Examen du Programme de déjudiciarisation pour les adolescents du Service de police de Toronto
Sommaire
Introduction
Le Programme de déjudiciarisation a été mis sur pied durant l’exercice 1999-2000 à titre de « modèle d’intervention » pour traiter les cas de jeunes contrevenants qui, sans le programme, auraient comparu devant les tribunaux pour adolescents. Les agents de police des deux premières divisions participantes (par la suite il y en aura quatre) disposaient ainsi d’une solution de rechange pour les cas d’adolescents arrêtés qui, selon la procédure normale, feraient l’objet d’un renvoi devant les tribunaux. Les agents de police, par l’intermédiaire d’un bureau de police de liaison, réfèrent le jeune contrevenant à l’Opération Springboard, une organisation correctionnelle communautaire sans but lucratif. L’organisation a alors la responsabilité de passer le jeune en entrevue dans le but de déterminer une peine qui amène l’adolescent à assumer la responsabilité de l’infraction commise en toute proportionnalité. En outre, l’Opération Springboard tente d’évaluer si le jeune présente des besoins manifestes dont un organisme communautaire pourrait s’occuper. Bien que le programme ait été mis en œuvre avant la date d’entrée en vigueur de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, il a été conçu en compatibilité avec la Loi, surtout parce qu’il visait à fournir aux agents de police un mécanisme permettant de « le [ l’adolescent ] renvoyer à un programme ou organisme communautaire » (paragraphe 6(1) de la Loi).
Le présent rapport examine le fonctionnement du Programme de déjudiciarisation pour les adolescents du Service de police de Toronto (PDA-SPT) tel qu’il a été mis en œuvre d’avril 2002 à décembre 2003. Nous avons scruté le programme sous différents angles. À l’aide de neuf ensembles de données, nous avons tenté de déterminer si le programme atteignait ses objectifs. L’un des objectifs les plus importants consistait à trouver une façon d’identifier des jeunes qui, autrement, se seraient retrouvés devant les tribunaux et de le leur faire assumer la responsabilité de leurs infractions sans passer par le système judiciaire. De plus, cette responsabilisation devait être assumée de façon proportionnelle à l’infraction commise. De plus, le critère « d’efficacité » constituait manifestement un objectif pertinent en raison du principe énoncé dans la LSJPA selon lequel une résolution rapide des cas de jeunes contrevenants doit être préconisée. Enfin, conformément à la Loi, la participation du jeune contrevenant au programme ne peut avoir lieu sans son consentement et des approches visant à réduire les comportements délictueux futurs (ou du moins à ne pas les accroître à l’avenir) doivent être employées.
Réduire le recours aux tribunaux
Il semble, d’après les différents ensembles de données, que le PDA-SPT n’a pas permis de réduire de façon substantielle le recours aux tribunaux pour adolescents. De simples renseignements descriptifs comparant des cas référés au Programme de déjudiciarisation pour les adolescents (PDA) avec des cas traités par les tribunaux pour adolescents indiquent que le PDA ciblait des cas différents. La tendance indique que les adolescents référés au PDA étaient relativement jeunes (comparativement aux adolescents liés aux tribunaux à Toronto et dans l’ensemble du pays), et qu’il y avait un nombre légèrement supérieur de filles (encore comparativement aux cas renvoyés devant les tribunaux). Les cas référés au PDA avaient également tendance à être reliés à des infractions de moindre importance — c’est‑à‑dire une large majorité de vols de moins de 5 000 $ (vol à l’étalage dans presque tous les cas) — dont bon nombre impliquaient apparemment des délinquants qui en étaient à leur première infraction et qui volaient de la marchandise ayant une valeur relativement peu élevée.
Le PDA a d’abord été introduit dans deux divisions à Scarborough (divisions 41 et 42) en avril 2002. L’analyse de la série chronologique indique que dans la division 42, dans le cadre d’un examen portant sur une autre tendance, comme l’entrée en vigueur de la LSJPA, on a remarqué que l’introduction du PDA a statistiquement contribué à la faible réduction du nombre de jeunes renvoyés devant les tribunaux, mais seulement pour les cas de vol de moins de 5 000 $. Aucune autre réduction significative n’a pu être relevée en étudiant les cas autres que ceux reliés à des vols de moins de 5 000 $ ou les cas traités par la division 41. En fait, la division 41— où il semblerait que le programme n’ait eu aucune incidence sur le nombre de renvois devant un tribunal — a référé davantage de cas au PDA. En effet, un plus grand nombre (et plus grand pourcentage) de cas impliquant un vol de moins de 5 000 $ ont été référés. Nous constatons que les cas d’adolescents ayant commis un vol de moins de 5 000 $ référés au PDA par la division 41 étaient presque exclusivement des cas qui, autrement, n’auraient pas été renvoyés devant un tribunal. Dans l’ensemble, on remarque qu’approximativement 9 à 12 cas de moins par mois ont été renvoyés devant les tribunaux en combinant les résultats des deux divisions de Scarborough.
