alimentaires transitoires plus généreuses qui permettent au bénéficiaire de conserver le même niveau de vie que durant le mariage, même après un mariage de courte durée. Il s'agit d'une tendance régionale limitée qui est difficile à justifier aux termes des principes actuels qui régissent les pensions alimentaires pour époux.
Nous reconnaissons, toutefois, qu'il existe des problèmes propres aux mariages de courte durée où le bénéficiaire a un faible revenu ou aucun revenu. Dans de tels cas, la formule peut générer un montant de pension alimentaire trop faible pour le bénéficiaire ayant un faible revenu ne serait-ce que pour subvenir à ses besoins essentiels pour une période de transition. Le montant nécessaire pour répondre à ces besoins varie selon que la personne vit dans une grande ville, une petite ville ou une région rurale. Selon l'endroit où le bénéficiaire demeure, la restructuration permet d'obtenir un résultat satisfaisant, c.-à-d. une pension alimentaire plus élevée pour une période plus courte. Par conséquent, le problème dans ces cas de mariages de durée courte ou moyenne dans lesquels le bénéficiaire a un revenu faible est plus prononcé dans les grandes villes.
Nous n'avons pas voulu changer la structure de la formule pour cette seule sous-catégorie de cas. La meilleure approche à adopter pour ces dossiers consistait à créer une exception parfaitement adaptée — l'exception relative aux besoins essentiels ou aux difficultés excessives pour les mariages de courte durée — qui est analysée en détail au chapitre 12, qui porte sur les exceptions.
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