Examen du Programme de déjudiciarisation pour les adolescents du Service de police de Toronto

Sommaire et conclusion

En dernière analyse, il aurait été excessivement optimiste de croire qu’il est possible d’atteindre une réduction substantielle du recours aux tribunaux pour adolescents en mettant en œuvre le PDA‑SPT. Le modèle précis qui a été utilisé, c’est‑à‑dire un modèle qui ne remet pas en question l’autorité finale de chacun des agents de police de première ligne lorsqu’il s’agit de choisir la façon dont les ressources judiciaires sont employées, peut avoir assuré l’échec du programme en ce qui a trait à l’exigence la plus essentielle (la réduction du recours aux tribunaux pour adolescents). Le fait d’essayer de changer les habitudes de littéralement des milliers de policiers en matière de prise de décision en leur donnant simplement une autre option sur la façon de traiter les cas de jeunes contrevenants n’a pas suffi à inciter beaucoup de policiers à préconiser la déjudiciarisation du cas de bien des jeunes. Manifestement, il a été évalué que le programme a détourné de l’appareil judiciaire un petit nombre de jeunes accusés de vol de moins de 5 000 $ (environ 9 à 12 cas par mois). Dans la plupart des cas, ces jeunes auraient fait l’objet de sanctions extrajudiciaires/de mesures de rechange. On évalue que le coût encouru pour chaque jeune participant au processus de déjudiciarisation s’élève à environ 2 500 $. À notre avis, le prix à payer est plutôt élevé pour déjudiciariser le cas de jeunes qui, sans le programme, n’auraient probablement pas fait l’objet d’une décision du Bureau local du procureur de la Couronne. La grande majorité des jeunes qui ont été référés au programme (entre 1 200 et 1 300 jeunes, pour un total de 1 487 renvois), l’ont par conséquent été en résultante de ce qui est typiquement appelé un « élargissement du filet ». Il s’agit d’un accroissement souvent non intentionnel du recours aux institutions qui régissent la société. Un faible élargissement du filet en de telles circonstances est probablement inévitable. Or, dans ce cas‑ci, la plupart des jeunes du PDA‑SPT n’étaient pas supposés en arriver là. Il est donc important d’étudier la façon dont les buts visés par le PDA‑SPT auraient pu être atteints.

Pour arriver à atteindre le but raisonnable qui consiste à réduire le recours aux tribunaux pour adolescents dans un nombre substantiel de cas, nous proposons que des changements structurels soient apportés dans la façon dont les jeunes sont référés aux programmes de même type que le PDA. Précisément, nous suggérons en premier lieu d’élaborer une politique plus explicite sur le recours aux tribunaux pour adolescents. Ensuite, si les décisions finales (prises par les policiers) quant au renvoi ou non des jeunes devant un tribunal constituaient un processus centralisé, un nombre plus restreint de personnes serait clairement responsable de s’assurer que les tribunaux pour adolescents sont utilisés conformément à la LSJPA.

Nous recommandons que ce changement soit apporté au palier des services de police – même s’il ne s’agit pas des agents de première ligne. Il pourrait s’avérer avantageux que les procureurs s’occupent de la question si l’Ontario met en œuvre une sorte de programme de mesures extrajudiciaires précédant le dépôt d’accusations. En effet, nous insisterions auprès du gouvernement de l’Ontario sur la mise en œuvre d’un éventail complet de mesures extrajudiciaires, y compris des mises en garde du procureur général et des mesures extrajudiciaires précédant le dépôt d’accusations. L’objectif général serait toutefois d’instaurer une politique d’ensemble sur le recours aux tribunaux pour adolescents et de faire en sorte qu’il y ait un nombre inférieur d’accusés tout en assumant la responsabilité de mettre en œuvre la politique ainsi que la responsabilité du cadre redditionnel global relativement aux résultats.

