Programme sur les crimes contre l'humanité et les crimes de guerre


3. CONSTATATIONS DE L'ÉVALUATION (suite)

3.4. Rentabilité et solutions de rechange

3.4.1. Moyens rentables de concrétiser la politique

Constatations sommaires

Les données sur les estimations de coût pour chaque recours appliqué par le Programme montrent clairement l'avantage, sur le plan des coûts, des recours en matière d'immigration et corroborent largement les récentes décisions et modifications stratégiques (2006 et 2007) au sujet des critères d'examen des cas qui ont mis l'accent sur leur utilisation (sans exclure les poursuites criminelles dans les cas qui remplissent les critères associés). À cet égard, le Programme a récemment pris des mesures importantes pour améliorer la rentabilité. Néanmoins, le personnel du Programme a formulé un nombre de suggestions pratiques pour réduire les coûts des cas et pour faire en sorte que le recours en refus d'entrée, qui est le moins coûteux, soit le plus efficace possible.

L'utilisation judicieuse du recours lié aux poursuites demeure un élément nécessaire du Programme, qui contribue à son objectif général de refuser le refuge. Comme l'ont soutenu de nombreux interviewés, les poursuites criminelles, bien que très coûteuses, contribuent largement à promouvoir la politique hautement prioritaire.

Enfin, il n'y a aucun élément de preuve montrant que l'exécution autonome du Programme par les quatre ministères permettrait d'améliorer la rentabilité. De fait, il existe un risque appréciable que les économies relativement minimes seraient plus que compensées par la perte de coordination et de cohérence du Programme et, partant, de son efficacité.

Information probante émanant de l'évaluation

Données de comparaison des coûts selon le recours

L'une des méthodes les plus importantes employées pour évaluer l'efficacité du Programme est la comparaison des coûts des neuf recours accessibles pour étudier les allégations de crimes contre l'humanité et de crimes de guerre.

Pour lancer la comparaison des coûts, une série de consultations ont été menées auprès des gestionnaires des ministères chargés du Programme afin d'élaborer les organigrammes des processus pour les neuf recours (et l'examen des dossiers qui amorce le processus de classification). Ensuite, le personnel du Programme a présenté les estimations de coûts directs de chaque étape du processus.

Les estimations de coûts fournies comprennent les coûts directs, notamment les traitements et les avantages sociaux ministériels (les avantages sociaux estimatifs correspondent à 15 % des traitements), les frais de déplacement et les autres frais d'exploitation engagés par les ministères. Les frais généraux (la location des bureaux, les services publics, etc.) ne sont pas compris dans les estimations de coûts. Le coût de chaque étape des recours individuels est indiqué à l'annexe D ainsi que la description détaillée des données à l'appui.

Le tableau 11 renferme les coûts estimatifs de chaque recours selon le scénario le plus élémentaire et le plus complexe.

Tableau 11: Coûts estimatifs des recours accessibles au Programme
Recours Coûts estimatifs par cas
Élémentaire Complexe
Recours 1: Déni de visa aux personnes hors du Canada 639 $ 7 832 $
Recours 2: Déni d'accès au système de détermination du statut de réfugié 4 768 $ 45 551 $
Recours 3: Exclusion de la protection prévue par la Convention des Nations Unies de 1951 relative au statut des réfugiés 8 152 $ 41 085 $
Recours 4: Poursuite 4 027 284 $ 4 170 372 $
Recours 5: Extradition vers un État étranger 471 251 $ 526 341 $
Recours 6: Remise à un tribunal international 471 251 $ 526 341 $
Recours 7: Révocation de la citoyenneté 471 810 $ 1 291 194 $*
Recours 8: Enquête et renvoi du Canada en vertu de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés (LIPR) 15 782 $ 46 931 $
Recours 9: Refus de statut aux agents supérieurs dans les gouvernements considérés comme s'étant livrés à des violations graves des droits de la personne en application de l'alinéa 351b) de la LIPR 523 $ 36 351 $

* Si l'intention de révoquer la citoyenneté découle de la décision de mettre fin à une enquête criminelle et d'entreprendre au lieu ce recours, les coûts des poursuites criminelles abandonnées hausseraient vraisemblablement les coûts du recours par au plus 676 000 $.

Trois constatations importantes au sujet des coûts des recours se dégagent des données présentées dans le tableau 11 et décrites dans les pages précédentes.

