Le nouveau phénomène du droit de la famille collaboratif (DFC) : étude de cas qualitative

7. RÉSULTATS DU DFC

A. Comparaisons entre les résultats du DFC et ceux du processus de litige et de négociation

Une question importante dans le cadre de l'étude a été la suivante : « Les résultats constatés à l'issue d'une cause du DFC sont-ils différents de ceux qu'on aurait pu attendre du processus de litige et de négociation traditionnel? ». Nous savons déjà, grâce à des recherches sur les solutions négociées dans les causes familiales, que celles-ci tendent à se rapprocher des solutions qu'on aurait pu attendre du processus juridique — ce qui nous pousse à conclure à un manque global de créativité dans la négociation de solutions adaptées à chaque famille[74]. Si l'on fait fi de la manière dont le résultat final est atteint, dans quelle mesure les résultats réalisés au moyen du DFC sont‑ils différents?

À la lumière des résultats du petit échantillon analysé (seulement 11 des 16 causes de l'étude ont été réglées avant la fin du projet de recherche), la réponse semble être « pas tellement ». En effet, nombre d'avocats nous ont dit que l'essence des résultats atteints grâce au DFC n'était que peu, voire pas du tout, différente de ce qu'ils auraient pu attendre du processus traditionnel. Cela semble particulièrement vrai pour les causes où le soutien financier était en litige et pour lequel les tribunaux disposaient de lignes directrices obligatoires. Lorsque des questions moins prévisibles étaient en jeu — comme un déménagement entraînant des problèmes de garde — les négociations se sont déroulées selon l'hypothèse raisonnable que si un certain nombre d'arguments pouvaient être formulés, aucune solution juridique claire n'existait :

Les résultats diffèrent-ils de ceux qu'on aurait pu attendre du processus judiciaire? Pas vraiment. Ce qui diffère, c'est la manière d'arriver à ces résultats et l'impression des clients à l'issue du processus (Étude de cas no 6, avocat 1, unités de conclusion 52 à 55).

La similarité constatée entre les résultats clés du DFC et ceux du processus traditionnel ne doit pas mener à la conclusion qu'il n'existe aucune différence qualitative entre les ententes conclues à l'aide de ces deux processus. Nombre d'avocats avaient du mal à distinguer les décisions dites « macro » portant sur la répartition des responsabilités financières et des actifs et la garde légale des enfants d'autres aspects des ententes, comme la nécessité de faire participer les deux parents à l'éducation continue des enfants et la flexibilité avec laquelle les ressources financières doivent être divisées et utilisées (dates, méthode de versement, moment de la vente de la propriété, etc.). Ces aspects, qui peuvent donner à une entente des dimensions à « valeur ajoutée », sont examinés plus en détail à la section 7 B.

La parité apparente entre les principaux résultats du DFC dans ces causes (très peu nombreuses soit dit en passant) et les résultats pouvant être attendus d'un processus de négociation traditionnel et centré sur les droits est importante, puisque certaines personnes ont exprimé des craintes, par ailleurs légitimes, à l'idée que les parties désavantagées puissent sortir d'un processus de négociation collaboratif avec moins que ce à quoi elles ont droit. Dans l'ensemble, les 16 cas étudiés ne semblaient pas corroborer cette préoccupation. Dans un cas, une concession importante a été accordée sur un droit légal (droits à la pension), mais c'était en échange d'autres concessions, et le résultat, loin d'être exemplaire, n'a pas compté beaucoup dans le lot des ententes négociées. Certains se sont également dits préoccupés par l'usage qui pourrait être fait du DFC par des personnes nanties qui chercheraient à éviter un processus de comptabilité et d'évaluation rigoureux qui s'imposerait normalement lorsqu'il est question, notamment, d'une entreprise personnelle. Sans nier l'importance d'approfondir ces questions, rien dans cette étude ne vient soutenir l'idée que le processus du DFC pourrait être utilisé dans un tel dessein, et avec succès.