En février 2003, quatre autres divisions (divisions du « nord » : 13, 31, 32 et 33) ont aussi mis en œuvre le programme. Il semble qu’il n’y ait pas eu de chute générale du nombre de cas renvoyés devant les tribunaux, même en tenant compte des autres tendances (surtout les tendances générales relevées dans les divisions qui ne participent pas au PDA). Les données fournies par les divisions du nord sont toutefois plus complexes que les données des divisions de Scarborough. En premier lieu, on constate que le nombre de renvois devant les tribunaux s’est légèrement accru (hausse manifeste d’environ six ou sept cas par mois), et que sur le plan statistique, cette hausse se manifeste surtout dans la division 13, après la mise en œuvre du programme. Le nombre de renvois devant les tribunaux, dans l’ensemble, a chuté de manière significative (baisse manifeste de sept cas par mois) dans la division 33. La réduction totale se remarque surtout statistiquement par une nette diminution du nombre de cas impliquant un vol de moins de 5 000 $ renvoyés devant un tribunal ainsi que par une baisse négligeable du nombre de cas impliquant d’autres infractions.
La plupart des cas de vol de moins de 5 000 $, de méfaits et de voies de fait mineures qui ont mené à une comparution devant les tribunaux dans les deux divisions de Scarborough (41 et 42) ont été réglés par l’adoption de mesures extrajudiciaires (ou mesures de rechange). Par conséquent, ces données suggèrent qu’à cet endroit, le PDA constitue réellement une solution de rechange à un programme de mesures extrajudiciaires suivant le dépôt d’accusations. On peut donc affirmer avec raison qu’un programme de mesures extrajudiciaires « précédant le dépôt d’accusations » (ce que le PDA doit formellement être) présente de nombreux avantages par rapport à un programme de mesures suivant le dépôt d’accusations. Toutefois, nous n’avons pas relevé de preuves convaincantes selon lesquelles de très nombreux jeunes référés au PDA auraient vraiment comparu devant les tribunaux (ou même, qu’ils auraient franchi l’étape du plaidoyer de culpabilité) sans l’existence du programme.
L’opinion des agents qui ont eu recours au PDA concorde avec ces constatations. Une majorité d’agents (77 %) a déclaré qu’en général, la plupart des cas référés par ces derniers au PDA auraient fait de toute façon l’objet d’une mise en garde. Seulement 13 % des agents ont avancé avoir renvoyé au PDA des cas qui, autrement, auraient fait l’objet de poursuites devant un tribunal.
Faire en sorte que les jeunes répondent de leurs actes au moyen de mesures proportionnelles appliquées en temps opportun
La plupart des jeunes qui sont référés au programme (93,6 %) se sont acquittés avec succès des sanctions imposées. Par contre, les raisons à l’origine des échecs sont variées. Même s’il n’est pas possible d’établir des statistiques précises, on nous a expliqué que très peu d’adolescents, parmi ceux qui n’ont pas réussi le programme, ont fait l’objet d’accusations pour l’infraction qui a entraîné leur participation au programme. Presque 90 % des jeunes ont rencontré des responsables d’Opération Springboard (l’organisation chargée de déterminer et d’administrer les sanctions) dans les quatre semaines suivant la perpétration de l’infraction. Étant donné que c’est à la première réunion que l’adolescent est avisé des conséquences de son infraction, on peut affirmer qu’environ 90 % des jeunes ont été « condamnés » durant les quatre semaines suivant la perpétration de l’infraction. La durée du programme, par contre, dure plus longtemps. Huit semaines après la date de l’infraction, seulement 45 % des jeunes avaient terminé leur programme. Or, manifestement, pour ce qui est d’apprendre aux jeunes à composer avec les conséquences de leurs actes, un programme de renvoi précédant le dépôt d’accusations comme le PDA permet aux jeunes de savoir rapidement quelles sont les conséquences de leurs actes. En outre, par comparaison avec un échantillon de cas ayant fait l’objet de sanctions extrajudiciaires officielles suivant le dépôt d’accusations, les cas référés au PDA ont été traités considérablement plus rapidement. En effet, environ 70 % des cas du PDA avaient terminé le programme et avaient été absous dans les dix semaines suivant l’infraction, par opposition à environ seulement 13 % des cas renvoyés devant les tribunaux qui ont fait l’objet de mesures extrajudiciaires et qui ont terminé les procédures dans un même laps de temps. Dans l’ensemble, seulement 23 % des cas liés au tribunal en avaient terminé avec le système judiciaire en dix semaines, et on peut présumer que les procédures relatives à certains de ces cas auraient duré plus longtemps avant la fin de l’acquittement de la sanction par le jeune (par exemple, la fin d’une période de probation).