  1. Les recours 1, 2, 3, 8 et 9 sont moins coûteux dans chaque cas que les recours 4, 5, 6 et 7. Essentiellement, s'il est possible de traiter une allégation avant qu'un individu soupçonné de crime contre l'humanité et de crime de guerre devienne résident permanent ou citoyen ou qu'il obtienne la protection de réfugié, les recours accessibles peuvent être très rentables.
  2. Concernant les recours 2, 3, 7, 8 et 9, on constate une grande différence entre les coûts d'un cas élémentaire et d'un cas complexe. Si, pour ces recours, la personne interjette appel de la décision, les coûts augmentent considérablement.
  3. Même si les poursuites criminelles se poursuivent pendant de nombreuses années et que les coûts se répartissent sur deux ans et demi environ, elles demeurent deux fois plus coûteuses que tous les autres recours combinés même dans les cas les plus complexes.

Plusieurs observations importantes concernant la rentabilité se dégagent des coûts des différents recours :

Les interviewés des ministères du Programme et des organismes partenaires internationaux ont formulé un nombre de suggestions très détaillées afin d'améliorer la rentabilité, notamment :

Il convient aussi de souligner que certains membres du personnel des organismes partenaires internationaux ont mentionné que le Programme canadien, à leur avis, bénéficie d'une coordination interministérielle efficace et devrait être plus rentable que les autres programmes nationaux. D'autres ont soutenu qu'il est toujours difficile d'évaluer la rentabilité des programmes de justice, bien qu'il soit primordial d'intervenir.

Il y a aussi lieu de mentionner que selon quelques interviewés des ministères chargés du Programme et d'autres ministères fédéraux, il serait possible d'améliorer la rentabilité en entreprenant une démarche plus rigoureuse de gestion des risques. Entre autres mesures possibles, la démarche comprendrait la révision ultérieure des critères d'examen des dossiers de façon à attribuer moins de cas aux recours coûteux, par exemple, une enquête pour la révocation de la citoyenneté ou la poursuite criminelle.

Solution de rechange aux programmes ministériels distincts

Quelques interviewés ont demandé s'il était plus rentable ou non que chaque ministère conduise indépendamment ses activités relatives aux crimes de guerre et aux crimes contre l'humanité plutôt que dans le cadre d'un programme intégré unique.

L'amélioration de la rentabilité pourrait être fonction des économies éventuelles réalisées en éliminant les structures de gouvernance centrale du Programme (le Comité directeur sur les crimes de guerre, le CCAP et son sous-comité d'examen des dossiers). De même, les ministères pourraient réaliser des économies s'ils éliminaient ou réduisaient les dépenses engagées pour participer à la planification conjointe et aux mécanismes de reddition des comptes, par exemple, la préparation du CGRR et la présentation de données pour les rapports annuels.

Toutefois, cette analyse soulève trois questions :

  1. Les économies ne seraient pas bien importantes comparativement aux coûts de l'exécution des recours par chaque ministère, tel qu'il est indiqué au tableau 11.
  2. En l'absence de mécanismes officiels pour coordonner les activités liées aux crimes de guerre des quatre ministères, il serait nécessaire de mettre en place des structures de coordination ponctuelles. Les organigrammes des processus présentés à l'annexe D montrent qu'aucun des recours accessibles à l'endroit des individus impliqués dans les crimes de guerre et les crimes contre l'humanité ne peut être pleinement mis en œuvre par un seul ministère et que trois sinon quatre ministères doivent prendre part aux recours. Les études de pays ont montré que l'Australie, les Pays-Bas et les États-Unis ont conclu qu'il fallait créer des comités publics inter-organismes officiels ou non officiels pour régler les questions de politique et la coordination opérationnelle.
  3. Même si la prestation autonome pourrait théoriquement entraîner une faible réduction des coûts de l'un des ministères ou plus (il faudrait cependant entreprendre une analyse plus détaillée des coûts liés aux structures de gouvernance et de coordination du Programme afin d'étayer cette possibilité), les économies réalisées nuiraient grandement à l'efficacité. Le Programme a réalisé d'importants gains grâce à la cohésion et à la coordination efficaces au cours de la période visée par l'évaluation, gains qui seraient réduits par les mesures de compression des coûts. Si on décidait de renoncer aux gains éventuels en considération de petites économies dans les coûts de gouvernance et de coordination, les effets de la rentabilité du Programme seraient vraisemblablement négatifs.

3.4.2. Moyens efficaces d'accroître la sensibilisation

Constatations sommaires

On peut saisir les occasions d'accroître la sensibilisation et les connaissances à l'égard du Programme produites par la couverture médiatique des cas de révocation de la citoyenneté et de poursuite très médiatisés. Ces cas notoires (bien qu'évidemment très onéreux), qui devraient seulement être entrepris après avoir établi le bien-fondé de chaque cas, représentent un moyen de sensibilisation puissant. Il y a aussi des occasions d'accroître la sensibilisation et les connaissances au Canada en injectant des sommes relativement petites dans les activités de diffusion plus nombreuses ciblant les collectivités et les organismes partenaires éventuels.

