Admissibilité à l'aide juridique et champ d'application des services d'aide juridique au Canada
Section 3 : Les critères d'admissibilité financière dans les provinces
Mis à part le Nouveau Brunswick, toutes les provinces ont une sorte de seuil de revenu au delà duquel les demandeurs ne sont pas admissibles à l'aide juridique. Selon la province, c'est le gouvernement ou le service d'aide juridique qui fixe ces seuils. Les seuils sont fonction de la taille de la famille et, pour certains, de la taille de la localité. Certaines provinces utilisent le SFR comme point de départ pour fixer les niveaux de revenu appropriés et d'autres utilisent les prestations d'aide sociale. Les actifs, les dettes et les dépenses sont également pris en compte. Et pour compliquer encore plus les choses, chaque province respecte plus ou moins rigoureusement sa propre réglementation. Bien souvent, quand on cherche à savoir si le demandeur qui dépasse légèrement le plafond fixé recevra une attestation d'admissibilité, la réponse est " ça dépend ". Un point sur lequel tous les régimes s'entendent, c'est quel es assistés sociaux sont admissibles à l'aide juridique.
Il est quelque peu difficile d'effectuer des comparaisons entre les provinces, étant donné la latitude et la complexité de certains régimes. Dans cette section du rapport, des comparaisons de base entre les provinces permet de faire ressortir les ressemblances et les différences. Bien que le répertoire donne un meilleur résumé de chaque régime, le Tableau 3 montre " en un clin d'œil " certains des critères d'admissibilité financière.
Tableau 3 - Aide juridique - Indicateurs choisis
Définition du revenu
Une des différences importantes entre les régimes d'aide juridique, c'est la façon dont est défini le revenu. Quatre des dix provinces utilisent le revenu net, alors que les autres utilisent le revenu brut. (Le revenu net ou revenu après impôt désigne le revenu brut, moins les impôts sur le revenu; le revenu brut désigne le revenu de toutes sources, y compris les transferts gouvernementaux.) Pourquoi utiliser l'un plutôt que l'autre? Une des raisons pourrait être que le régime fiscal canadien est progressif. Le revenu net peut être supérieur au revenu brut, puisque les crédits d'impôt et les prestations d'aide sociale ne sont pas imposables. Des familles à faible revenu avant impôt peuvent s'en tirer assez bien, et non dans une position de faible revenu, après impôt. On pourrait s'attendre à ce que les provinces qui utilisent le revenu net fixent les seuils à un niveau plus bas que les autres, et il semble que c'est généralement le cas. La Colombie Britannique, la Saskatchewan, l'Ontario et Terre-Neuve-et-Labrador utilisent toutes le revenu net et les seuils vont de 4 716 $ pour une personne seule à Terre-Neuve-et-Labrador à 11 100 $ en Saskatchewan. Parmi les provinces qui utilisent le revenu brut comme barème, le seuil le plus faible est au Québec, où le plafond individuel (une personne seule) est de 8 870 $, et le plus élevé est à l'Île du Prince Édouard, à 14 176 $.
Chaque régime d'aide juridique, permet des déductions au revenu des requérants. La plus fréquente est la prestation fiscale pour enfants, ce que font six des 10 provinces. D'autres déduisent les crédits d'impôt, les frais de garderie, les médicaments, les frais de scolarité ou de livres et les pensions alimentaires. C'est au Québec qu'on compte le plus grand nombre de déductions dont les prestations fiscales pour enfants, les crédits d'impôt pour les soins aux aînés et les prestations au logement social. Ces déductions permettent donc aux prestataires d'autres programmes sociaux de se qualifier comme bénéficiaire de l'aide juridique gratuite.
Chaque province tient compte d'autres facteurs à part le revenu pour déterminer l'admissibilité : la taille de la famille, les éléments de l'actif du passif et les dépenses.
