L'HARMONISATION DE LA LÉGISLATION FÉDÉRALE EN MATIÈRE DE FAILLITE ET D'INSOLVABILITÉ AVEC LE DROIT CIVIL DE LA PROVINCE DE QUÉBEC : QUELQUES PROBLÉMATIQUES

2. Problèmes propres à la L.F.I. (Suite)

2.4. L'application de la partie XI

La partie XI de la L.F.I. présente une problématique pertinente en regard de l'harmonisation de la loi avec le droit civil québécois en ce qui concerne l'identification du « séquestre/receiver », le préavis que le créancier garanti doit faire parvenir au débiteur avant de réaliser ses droits, et les obligations imposées au séquestre dans l'administration des biens du failli.

Identification du « séquestre »

Depuis 1992, la L.F.I. comporte, en sa partie XI, des dispositions encadrant l'exercice des recours des créanciers garantis. Ces dispositions imposent à ces derniers des obligations d'honnêteté dans l'administration et la liquidation des biens du débiteur.[126] Toutefois, ces règles ne trouvent application que lorsqu'un « séquestre/receiver » prend possession des biens du débiteur afin de les administrer. Le législateur fédéral définit au paragraphe 243(2) de la L.F.I. ce qu'est un « séquestre/receiver » au sens de la partie XI. On y lit :

« Dans la présente partie, mais sous réserve du paragraphe (3), “séquestre” s'entend de toute personne qui, aux termes d'un contrat — appelé “contrat de garantie” dans la présente partie — créant une garantie sur des biens, ou aux termes d'une ordonnance rendue par le tribunal sous le régime de toute règle de droit prévoyant ou autorisant la nomination d'un séquestre ou d'un séquestre-gérant, est habilitée nommément à prendre — ou a pris — possession ou contrôle de la totalité ou de la quasi-totalité du stock, des comptes recevables ou des autres biens d'une personne insolvable ou d'un failli acquis ou utilisés dans le cadre de ses affaires. »

Deux éléments fondamentaux se dégagent de cette définition. Premièrement, le « séquestre/receiver » visé est celui qui prend possession des biens du débiteur insolvable. Deuxièmement, le « séquestre/receiver » doit, afin d'effectuer la prise de possession, être habilité en ce sens en vertu d'une ordonnance ou d'un contrat de garantie. Le libellé de la définition est toutefois rédigé de façon ambiguë et permet deux interprétations contradictoires.

Selon une interprétation large, les mots « toute personne qui (…) est habilitée nommément à prendre [possession des biens] », d'une part, et « ou a pris », d'autre part, présentent une alternative conceptuelle : le « séquestre/receiver » traditionnellement reconnu et ce qui serait une nouvelle conception de « séquestre/receiver ». Ainsi, le « séquestre/receiver » visé par cette définition peut être celui qui est traditionnellement habilité par un contrat de garantie ou une ordonnance mais il pourrait aussi être un créancier qui prend possession des biens faisant l'objet d'un contrat de garantie afin de les réaliser sans y être expressément habilité.

Selon une interprétation stricte, au contraire, le paragraphe 243(2) de la L.F.I. ne renvoie qu'au « séquestre/receiver » traditionnellement reconnu. Il en découle que le « séquestre/receiver » visé par cette définition est celui qui prend possession des biens du débiteur insolvable conformément au libellé d'un contrat de garantie ou de l'ordonnance d'un tribunal.

Ce sont ces arguments que l'on a présentés devant le juge Baynton du tribunal de première instance de Saskatchewan. Le juge Baynton a d'abord reconnu le bien-fondé des deux interprétations mais a ensuite tranché en faveur de l'interprétation stricte. Il a toutefois ajouté, en tenant compte des fins poursuivies par la partie XI de la L.F.I., qu'un créancier garanti pourrait être un « séquestre/receiver » tel que défini au paragraphe 243(2) de la L.F.I. à condition qu'il soit nommément habilité aux termes d'un contrat de garantie ou d'une ordonnance à prendre possession des biens de son débiteur.[127]