Clairement, la sensibilisation accrue aux questions et à l'existence du Programme canadien peut entraîner une hausse du nombre d'allégations, ce qui comporte des répercussions sur la charge de travail et les coûts du Programme. D'ailleurs, l'absence de sensibilisation peut ajouter aux risques, notamment que des individus impliqués ne soient pas repérés, ce qui mine l'efficacité de la politique d'interdiction de territoire et laisse entendre que le Canada n'est pas pleinement engagé à l'égard de la politique.

Information probante émanant de l'évaluation

Cet enjeu présuppose l'accroissement de la sensibilisation et des connaissances à l'égard du Programme au Canada, vraisemblablement afin de recueillir un appui solide de celui-ci chez la population canadienne et d'obtenir le concours des citoyens susceptibles d'identifier les auteurs présumés ou de communiquer des renseignements et des éléments de preuve. Voilà justement l'argument avancé par le personnel des organismes d'intervenants externes au Canada.

Le personnel des ministères du Programme et les intervenants externes au Canada ont souligné la possibilité d'accroître la sensibilisation au pays en prenant les mesures suivantes :

L'analyse média a montré que les cas de poursuite et de révocation de la citoyenneté peuvent faire l'objet d'une couverture médiatique soutenue, qui peut rehausser la sensibilisation et les connaissances du public au sujet du Programme, ce qui a été confirmé dans trois études de cas portant sur des cas notoires de poursuite criminelle et de renvoi du Canada.

3.4.3. Affectation de ressources de programme suffisantes pour atteindre les objectifs

Constatations sommaires

Comme il en a été question à la section 3.1.4, le Programme a constaté le nombre croissant de cas examinés à l'étranger et au Canada au cours de la période visée par l'évaluation. De même, à la fois les conflits armés mondiaux et l'immigration au Canada laissent présager le maintien du nombre d'allégations dans un proche avenir. Parce que la charge de travail du Programme ne devrait pas diminuer (après une hausse soutenue pendant presque toute la période d'évaluation) et que le financement n'a pas augmenté de manière appréciable au cours de la période, il n'est pas surprenant que de nombreux interviewés croient que le Programme manque de ressources suffisantes pour atteindre ses objectifs.

En raison de la réduction du budget annuel du Programme depuis 1998-1999 (en dollars réels) et de la déclaration de nouvelles allégations dans le Neuvième Rapport annuel, le niveau actuel des ressources du Programme sera insuffisant pour accomplir ses buts à l'avenir.

Les principaux domaines où affecter des ressources supplémentaires (dans l'ordre de priorité relative) sont la Section des crimes de guerre de la GRC qui est chargée des enquêtes sur les cas dans le répertoire des crimes de guerre contemporains; l'amélioration et l'actualisation des bases de données électroniques de l'ASFC et de CIC; et les investissements dans la formation du nouveau personnel de première ligne dans les régions et les bureaux à l'étranger ainsi que dans les activités de diffusion et de sensibilisation au Canada.

Parallèlement, on peut avancer sans risque d'erreur que les allégations à l'endroit d'individus impliqués dans les crimes de guerre contemporains ne sont pas temporaires, entraînant un arriéré de travail que pourrait résorber un programme temporaire. Les répondants ont mentionné l'arriéré des cas de la Seconde Guerre mondiale pour justifier en 1998 l'affectation de fonds temporaires au Programme. Tel qu'il a été mentionné ci-haut, on ne peut s'attendre raisonnablement à ce que le nombre d'allégations traitées par le Programme diminue considérablement dans un proche avenir. Ces facteurs, combinés aux dispositions législatives permanentes de la la LCCHCG, laissent penser que le financement permanent du Programme serait pleinement justifié.

Information probante émanant de l'évaluation

L'enveloppe financière générale du Programme est prévue dans le cadre financier fixé dans le Budget fédéral de 2005, totalisant 78 millions de dollars pour la période quinquennale de 2005-2006 à 2009-2010. De plus, la GRC alloue tous les ans le montant de 0,66 million tiré des services votés au travail lié aux crimes de guerre. Ce montant équivaut au niveau de financement affecté en 1998 pour la période de 2004-2005 à 2009-2010, sans rajustement pour tenir compte de la hausse des traitements ou de l'inflation qui touche les coûts opérationnels ou encore les frais des locaux et du soutien ministériel. Il en découle une réduction importante en dollars réels (corrigés en fonction de l'inflation) de la valeur des fonds disponibles pour toutes les activités du Programme.