La plupart des provinces définissent la famille de la même façon, en utilisant la taille de la famille comme principal critère. Une famille peut comprendre un conjoint (de droit ou de fait) et des personnes à charge, lesquelles peuvent être des enfants ou d'autres personnes qui dépendent du demandeur. Dans la plupart des provinces, la taille de la famille désigne les familles monoparentales et biparentales et les personnes à charge. Ainsi, les familles monoparentales ont le même plafond de revenu que les familles biparentales. La Nouvelle Écosse, Terre-Neuve-et-Labrador et Québec basent leur barème sur la composition de la famille et la taille de la famille. Par contre, le Québec limite le nombre d'enfants à deux, ce qui veut dire que le plafond de revenu pour une famille biparentale avec deux enfants est le même que pour une famille biparentale avec quatre enfants.
Toutes les provinces effectuent une sorte d'évaluation de l'actif. L'évaluation de l'actif permet de refuser les services d'aide juridique à ceux dont le revenu est au dessus de la limite fixée ou de déterminer ceux qui sont peut être en mesure de contribuer aux frais juridiques. Certains régimes ont des barèmes clairement définis en ce qui concerne les actifs, alors que d'autres ont des tests discrétionnaires. Par exemple, en Nouvelle Écosse, essentiellement, l'admissibilité est basée sur le revenu, mais, si quelque chose semble hors de l'ordinaire, on examinera de plus près les actifs du demandeur avant de prendre une décision. Le Québec, par exemple, a des définitions très précises qui donnent la marge acceptable au dessus du plafond des actifs, s'il y a lieu. Dans toutes les provinces, le demandeur peut avoir des liquidités, soient de 1 500 $ pour une personne en Saskatchewan ou 5 000 $ au plus au Manitoba. Les demandeurs dont les actifs sont supérieurs à ces déductions n'ont pas droit aux services d'aide juridique, parce qu'on considère qu'ils ont assez d'argent pour retenir les services d'un avocat.
Les régimes évaluent d'autres catégories d'actifs, tels la maison, les biens ou les véhicules[28]. Toutes les provinces permettent au demandeur de conserver la maison familiale et leur auto, en autant qu'elles ne soient pas extravagantes. Dans certaines provinces, par exemple le Manitoba, l'Alberta et le Nouveau Brunswick, on peut demander au demandeur un droit de rétention sur leurs immobilisations. Répétons que certaines provinces indiquent clairement la somme qu'elles évaluent, mais pas d'autres. Les provinces sont également différentes selon la définition qu'elles donnent au qualificatif " modeste " quand il est associé à des actifs qui peuvent être conservés. En Colombie Britannique, la valeur d'une automobile ne peut être supérieure à 5 000 $, alors qu'au Manitoba, la limite est de 10 000 $. Signalons de nouveau que beaucoup de ces évaluations sont laissées à la discrétion du directeur régional de l'aide juridique.
Il n'y a pas non plus d'uniformité sur la perception des seuils d'admissibilité à l'aide juridique. Par exemple, à l'Île du Prince Édouard, à Terre-Neuve-et-Labrador et en Ontario, les barèmes sont considérés comme des points de départ des discussions et ne sont pas utilisés pour rejeter au départ une demande. Les dépenses et les dettes sont largement prises en considération dans l'évaluation. Par exemple, Terre-Neuve-et-Labrador détermine si le demandeur peut satisfaire à ses besoins de base avec le revenu dont il dispose. L'Ontario suit le même principe. Les régimes de l'Île du Prince Édouard et de Terre-Neuve-et-Labrador laissent de la latitude, alors que celui de l'Ontario est clairement défini. Aide juridique Ontario accorde une allocation de base, une allocation de logement, une allocation de pensionnaire et une allocation de dettes et compare ensuite la situation financière du demandeur; toutes ces sommes combinées, elles peuvent relever le seuil d'admissibilité d'une personne seule du seuil de revenu de 7 212 $ à l'allocation maximum de 13 068 $. D'autres provinces, par exemple l'Alberta et le Manitoba, indiquent faire montre de souplesse également dans l'application des barèmes, en particulier lorsque le demandeur dépasse à peine le seuil fixé ou le plafond d'actif.