Appliquées au Québec, ces conclusions signifieraient que le paragraphe 243(2) de la L.F.I. ne peut trouver application à la situation des créanciers hypothécaires. Selon l'argument défendu par Me Alain Riendeau, le fondement juridique permettant aux créanciers hypothécaires d'exercer leurs droits en cas de défaut du débiteur ne se trouve pas dans un contrat ou une ordonnance du tribunal mais bien dans le C.C.Q.[128] Le professeur Jacques Deslauriers est toutefois moins catégorique et affirme qu'« [o]n ne s'entend pas, du moins dans la province de Québec, pour identifier les sûretés dont l'exécution met en œuvre les règles du séquestre de la partie XI ».[129]

En fait, il semble que le mode de réalisation de garanties visé par la définition du paragraphe 243(2) de la L.F.I. était, au Québec, la prise de possession d'une entreprise aux termes d'un acte de fiducie en vue de liquider les inventaires, les comptes recevables et les biens du débiteur. En effet, la Loi sur les pouvoirs spéciaux des corporations permettait de créer un acte de fiducie en faveur de créanciers-obligataires aux termes duquel le fiduciaire de ces derniers pouvait entrer en possession des biens du débiteur-émetteur, les administrer et les liquider advenant le défaut de celui-ci.[130] Or, la disparition de cet acte de fiducie, avec la réforme du Code civil, peut donner l'impression que la partie XI de la L.F.I. est lettre morte au Québec.[131]

Il faut toutefois apporter des nuances à cette affirmation car il existe au Québec des créanciers dont les sûretés sont prévues dans d'autres textes que le C.C.Q. et dont la réalisation peut se faire par l'intervention d'un « séquestre/receiver ». Par exemple, on peut penser au contrat de garantie qu'une banque pourrait conclure avec son client lequel contrat pourrait prévoir la prise de possession des inventaires de ce dernier. Comme l'affirmait le juge Gonthier de la Cour suprême du Canada à l'occasion de l'affaire Atomic Slipper, « [i]l n'y a donc rien qui empêche une banque de prendre possession des biens si elle a acquis ce droit par convention et que le débiteur ne s'y oppose pas. En tel cas, elle n'a pas à rechercher une autorisation judiciaire afin de procéder à la réalisation de sa garantie ». [132]

Advenant l'insolvabilité du client, la partie XI de la L.F.I. trouverait probablement application. Le « séquestre/receiver » de la banque devrait, en principe, être redevable des obligations prévues aux articles 246 et 247 de la L.F.I. En outre, il devrait administrer les biens « en toute honnêteté et de bonne foi » et selon « les pratiques commerciales raisonnables ». De plus, il devrait produire des rapports décrivant l'exercice de ses fonctions à l'égard des biens.

Or, comme l'affirme Me Riendeau, les dispositions du C.C.Q. concernant l'administration du bien d'autrui poursuivent des fins analogues.[133] Et, comme le rappelle le professeur Jacques Deslauriers, « […] les législateurs ont eu en 1992 et 1994 des objectifs et des motivations semblables. Cependant, alors qu'autrefois d'aucuns affirmaient être assujettis à la loi de la jungle face à certains de leurs créanciers, maintenant, nous nageons dans une multitude de systèmes d'avis et de contrôle […] »[134]

On peut alors se demander si le législateur aura l'intention de s'arrimer au droit privé de la province de Québec. Dans l'affirmative, on peut imaginer l'utilité d'assujettir le « séquestre/receiver » prenant possession des biens du débiteur insolvable au nom d'une banque aux règles du C.C.Q. sur l'administration du bien d'autrui.

Le préavis

Le paragraphe 244(1) de la L.F.I. impose à tous les créanciers garantis l'obligation de faire parvenir un préavis au débiteur insolvable avant de mettre leur garantie à exécution.[135] En particulier, le créancier garanti ne peut mettre à exécution sa garantie avant l'expiration d'un délai de dix jours. De son côté, toutefois, le C.C.Q. prévoit le délaissement immédiat des biens du débiteur lorsque ces derniers risquent de dépérir ou lorsqu'il est à craindre que la créance ne soit mise en péril.[136] Il y aurait, à première vue, incompatibilité entre cette possibilité d'obtenir le délaissement immédiat des biens du débiteur et l'obligation d'émettre un préavis de 10 jours en vertu du paragraphe 244(1) de la L.F.I. Ce dernier devrait avoir préséance. On peut toutefois réfléchir sur l'opportunité d'harmoniser ces dispositions.