Que les renvois soient la décision des policiers ou de la Couronne, le modèle d’intervention en soi nous semble constituer une méthode appropriée pour relier les jeunes aux programmes ou aux sanctions. Dans la majorité des cas, cette partie du PDA se déroulait sans difficulté. Néanmoins, nous avons remarqué que des changements structurels pourraient être apportés pour réduire le nombre de disparités inexpliquées entre les résultats de cas similaires traités dans le cadre du PDA. Ce programme était manifestement apprécié des jeunes, et selon nous, c’est dû en partie au fait que les adolescents pensaient qu’il allait leur arriver bien pire s’ils ne coopéraient pas en participant au programme. Nous ne croyons pas que les jeunes seraient aussi satisfaits des sanctions qui leur ont été imposées s’ils avaient eu une idée claire et nette de l’éventail de mesures qui ont été associées à des cas apparemment similaires, et s’ils avaient su qu’en l’absence du programme, la plupart d’entre eux n’auraient pas fait l’objet d’accusations.

Enfin, nous pressons les responsables de ce type de programme de réfléchir plus soigneusement à la signification, à l’adéquation ou à l’utilité de nombreuses sanctions qui sont imposées aux jeunes. En effet, bon nombre de jeunes se sont vu imposer des sanctions qui nous semblaient fondées sur une théorie voulant que la pratique de certaines activités s’avère thérapeutique pour les adolescents. Nous n’avons relevé aucune preuve convaincante à l’appui du fait que de nombreuses sanctions apparemment orientées sur la réadaptation (par exemple, la rédaction d’excuses à l’intention des grandes entreprises victimes de petits larcins, de dissertations, de journaux ou d’affiches) ne donnent pas vraiment de résultats à long terme. Nous constatons que tout programme reconnu pour son inefficacité ne laisse que deux choix : ne pas l’utiliser ou ne l’utiliser que dans le but de déterminer s’il est réellement inefficace. Les comportements variables – en particulier les comportements normatifs, comme le vol chez les adolescents – ne sont ordinairement pas faciles à traiter. Cela pourrait signifier qu’il faudrait peut‑être se limiter à essayer de définir des sanctions qui soient simplement proportionnelles à la gravité de l’infraction.

La possibilité de limiter le recours aux sanctions dont la valeur n’a pas été prouvée et à accorder davantage d’attention à la gravité des sanctions est, en toute relativité, plutôt aisée à mettre en œuvre. L’accent devrait être mis sur le fait que le modèle en question – un modèle d’intervention conçu pour recevoir les cas référés par la police ou par la Couronne (dans le cadre de sanctions extrajudiciaires) – fonctionne efficacement et que la plupart des objectifs du processus (voir le chapitre 1 et l’annexe A) ont été atteints sans l’ombre d’un doute. Toutefois, les données n’appuient pas la conclusion selon laquelle la plupart des jeunes qui participent au programme auraient été renvoyés devant un tribunal en l’absence du programme. En outre, nous avons relevé certaines irrégularités dans la façon dont les sanctions ont été déterminées. Néanmoins, il ne faut pas oublier que presque 1 500 jeunes ont été référés à ce programme. On s’acquittait rapidement de leur cas et, en comparaison avec les autres grandes institutions juridiques pour adolescents, c’est-à-dire les tribunaux, la participation au programme présentait une moins grande intrusion dans leur vie.

Comme la plupart des projets pilotes, le programme a donc pris fin. Par ailleurs, nous avons déjà fait remarquer que, compte tenu de ce que nous savons, nous ne pouvions en recommander la continuation sous sa forme actuelle. Toutefois, nous insistons auprès des personnes intéressées à l’élaboration de programmes de déjudiciarisation de considérer soigneusement les nombreux aspects du programme qui ont bien fonctionné. Les leçons retenues lors de l’établissement et de la mise en œuvre du PDA pourraient, en servant de fondement à la réalisation de quelques-uns des autres buts, contribuer à la conception d’autres programmes qui permettront réellement de réaliser tous les objectifs majeurs en matière de déjudiciarisation de la criminalité chez les adolescents.