Il est très difficile d’assurer la proportionnalité des « peines » (ou dans le présent cas, les jeunes font l’objet de sanctions au lieu d’accusations), quelles que soient les circonstances. Pour examiner dans quelle mesure Opération Springboard a réussi à assurer la proportionnalité, nous avons étudié de très près les cas de vol de moins de 5 000 $ pour deux raisons : ils étaient les plus nombreux dans le programme (74 % des cas) et la gravité de l’infraction pourrait être calculée approximativement en fonction de la valeur des biens volés. Les preuves indiquent qu’en général, les sanctions ont été imposées en proportion avec l’infraction. Par exemple, la probabilité qu’une sanction impliquant la rédaction de simples excuses pour la victime (ordinairement Wal-Mart, Zellers, La Baie, ou Shoppers Drug Mart), de dissertations ou d’affiches soit imposée décroît radicalement avec l’augmentation de la valeur du bien volé. Semblablement, la probabilité que le jeune doive faire des travaux communautaires s’accroît avec la valeur de la marchandise volée.
Parallèlement, on constate toutefois des variations considérables et inexpliquées dans les types de sanctions. En ne prenant que 78 vols impliquant des biens de 7 $ à 10 $ par exemple, nous avons constaté que les sanctions allaient d’une simple excuse (dans quatre cas) à 20 heures (nombre d’heures imposées le plus fréquemment pour tous les cas) de travaux communautaires (dans cinq cas). Nous avons étudié de plus près quelques‑uns de ces cas et n’avons pas été capables d’établir une justification expliquant la variation. On note que la variation est due en partie (par rapport à l’ensemble des liens statistiquement significatifs entre la valeur de la marchandise volée et la gravité de la sanction) au fait que l’Opération Springboard ne semble pas avoir de normes explicites probables en matière de détermination de sanctions. Tout comme les juges, on procède au cas par cas.
Les agents de police ont exprimé des opinions partagées sur le niveau de réussite du PDA lorsqu’il est question de faire en sorte que les jeunes contrevenants assument les conséquences de leurs actes. En effet, 48 % des agents ont indiqué qu’ils estimaient que le PDA avait réussi, et 44 % ont trouvé que le PDA n’y arrivait pas. Par contre, cette statistique doit être prise en contexte : une majorité (78 %) d’agents de police était d’accord sur le fait que le PDA réussit mieux à rendre les jeunes redevables de leurs actes que les tribunaux pour adolescents.
L’expérience d’un PDA et celle du tribunal pour adolescents
Pour comprendre la façon dont les jeunes réagissent au PDA et aux sanctions extrajudiciaires imposées par les tribunaux, il est important de tenir compte du déroulement des événements auquel les jeunes s’attendent au moment où ils sont arrêtés. Les adolescents référés à un PDA croyaient manifestement qu’ils allaient suivre un processus plus formel qu’il ne l’est en réalité. Dans le cas des jeunes référés à un PDA en particulier, étant donné qu’ils n’auraient pas eu à comparaître devant un tribunal même si le programme n’existait pas, une large part avait surestimé la probabilité de procédures formelles. Pour ce qui est de « l’échantillon » d’adolescents qui a comparu devant un tribunal, bon nombre d’entre eux semblaient avoir assumé que leur destin serait scellé par un tribunal plutôt que dans le cadre d’un processus extrajudiciaire.
Le PDA a été conçu en vue d’une participation libre des adolescents. Or, pour les jeunes, il s’agissait d’un choix qui n’en est pas un. En effet, 83 % des jeunes référés à un PDA qui ont été interrogés pensaient que s’ils refusaient de participer, la police les aurait traînés devant les tribunaux. De plus, 9 % croyaient qu’on les enverrait directement en prison (apparemment sans comparution préalable devant un tribunal). Les autres ont répondu qu’ils n’étaient pas certains du sort qui les aurait attendu.
Les adolescents qui ont été renvoyés devant un tribunal et qui ont fait l’objet de mesures de rechange/sanctions extrajudiciaires ont également eu le choix de participer à un programme de sanctions extrajudiciaires après la comparution. Dans 59 % des cas, les jeunes ont déclaré que selon eux, on leur aurait infligé des sanctions plus sévères s’ils avaient refusé les mesures extrajudiciaires. De plus, 8 % ont cru qu’ils auraient subi un procès et fait l’objet d’une ouverture de casier judiciaire. Enfin, 26 % des jeunes n’étaient pas certains de ce qui leur serait arrivé.