2.5 La faillite des sociétés et des fiducies québécoises

Les récents changements apportés à la fiducie de droit civil et l'introduction du patrimoine d'affectation autonome soulèvent la question de savoir quelles sont les règles applicables lorsque ce patrimoine est plongé dans une situation d'insolvabilité. La même question se pose, par ailleurs, à l'égard des sociétés.

La faillite des sociétés

L'assujettissement au régime de la faillite prévu par la L.F.I. suppose la présence d'un débiteur insolvable, d'un failli, à tout le moins d'une entité ayant la personnalité juridique.[137] Or, elle assimile « les sociétés de personnes » à des « personnes ».[138]

En droit québécois, une société peut prendre quatre formes : elle peut se constituer en nom collectif, en commandite, en participation ou par actions.[139] Dans ce dernier cas, on parle de « personne morale ».[140] Or, la personne morale a une personnalité juridique distincte.[141]

Le code est moins limpide en ce qui concerne les autres sociétés. On peut relever certains indices, toutefois, qui tendent à démontrer que la société en nom collectif peut posséder certains attributs de la personnalité juridique.[142] Par exemple, l'article 2198 du C.C.Q., qui traite des sociétés en nom collectif, prévoit que « [l]'associé est débiteur envers la société de tout ce qu'il promet d'y apporter ». Selon l'article 2225 du C.C.Q.,une société en nom collectif peut ester en justice, en demande comme en défense. L'article 2199 du C.C.Q. est un peu plus explicite :

« L'apport de biens est réalisé par le transfert des droits de propriété ou de jouissance et par la mise des biens à la disposition de la société. […] L'apport en jouissance de biens normalement appelés à être renouvelés pendant la durée de la société transfère la propriété des biens à la société, à la charge, pour celle-ci, d'en rendre une pareille quantité, qualité et valeur »« [soulignements ajoutés] ».

Une entité juridique qui peut détenir une créance, qui peut ester en justice et à qui l'on peut transférer la propriété sur des biens ressemble bien à une entité dotée de la personnalité juridique. On peut soutenir la même affirmation en ce qui concerne les sociétés en commandite. En effet, selon l'article 2241 du C.C.Q. :

« Pendant la durée de la société, le commanditaire ne peut, de quelque manière, retirer une partie de son apport en biens au fonds commun, à moins d'obtenir le consentement de la majorité des autres associés et que suffisamment de biens subsistent, après ce retrait, pour acquitter les dettes de la société » [soulignements ajoutés].

Si une société en commandite a des dettes, ne pourrait-on pas affirmer qu'elle possède un patrimoine et qu'elle peut devenir insolvable? D'autant plus que les règles relatives à la société en nom collectif sont applicables à la société en commandite.[143] Toutefois, selon les commentaires du ministre de la Justice du Québec, bien que la doctrine et la jurisprudence :

« […] ont maintes fois reconnu l'existence d'une certaine personnalité juridique aux sociétés, particulièrement à l'égard des sociétés commerciales, en nom collectif ou en commandite », on n'a « jamais considéré cette personnalité aussi complète que celle qui est attribuée aux compagnies, par exemple ».[144]

L'attribution de la personnalité juridique aux sociétés, toujours selon les commentaires du ministre de la Justice, ne comporterait pas d'avantages réels particuliers et risquerait de créer une disparité de traitement par rapport aux sociétés constituées partout ailleurs en Amérique du Nord, lesquelles ne sont pas dotées de la personnalité juridique.[145] Plus particulièrement, elle se distinguerait de la situation qui prévaut dans les autres provinces canadiennes.[146]

Dans un récent arrêt portant sur le droit des sociétés, le juge Brossard de la Cour d'appel du Québec déclarait ceci :

« Au Québec, la tendance majoritaire, tant en doctrine qu'en jurisprudence, fut jusqu'ici de reconnaître à la société un patrimoine distinct et la personnalité morale, quoiqu'on ait parfois qualifié cette dernière d'incomplète.[…] Or, le droit de propriété est un attribut d'une personne et ne peut donc exister qu'en faveur d'une personne physique ou morale. Mon argumentation est à l'effet que la société n'a pas de personnalité juridique distincte de celle des personnes qui la composent et que, par voie de conséquence, elle ne peut avoir un patrimoine distinct de celui de ses associés. […] ce qu'il importe de considérer dans le cas de la société est que tous ses actes administratifs ou juridiques (signer des contrats, gérer des biens, posséder des biens), qui paraissent souvent posés en son nom propre, ne le sont qu'en sa qualité de mandataire des associés et en fonction des ententes spécifiques intervenues entre ces derniers […] Je ne crois pas que le code québécois accorde implicitement la personnalité aux sociétés. Au contraire, il me semble que ses dispositions confirment plutôt l'absence de personnalité de la société et son incapacité à détenir des biens ».[147]