En réponse à la question de savoir si les ressources étaient suffisantes pour entreprendre les activités nécessaires pour accomplir les objectifs du Programme, le personnel des ministères du Programme était convaincu qu'elles étaient insuffisantes. Presque tous les employés ministériels interviewés ont soutenu que le Programme a été sous-financé. Ils ont largement convenu que la Section des crimes de guerre de la GRC, en particulier, n'a pas touché de fonds suffisants dans l'affectation budgétaire de 2005-2006 à 2008-2009, surtout en raison des coûts et des besoins en ressources humaines associés au répertoire de la GRC et du MJ.

Le personnel des ministères chargés du Programme a mentionné de nombreux secteurs ayant besoin de fonds supplémentaires pour pouvoir mieux répondre aux objectifs du Programme. Les secteurs les plus fréquemment mentionnés et les plus prioritaires comprennent les suivants :

La majorité des interviewés ont aussi déclaré que le financement permanent du Programme permettrait d'améliorer la planification stratégique à long terme ainsi que de la stabilité des ressources humaines (aux fins de la planification de carrière). De plus, certains répondants ont mis en garde contre les ressources des services votés, car elles seraient exposées aux autres priorités ministérielles, surtout compte tenu des modifications récentes dans les politiques de recouvrement des coûts.

Dans le sondage, le personnel des ministères du Programme devait coter la suffisance des ressources disponibles pour les différents aspects de la gestion des allégations.

Tableau 12: Réponses du sondage relatives à la suffisance des ressources (Q14)
Cote attribuée par les répondants à la suffisance des ressources du Programme pour les aspects suivants : Relativement ou très suffisant Peu ou très peu suffisant
Présélection des demandes de visa 69% 31%
Refus de visas liés aux crimes de guerre 68% 32%
Formation et perfectionnement professionnel 42% 58%
Collecte et diffusion de renseignements 48% 53%
Enquêtes 31% 69%
Diffusion et communications 44% 56%
Préparation des cas pour les audiences et l'examen 70% 30%
Préparation des cas pour les procès 74% 26%

Le personnel du Programme sondé a cerné les quatre éléments suivants du Programme dans l'ordre dont le manque de ressources est le plus criant :

Les études de pays ne renfermaient pas de détails complets sur les affectations budgétaires dans les pays en cause. D'ailleurs, elles comprenaient des estimations des ressources humaines disponibles dans les programmes semblables hors du Canada, surtout les enquêteurs policiers et les agents régionaux (aux États-Unis).

Les Pays-Bas, par exemple, comptaient vingt agents de police (quatre coordonnateurs et seize enquêteurs) dans l'unité des crimes de guerre de la Division des crimes internationaux de la police nationale. Il s'agit de plus du double du nombre d'enquêteurs que ceux dans la Section des crimes de guerre de la GRC. Le Service de l'immigration et de la naturalisation (SIN) des Pays-Bas compte en plus 25 enquêteurs affectés aux enquêtes sur les crimes de guerre, et huit autres joindront les rangs en 2008.

L'Immigration and Customs Enforcement (ICE) Service des États-Unis estime que de 50 à 200 de ses plus de 6 000 enquêteurs régionaux travaillent principalement aux cas de violation des droits de la personne.

La police fédérale de l'Australie (AFP) ne possède pas d'unité spéciale des crimes de guerre, mais elle peut affecter des ressources en fonction de la charge de travail. Selon ses estimations, le nombre d'enquêteurs affectés aux crimes de guerre peut être aussi faible que deux et demi et aussi élevé que 30. Actuellement, l'Unité des crimes de guerre du ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration de l'Australie compte huit analystes, mais s'attend à ce que ce nombre double sous peu.

À titre comparatif, les trois pays étudiés peuvent affecter un plus grand nombre d'enquêteurs policiers aux cas de crimes de guerre à titre de personnel permanent des unités des crimes de guerre ou les nommer au besoin. De toute évidence, les autres pays peuvent ne pas recevoir autant d'allégations de crimes de guerre (les interviewés n'ont pas été en mesure de fournir cette information à l'équipe d'évaluation); c'est pourquoi la comparabilité du nombre de personnel affecté est restreinte.

Dans l'optique uniquement de la population, précisons que la population estimative des Pays-Bas était de 16,4 millions en 2008, soit un peu moins de la moitié de la population estimative canadienne de 33,4 millions au cours de la même année. La population de l'Australie se chiffre à 24,4 millions et celle des États-Unis, à 305,3 millions. En raison de la population nombreuse du Canada et de son engagement continu à l'égard d'une immigration forte, il semble peu probable que les Pays-Bas ou l'Australie traitent un nombre beaucoup plus élevé d'allégations que celui du Canada.