Dans ce contexte, il est facile de voir pourquoi les jeunes à qui on a offert de choisir un PDA, de même que les jeunes qui ont fait l’objet d’accusations et qui se sont fait offrir l’option d’une sanction extrajudiciaire ont accepté cette offre. Seulement une faible proportion (7 %), parmi les jeunes qui ont choisi le PDA, a pensé ne pas avoir eu le choix. Pour la plupart des jeunes contrevenants qui ont opté pour un PDA, le choix visait à éviter le tribunal, la prison ou la possibilité d’avoir un casier judiciaire.
Étant donné que la plupart des jeunes du PDA perçoivent le « tribunal » (ou quelque chose de plus grave) comme l’aboutissement « naturel » de leur cas s’ils ne choisissent pas le programme, il n’est pas surprenant que la majorité (54 %) pense que le PDA constitue une solution appropriée pour eux. Seulement un faible pourcentage (22 %) pense qu’un avertissement aurait suffi. D’un autre côté, les jeunes qui ont comparu devant un tribunal pour adolescents et qui se sont vu imposer des sanctions extrajudiciaires sont également satisfaits de ce qui leur arrive. Les deux tiers ont déclaré qu’ils estiment qu’on a disposé de leur cas de façon appropriée. Seulement 20 % ont affirmé qu’un simple avertissement aurait été plus adéquat.
Étant donné que la plupart des jeunes du PDA perçoivent le « tribunal » (ou quelque chose de plus grave) comme l’aboutissement « naturel » de leur cas s’ils ne choisissent pas le programme, il n’est pas surprenant que la majorité (54 %) pense que le PDA constitue une solution appropriée pour eux. Seulement un faible pourcentage (22 %) pense qu’un avertissement aurait suffi. D’un autre côté, les jeunes qui ont comparu devant un tribunal pour adolescents et qui se sont vu imposer des sanctions extrajudiciaires sont également satisfaits de ce qui leur arrive. Les deux tiers ont déclaré qu’ils estiment qu’on a disposé de leur cas de façon appropriée. Seulement 20 % ont affirmé qu’un simple avertissement aurait été plus adéquat.
Presque tous les jeunes qui ont été référés à un PDA (91 %) et la plupart (75 %) des jeunes renvoyés devant un tribunal (sanctions extrajudiciaires) ont indiqué qu’ils estimaient que la police leur avait expliqué ce qui leur arriverait, bien que la moitié de chaque groupe (56 % des jeunes référés à un PDA et 47 % des jeunes renvoyés devant un tribunal) a déclaré que la police ne leur avait pas expliqué qu’ils avaient le droit de nier avoir commis l’infraction.
En somme, on peut affirmer en toute justesse que la majorité des jeunes référés au PDA, de même que la plupart des jeunes participant à des programmes de sanctions extrajudiciaires suivant le dépôt d’accusations, s’est dit satisfaite de la façon dont la situation a abouti. C’est probablement dû en majeure partie au fait qu’ils s’attendaient à bien pire, comme une audience complète ou une sorte de mise en détention ou mise sous contrôle.
Récidive
Un humoriste vaudevillesque bien connu a un jour répondu à la question « comment va ta femme? » par une phrase qui peut s’appliquer très bien à toutes les études sur la récidive : « en comparaison avec quoi? » C’est pourquoi nous avons défini, dans une même division policière, un échantillon de jeunes ayant des antécédents pour des infractions similaires aux jeunes du PDA mais ayant fait l’objet d’une audience devant un tribunal, d’une mise en garde ou d’une arrestation suivie d’une mise en liberté sans condition (pour vol de moins de 5 000 $). Une comparaison a été effectuée entre les jeunes de ce groupe et ceux qui ont participé au PDA. En comparant des points variés – les situations de nature criminelle et non criminelle durant lesquelles la police est entrée en contact avec le jeune et pour lesquelles aucune accusation n’a été portée, les accusations au pénal ainsi que la combinaison de toutes les entrées en contact avec des policiers et de toutes les accusations – on remarque que les résultats sont les mêmes : les jeunes qui ont participé au PDA n’étaient pas différents du groupe de comparaison. Cette constatation n’a rien de surprenant ni de décourageant. Elle n’est pas surprenante en effet, car il n’a pas été prouvé par le passé que les interventions mineures dans la vie de jeunes personnes, comme celles effectuées auprès des contrevenants du PDA, puisse permettre de réduire la délinquance. On ne devrait pas considérer cette constatation comme décourageante pour une autre simple raison : le principal but visé par le programme n'était pas de réduire la délinquance. Le but consistait en fait à réduire le recours aux tribunaux pour adolescents dans les cas d’infractions mineures.
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