Pour la professeure Charlaine Bouchard, cette interprétation semble bien restrictive compte tenu des attributs que le législateur québécois reconnaît aux sociétés depuis 1994.[148] Selon elle, on devrait considérer la société en nom collectif et la société en commandite comme étant titulaires d'un patrimoine d'affectation autonome, un peu à la façon des fiducies.[149] Cette qualification serait-elle suffisante pour permettre à ces sociétés de faire faillite? Le professeur Albert Bohémier rappelle la position de la jurisprudence et de la doctrine à ce sujet :

« Pour les fins de la Loi sur la faillite, la doctrine et la jurisprudence refusent de reconnaître la qualité de personne à la société. Celle-ci ne peut être constituée en état de faillite que par la faillite de tous les associés. Toutes les procédures en matière de faillite doivent être prises par ou contre les associés eux-mêmes et jamais par ou contre la société elle-même ».[150]

Il est bon de rappeler que le statut de personne a été reconnu aux associations non constituées en corporation et que, partant, celles-ci peuvent faire faillite.[151] Or, si les associations non constituées en corporation peuvent faire faillite, pourquoi devrait-il en être autrement pour les sociétés? Le fait que la L.F.I. prévoit expressément des règles concernant la mise en faillite des associés d'une société de personnes doit-il être nécessairement interprété comme ayant pour but d'enlever le droit de poursuivre la société comme telle?[152]

Nous pourrions ajouter que la règle 109 des R.G.F.I. semble prévoir expressément le cas où une société de personnes fait l'objet d'une ordonnance de séquestre.[153] Et que le C.C.Q. y fait également allusion.[154] Nous pourrions aussi réfléchir aux propos que tenait le professeur Albert Bohémier :

« Parce que la loi le prévoit, parce qu'elle reconnaît le statut de personne à une société, nous croyons qu'une société peut être mise en faillite au même titre qu'une succession, que les exécuteurs testamentaires ou qu'une association non constituée en corporation ».[155]

Comme la question de l'attribution de la personnalité juridique aux sociétés semble toujours ouverte, celle de la mise en faillite de celle-ci l'est tout autant. Elle prend une toute autre dimension, toutefois, lorsqu'elle se pose au niveau du législateur fédéral dans une loi, comme la L.F.I., qui entretient des liens étroits avec le droit civil québécois mais aussi avec le droit privé des autres provinces canadiennes et qui a pour objectif de traiter tous les créanciers sur le même pied.

Faillite des fiducies québécoises

Depuis la réforme du Code civil en 1994, les fiducies constituent des patrimoines d'affectation autonomes et réunissent un bien ou un certain nombre de biens.[156] Étant affectés de façon autonome, ces biens ne sont reliés à aucun titulaire. Ni le constituant, ni le fiduciaire, ni le bénéficiaire ne possède à leurs égards de droit de propriété.[157] Le fiduciaire, lui-même, n'a que la maîtrise des biens qui ont été transférés dans le patrimoine.[158] Il découle de ceci que la faillite de l'un de ces personnages ne peut entraîner le transfert entre les mains du syndic des biens qui font l'objet de la fiducie. L'alinéa 67(1)a) de la L.F.I. est probablement, à cet égard, inapplicable.[159]

Il est bon de noter que les fonctions du fiduciaire à titre d'administrateur du bien d'autrui cessent au moment où ce dernier ou le bénéficiaire devient failli.[160] Aussi, selon le professeur Albert Bohémier, on pourrait toujours trouver appui sur l'alinéa 67(1)d) de la L.F.I. pour affirmer que les « pouvoirs » qu'exerçait le fiduciaire sur les biens faisant l'objet du patrimoine d'affectation sont dévolus au syndic.[161]

La question de la faillite de la fiducie, elle-même, mérite d'être soulevée. On pourrait, ainsi, se demander si l'introduction de la notion de « patrimoine d'affectation autonome » dans le droit commun québécois n'a pas eu pour effet de créer une entité juridique proche de la personne morale. De là à affirmer que ce patrimoine d'affectation sans maître, tel un chevalier sans tête, dispose de la personnalité juridique, il n'y a qu'un pas que nous ne sommes pas encore en mesure de franchir.