Admissibilité élargie moyennant contribution
Les régimes peuvent aussi permettre aux demandeurs d'avoir un revenu dépassant les seuils fixés s'ils acceptent de contribuer aux frais des services d'aide juridique rendus. Les régimes peuvent exiger un remboursement partiel ou complet des frais juridiques.
L'Alberta, le Manitoba et le Québec permettent aux personnes dont les revenus dépassent légèrement les barèmes de revenus donnant droit à l'aide juridique gratuite de recevoir des services juridiques moyennant une contribution. En Alberta, lorsque le revenu d'un demandeur dépasse le barème établi, le demandeur devient admissible moyennant une contribution partielle. De cette façon, le barème pour une personne seule en Alberta est rehaussé de 13 900 $ à un maximum de 21 500 $. Le montant du remboursement dépend de la capacité du demandeur de payer sans qu'il soit laissé dans une situation difficile.
Au Québec, le régime d'admissibilité moyennant une contribution exige une évaluation approfondie de la taille de la famille, du revenu et de l'actif. Le seuil pour une personne seule est fixé à 12 640 $ selon les critères d'admissibilité élargie, comparé au seuil de 8 870 $ pour les services d'aide juridique offerts sans contribution. Le montant qui doit être remboursé se situe entre 100 $ et 800 $.
Le régime du Manitoba comporte un niveau de contribution partielle et un niveau de contribution complète. Ce régime a été créé spécialement pour aider les familles à faibles revenus, qui sont au seuil de la pauvreté[29] ou qui font partie des petits salariés[30]. Les personnes seules peuvent recevoir de l'aide juridique gratuitement si leur revenu est inférieur à 14 000 $. Ces personnes doivent remettre un contribution partielle si leur revenu si situe entre 14 000 $ et 22 995 $ et elles doivent rembourser le total des frais si leur revenu dépasse 23 000 $. L'intention est que le montant total du remboursement soit inférieur aux frais éventuels d'un avocat en pratique privé, car les tarifs des avocats de l'aide juridique sont inférieurs à ceux des avocats du secteur privé.
Tarification
Les bénéficiaires qui ne sont pas admissibles à l'aide juridique gratuite versent, à la plupart des provinces, une contribution pour les services rendus, laquelle est établie en fonction de leur capacité de payer. Ils assument aussi les frais inhérents à l'étude de leur dossier d'admissibilité, au Manitoba (25$)[31] et au Québec (50$).
La Colombie Britannique est la seule province qui exige le paiement de la contribution pour services rendus avant la remise de l'attestation d'admissibilité. La LSS applique une échelle mobile basée sur le revenu du demandeur. La contribution, qui est modulée en fonction du revenu du bénéficiaire, ne peut excéder 100$. La contribution du client n'est pas considérée comme un ticket modérateur tel quel, mais le système de la Colombie Britannique soulève la question de savoir si ce n'est pas là simplement une autre sorte de droit de demande[32].
A quand remontent les critères?
Les critères du Québec et de l'Ontario ont été respectivement adoptés en 1995 et 1996. Quant aux critères de l'Île du Prince Édouard et de l'Alberta, ils ont été révisés en 2001 Finalement, les critères des autres provinces ont été révisés entre 1997 et 2000[33] .
Quelles sont les conséquences pour les familles à faible revenu?
On constate :
- Qu'il n'y a pas d'uniformité dans les seuils de revenu donnant droit à l'aide juridique au et qu'on ne s'entend pas sur la définition de la pauvreté ou sur ce qui constitue une personne défavorisée au Canada. Dans presque tous les régimes d'aide juridique, seules les personnes très pauvres, c'est à dire prestataires d'aide sociale ou indigentes, sont automatiquement admissibles à l'aide juridique gratuite.
- Que les diverses lois au Canada ne s'appliquent pas également à toutes les familles. En efet, on constate qu'une famille de deux personnes dont le revenu net est de 16 000 $ est admissible à l'aide juridique en Colombie Britannique, mais ne l'est pas en Saskatchewan. On constate aussi qu'une famille de deux personnes dont le revenu brut est de 18 000 $ est admissible à l'aide juridique au Manitoba, mais ne l'est pas en Alberta, sauf dans le cadre du programme d'admissibilité élargie moyennant contribution.