B. Dimensions à valeur ajoutée

Si la majorité des avocats pratiquant le DFC n'ont pas constaté une grande différence entre les principaux résultats de leurs causes de droit collaboratif et ceux de leurs causes résolues au moyen du processus de litige et de négociation, ils ont par contre soulevé des différences dans d'autres aspects procéduraux et psychologiques de la résolution de conflit, que l'on qualifie de dimensions « à valeur ajoutée » du règlement. Ces facteurs font principalement référence à une amélioration de la communication entre les parties, qui ont pu dès lors tenter de comprendre ce qui était « juste » pour l'un et pour l'autre et de façonner les détails de l'entente selon leurs besoins, des détails qui auraient été réglés selon une norme ou un parcours établi dans le processus régulier. Avec le DFC, il est possible de procéder à des « évaluations honnêtes de la situation dans son ensemble » (Dossier no 8, avocat 1, entrevue initiale, unité 71), y compris de toute relation future. En outre, différents types de conversation semblent possibles du fait que les contraintes associées à une négociation entre avocats fondée sur les droits ne prévalent pas en droit collaboratif.

À titre d'exemple, certains couples sont arrivés à négocier des solutions novatrices aux problèmes de pension alimentaire, de garde et de droit de visite — solutions que seul ce type de négociation directe peut vraiment permettre. Dans un cas (Étude de cas no 1), les parties sont même arrivées à s'entendre sur un accord de droit de visite du père comprenant le coucher, en dépit des craintes de la mère relatives à la consommation abusive d'alcool qui étaient à l'origine de son refus antérieur de lui laisser les enfants pour la nuit. Ainsi, les parties ont convenu que le père appellerait la mère une fois les enfants couchés pour lui assurer qu'il était sobre et qu'il la rappellerait de nouveau le matin venu, entre 7 h et 9 h. Les avocats ont admis que cet accord n'aurait vraisemblablement pas découlé d'une discussion entre avocats seulement.

Dans un autre cas (Étude de cas no 13), le couple a réussi à négocier un mécanisme de soutien financier qui, même s'il excédait l'exigence légale, permettait à la femme de retourner aux études et du coup répondait à son besoin d'être traitée avec gentillesse et générosité et au besoin de son conjoint d'agir avec respect et d'entretenir la meilleure relation possible dans l'avenir. Comme le conjoint payeur l'a indiqué :

Cela [le DFC] m'a permis de sortir de cette situation avec une certaine dignité et le sentiment que j'avais fait la bonne chose (Étude de cas no13, client 2, entrevue de conclusion, unité 43).

D'ailleurs, des avocats ont donné des exemples de causes dans lesquelles un des conjoints était allé au-delà des exigences légales afin de satisfaire des besoins importants pour les deux parties. Par exemple :

J'ai eu deux causes récemment où je représentais le mari, qui possédait un avoir important, et où la femme disait vouloir plus de la moitié car elle ne pouvait travailler (…). Les deux causes se sont terminées de manière similaire, soit que le mari voulait donner plus de la moitié, dans un cas je dirais 60 pour cent et dans l'autre 65 pour cent, ce qu'il a fait. Ce genre de règlement ne serait jamais survenu dans une négociation entre avocats parce que les avocats cherchent à tout prix à éviter ce genre de résultat et restent sur leurs positions, [disant], « C'est toujours 50/50, où voulez-vous en venir? », ou ce genre de chose (Étude de cas no 16, avocat 1, entrevue initiale, unités 138 à 142).

Des avocats ont fait mention des enjeux dont on peut discuter plus en profondeur dans le processus de droit collaboratif que dans le processus traditionnel de litige. Par exemple :

Il arrive fréquemment que le droit de visite accordé au parent qui n'a pas la garde soit plus important [que la norme] (Étude de cas no 4, avocat2, entrevue initiale, unité 352).

Une meilleure communication, qui ouvre la porte à une participation plus efficace et à une prise de décisions concertée en matière de partage des responsabilités parentales, est un thème récurrent dans les réponses (notamment dans l'étude de cas no16, client 2, entrevue de conclusion). Dans d'autres cas, le fait de négocier une entente financière et d'avoir accès à des conseils financiers a aidé les clients à acquérir de nouvelles connaissances et une confiance en eux renouvelée en matière de gestion budgétaire. Par exemple :

Je crois que dans la majorité des cas, les gens en sortent gagnants. Ils communiquent au sujet des responsabilités parentales comme jamais auparavant (…) en plus d'être, d'une certaine manière, plus versés en finance et plus en mesure d'organiser et de comprendre leur budget qu'ils ne l'étaient auparavant. Je crois donc que cet aspect du processus collaboratif est une valeur ajoutée, grâce auquel les gens apprennent quelque chose, acquièrent quelque chose (Étude de cas no 14, avocat 1, entrevue initiale, unité 90).