2.6. Rôles du syndic

La L.F.I. traite du syndic dans une partie de la loi consacrée aux « fonctionnaires administratifs ». À ce titre, le syndic est considéré comme un officier de la Cour.[162] Mais le statut que lui confère la L.F.I. est beaucoup plus complexe. En fait, le professeur Albert Bohémier écrit au sujet de la qualification du titre du syndic qu'il s'agit d'un des sujets les plus difficiles du droit de la faillite.[163] Nous nous limiterons, par conséquent, à aborder les problématiques que présentent les différents rôles que le syndic est appelé à jouer selon la L.F.I. soit : « fiduciaire/trustee », cessionnaire, administrateur du bien d'autrui, « séquestre/receiver » et propriétaire.

Fiduciaire/trustee

L'article 15.1 de la L.F.I. prévoit spécifiquement que « le syndic est un fiduciaire au sens du Code criminel ». Cette désignation vise, selon nous, à permettre l'application à l'encontre du syndic de certaines dispositions du Code criminel concernant les obligations fiduciaires. Or, le Code criminel définit le « fiduciaire » en faisant un renvoi au droit privé des provinces. Au Québec, ceci permettrait de prétendre que les dispositions du C.C.Q. en matière de fiducie — et, par renvoi, les dispositions concernant l'administrateur du bien d'autrui — s'appliquent au syndic. Or, il serait douteux que les biens du débiteur, au moment de la faillite, soient transférés dans un patrimoine d'affectation autonome sans maître. En effet, comme le rappelle la professeure Madeleine Cantin Cumyn, « [l]e failli, quoique privé de la capacité d'exercice, conserve le titre jusqu'au moment où les biens sont vendus par le syndic »[164]

En fait, pour traduire le plus fidèlement possible l'intention du législateur, on devrait peut-être lire « pour les fins de l'application du Code criminel, le syndic est considéré comme un fiduciaire ». On peut se demander toutefois s'il n'y a pas lieu de profiter de cette problématique pour revoir la désignation du syndic dans la L.F.I.

Cessionnaire

Lorsque le débiteur fait une cession de ses biens au syndic, ce dernier est alors investi de la saisine des biens dont le débiteur-cédant était réellement propriétaire, de ce qui constituait le gage commun des créanciers.[165] Au terme d'une analyse portant précisément sur la qualification du syndic, Me Michel Deschamps concluait que le syndic peut être considéré davantage comme un cessionnaire qu'un successeur du débiteur ou un représentant des créanciers.[166] Selon le professeur Albert Bohémier, toutefois, le titre de syndic se prête mal à une qualification unique.[167] De son côté, la professeure Madeleine Cantin Cumyn affirme, avec vigueur, qu'en regard du rôle qu'est appelé à jouer le syndic « la qualité de “cessionnaire” est une solution fantaisiste et excessive ».[168] Selon elle, « [l]orsque la législation sur la faillite entraîne l'application du droit privé du Québec, le syndic ne peut recevoir qu'une seule désignation, soit celle d'administrateur du bien d'autrui ».[169] C'est la notion que nous verrons maintenant.

Administrateur du bien d'autrui

On peut noter un certain nombre de dissemblances entre les pouvoirs exercés par le syndic et les obligations assumées par l'administrateur du bien d'autrui. L'administrateur du bien d'autrui assume la simple ou la pleine administration d'un bien ou d'un patrimoine qui n'est pas le sien.[170] La simple administration se limite à poser tous les actes nécessaires à la conservation du bien,[173] et à continuer l'exploitation du bien.[174] La pleine administration impose l'obligation de conserver et de faire fructifier le bien, accroître le patrimoine ou en réaliser l'affectation.[175] L'administrateur peut alors aliéner le bien à titre onéreux ou le grever d'un droit réel.[176]

Le syndic, avant de procéder à l'administration des biens du débiteur, doit obtenir une licence délivrée par le bureau du surintendant.[177] Par la suite, le syndic doit verser un cautionnement afin de couvrir la valeur de l'actif.[178] Une fois les biens du débiteur transférés entre les mains du syndic,[179] ce dernier reçoit de la L.F.I. les pouvoirs d'administrer et de vendre les biens du débiteur sous la surveillance d'inspecteurs et non ceux de faire fructifier l'actif.[180] En tout temps, le surintendant peut intervenir auprès du syndic et lui donner des instructions relativement à l'exercice de ses fonctions.[181] Ces éléments, empreints du caractère quasi-criminel de la procédure de mise en faillite, volontaire ou forcée, permettent de distinguer le syndic de l'administrateur du bien d'autrui.