- Que malgré ses efforts pour optimiser l'accessibilité aux services juridiques, le régime québécois rencontre certaines difficultés. En effet, il ressort d'une enquête permanente sur le programme d'admissibilité élargie entré en vigueur au Québec depuis 1996 (d'autres personnes peuvent obtenir l'aide juridique moyennant une contribution raisonnable), que 51 500 demandes d'admissibilité moyennant contribution ont été reçues, que 40% des demandes reçues ont été refusées et que 75% d'entre-elles l'ont été pour motifs que les personnes ont refusé de verser la contribution demandée. Cette étude révèle aussi que les personnes seules et les familles monoparentales sont les groupes les plus réfractaires à la contribution demandée[34].
- Que le régime manitobain est celui qui est le plus généreux au Canada. En effet, une évaluation du programme d'admissibilité élargie du Manitoba effectuée en 1991, par la Prairie Research Associates, permet de constater que ce programme est couronné de succès parce qu'il a été conçu pour remplir les besoins spécifiques des petits salariés[35].
- Il est difficile d'évaluer l'incidence du calcul des éléments de l'actif sur les personnes à faible revenu. Certaines provinces sont d'avis que cet exercice est inutile de toute façon puisque les demandeurs ont rarement beaucoup d'argent ou de biens. Il faut tout de même se demander si on ne met pas ainsi les personnes à faible revenu dans une situation inutilement difficile.
- Les redevances et les contributions des clients sont d'autres aspects dont les répercussions sur les personnes à faible revenu sont mal connues. Selon une étude préliminaire d'Albert Currie, ces contributions et redevances exigées des clients pourraient avoir un effet de dissuasion et créer des problèmes. Il recommande par ailleurs d'autres sondages empiriques sur le sujet afin d'établir les répercussions sur les personnes à faible revenu[36].
- Si les régimes d'aide juridique utilisent des critères d'admissibilité financière pour écarter tout le monde sauf les personnes défavorisées, on s'attendrait à ce que leurs critères soient à jour. La pauvreté n'est pas un état statique et pourtant les régimes ne semblent avoir aucun mécanisme automatique de mise à jour de leurs critères d'admissibilité financière.
- [28] On accepte qu'un véhicule puisse être important pour assurer la subsistance du demandeur et sa famille.
- [29]Les familles au seuil de la pauvreté ont un revenu égal ou supérieur à 1,00 du SFR et inférieur à 1,25 du SFR. Kevin K. Lee et Cheryl Engler, A Profile of Poverty in Mid-Sized Alberta Cities, Ottawa, , CCDS, janvier 2000.
- [30]Les familles constituées d'adultes qui ne sont pas âgés et qui ont travaillé un total combiné de 49 semaines, soit à plein temps ou à temps partiel, durant l'année mais dont le revenu se trouve toujours sous le seuil de faible revenu. Cette définition est de David P. Ross et coll., dans The Canadian Fact Book on Poverty, Ottawa, CCDS, 2000, p. 83.
- title="Note de bas de page 31">[31]Certains groupes peuvent être exemptés de ces frais.
- [32]Dans son document sur les redevances, Albert Currie parle de programmes « hybrides ». Voir Albert Currie. Ministère de la Justice, Division de la recherche et de la statistique, [Rapport technique] Les Droit de demande et les contributions des clients dans le régime d'aide juridique : document de travail, juin 1998, Tr1998-2f.
- [33] Terre-Neuve-et-Labrador est en train de réviser ses critères.
- [34]Commission des services juridiques, 29e rapport annuel, 31 mars 2001.
- [35]Prairie Research Associates. Evaluation of the Legal Aid Manitoba Expanded Eligibility Program: Final Report. Winnipeg, 1991.
- [36]Currie, Albert. Les Droit de demande et les contributions des clients dans le régime d'aide juridique : document de travail. Juin 1998. Tr1998-2f.
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