Somme toute, le processus collaboratif permet la mise en lumière de solutions « d'essai » d'une façon rarement vue avec le processus judiciaire. Un bon exemple de cette constatation a déjà été présenté à la section 3(A).

C. Mise en garde

Certes, l'étude réalisée amène à croire que les résultats négociés par le biais du processus collaboratif établissent un compromis entre des intérêts divergents et permettent de faire des concessions, en somme que les résultats sont satisfaisants pour les deux parties. Il n'empêche que le processus comporte certains risques dont il faut être au fait. Le plus évident a d'ailleurs déjà été mentionné — à savoir que la partie qui n'est pas en position de force peut se voir contrainte d'accepter une solution qui ne tienne pas compte de ses besoins. Ce risque se trouve vraisemblablement amplifié lorsque l'engagement de l'avocat au processus collaboratif — c'est-à-dire s'assurer que les parties arrivent à une entente sans avoir recours au processus judiciaire — prend le pas sur son engagement envers son client, comme dans l'exemple suivant :

J'accorde peu d'importance au résultat en termes de dollars et de sous, ce qui m'importe, c'est que les principes de collaboration entre moi et mon client aient été respectés (Étude de cas no 11, avocat 2, entrevue de conclusion, unité 57).

Cette attitude soulève une question d'importance : quels besoins sont plus importants dans le processus collaboratif — ceux de l'avocat ou ceux du client? Tout en reconnaissant que les avocats pratiquant le droit collaboratif devraient adopter ces « principes de collaboration », cela ne doit pas être fait au détriment des intérêts du client (voir la discussion précédente sur les conseils à donner au client).

Le risque que les inquiétudes pour la sécurité personnelle nuisent aux concessions ou aux ententes conclues dans le processus collaboratif doit continuer de figurer en haut de la liste des priorités dans les recherches et les études à venir. Cette question est directement liée à une sélection adéquate des causes dès le départ (voir la discussion à ce sujet plus loin dans le rapport, à la section 9(C)). Dans un cas sous étude, on s'inquiétait que la femme accepte d'abandonner certains droits dans un effort pour accélérer les formalités du divorce et ne plus vivre sous le même toit que son mari — qui abusait d'elle émotionnellement. Pour en arriver à une conclusion satisfaisante pour toutes les parties, les pressions qui s'exercent sur quiconque passe par un divorce se trouvent amplifiées lorsqu'il y a risque d'intimidation ou d'abus. Les avocats du droit collaboratif doivent donc être extrêmement vigilants. Pour revenir au cas d'abus, la solution avancée qui soulevait ces inquiétudes se rapprochait des normes habituelles et a été acceptée volontairement et sans pression aucune de la part des deux parties.

Enfin, il ressort de quelques cas à l'étude que le niveau de satisfaction émotionnelle atteint grâce au processus collaboratif n'a pas été aussi élevé que ce à quoi les avocats s'attendaient, ou espéraient, initialement — ni n'a été aussi profond qu'ils le croyaient de prime abord. Dans un cas (Étude de cas no 13), tant les clients que les avocats ont entrepris le processus de dialogue dans l'intention d'établir de solides assises à une relation durable entre les enfants et le beau-père ou la belle‑mère. Ça s'est révélé difficile dans un processus à quatre. Finalement, compte tenu du fait que la garde n'entrait pas en ligne de compte, l'accent a été mis sur la conclusion d'une entente financière. Même si le processus a permis de conclure une entente et de trouver une solution à la question épineuse du soutien financier, ce cas nous a montré que le processus collaboratif avait ses limites. Comme un client — dont la cause, qu'il croyait réglée au moyen du DFC, a été portée devant les tribunaux — l'a indiqué :

La confiance est un problème important et profond dans une relation qui s'est échelonnée sur 20 ans, un élément probablement trop complexe pour être réglé dans le cadre de procédures judiciaires [DFC] (Étude de cas no 12, client 1, entrevue de mi-parcours, unité 14).