Séquestre/receiver

En ce qui a trait à l'acquisition et la possession des biens du failli, le syndic est dans la même position qu'un séquestre nommé par un tribunal.[182] La L.F.I. a ainsi emprunté le régime du receivership directement du droit anglais.[183] On peut se demander qu'elle est l'utilité réelle de cette qualification. Apparemment, il s'agit d'un concept tout à fait étranger au droit civil québécois.

Le C.C.Q. reconnaît l'existence de deux séquestres : le séquestre conventionnel et le séquestre judiciaire. Lorsque choisi de façon conventionnelle, le séquestre est la personne à qui l'on remet les biens qui font l'objet d'une dispute.[184] Or, le paragraphe 16(4) de la L.F.I. réfère au séquestre nommé par le tribunal. Il ne s'agirait donc pas du séquestre conventionnel du C.C.Q. Le séquestre judiciaire, de son côté, est décrit au C.P.C. comme étant la personne à qui le tribunal ordonne de conserver un bien lorsque les droits des parties à un litige sont en jeu.[185] Apparemment, ce personnage, nommé dans des circonstances très particulières, se distingue du syndic. Aussi, la Cour d'appel du Québec a-t-elle déclaré qu'il ne fallait pas assimiler le séquestre judiciaire au séquestre des biens et au syndic de faillite.[186]

Selon nous, il est probablement inutile de conserver, de nos jours, la référence au mécanisme de receivership puisqu'il est clair en vertu des dispositions de la L.F.I. que les biens du débiteur sont dévolus au syndic et que ce dernier en prend possession et les administre.

Propriétaire

Lorsque le débiteur est propriétaire d'un bien immeuble au moment de faire cession de ses biens, le paragraphe 74(2) de la L.F.I. reconnaît au syndic le droit d'être enregistré comme le propriétaire du bien libre de toute charge. Il faut, au préalable, que le syndic enregistre la cession.[187] En cas de défaut, le débiteur demeure toujours propriétaire de ses biens, et toute cession, tout transport, toute hypothèque, tout droit réel consenti par le syndic est sans effet.[188]

En common law, cette disposition ne pose aucun problème conceptuel. En effet, le syndic, à titre de trustee, acquiert la « propriété-fiduciaire » des biens du débiteur, conformément au droit du trust.[189] En droit civil, par contre, cette désignation présente une certaine ambiguïté conceptuelle.

En tout premier lieu, le droit de propriété, dans un régime civiliste, est composé de trois éléments : (1) le fructus, (2) l'usus et (3) l'abusus.[191]

Or, comme l'affirme le professeur Albert Bohémier, il est difficilement concevable en droit civil qu'une personne soit propriétaire de biens pour le bénéfice d'autrui et non pour son propre bénéfice.[192] C'est, malgré cela, la situation décrite par le juge Denis Durocher de la Cour supérieure du Québec reprise par le juge Nuss de la Cour d'appel du Québec et selon laquelle, dès la faillite, « […] les biens du débiteur deviennent la propriété du syndic et le patrimoine des créanciers ». [soulignement ajouté][193]

Cette conception du droit de propriété se rapproche davantage de celle qui prévaut en common law où le trustee acquiert le legal title et où les bénéficiaires acquièrent le beneficial title.[194] En revanche, elle s'oppose à la fiducie de droit civil qui constitue un patrimoine d'affection autonome dont ni le constituant, ni le fiduciaire, ni le bénéficiaire est propriétaire des biens ainsi affectés.[195]

Comme on peut le constater, la désignation des rôles du syndic constitue une véritable valse entre les concepts de fiducie, d'administration du bien d'autrui, de cession, de séquestre et de propriété. Ce qui rend cette désignation encore plus compliquée, du point de vue civiliste, est le contexte statutaire dans lequel ces rôles sont définis. Un contexte, en ce qui concerne la L.F.I., qui est très fortement empreint de common law.