Programme sur les crimes contre l'humanité et les crimes de guerre
SOMMAIRE
1. Introduction
En 1998, le gouvernement du Canada a mis sur pied l'actuel Programme coordonné sur les crimes contre l'humanité et les crimes de guerre (le Programme). Les partenaires du Programme sont l'Agence des services frontaliers du Canada (ASFC), Citoyenneté et Immigration Canada (CIC), le ministère de la Justice (MJ) et la Gendarmerie royale du Canada (GRC).
Le Programme a pour objet de concrétiser la politique du Canada consistant à refuser le refuge aux présumés criminels de guerre et de contribuer à la lutte nationale et internationale contre l'impunité. Particulièrement, le Programme vise à :
- identifier les personnes impliquées dans les crimes de guerre, les crimes contre l'humanité ou le génocide et empêcher leur admission au Canada;
- repérer à la première occasion les criminels de guerre au Canada et prendre les mesures voulues pour les empêcher d'obtenir un statut ou la citoyenneté;
- révoquer le statut ou la citoyenneté d'individus présents au Canada impliqués dans les crimes de guerre, les crimes contre l'humanité ou le génocide et les expulser;
- examiner toutes les allégations à l'endroit des personnes soupçonnées de crime de guerre au Canada et, le cas échéant, faire enquête à leur sujet et les poursuivre.
L'objet de l'évaluation est de déterminer la pertinence continue du Programme; d'évaluer le degré de réussite dans l'atteinte des objectifs du Programme et de rendre compte des résultats jusqu'à présent; et d'évaluer la rentabilité et de déterminer s'il existe des solutions de rechange plus efficaces à la conception et à l'exécution actuelles du Programme. La Division de l'évaluation du MJ a entrepris la présente évaluation sommative du Programme en 2008, avec le concours du Comité consultatif de l'évaluation composé de représentants de l'ASFC, de CIC, de la GRC et du MJ.
2. Méthode
L'évaluation comptait sept pistes d'enquête :
- l'examen documentaire;
- les entrevues du personnel des quatre ministères chargés du Programme, d'autres ministères, d'organismes partenaires internationaux, des chercheurs indépendants et des intervenants externes au Canada et à l'étranger;
- les études de cas sur cinq des neuf recours accessibles dans le cadre du Programme;
- les études de pays sur les activités liées aux crimes de guerre et aux crimes contre l'humanité en Australie, aux Pays-Bas et aux États-Unis;
- l'analyse de la couverture médiatique des cas de crime de guerre au Canada;
- le sondage du personnel des ministères chargés du Programme;
- la comparaison des coûts des neuf recours du Programme fondée sur les organigrammes détaillés des processus.
3. Principales constatations
3.1. Pertinence
Le Programme est le principal mécanisme d'exécution accessible au gouvernement fédéral pour soutenir la politique visant à empêcher les personnes soupçonnées de crime contre l'humanité et de crime de guerre de trouver refuge au Canada. L'objet et les objectifs du Programme demeurent une priorité du gouvernement tel qu'il est indiqué dans la législation, les engagements budgétaires constants et les rapports annuels du Programme.
Compte tenu des obligations juridiques du Canada découlant des conventions et des statuts internationaux sur les crimes de guerre, le génocide, la torture et les crimes contre l'humanité, le Programme demeure très pertinent. De plus, rien ne laisse présager que le nombre d'allégations au sujet d'individus cherchant à entrer au Canada ou qui y résident déjà diminuera. Les nouveaux conflits, les tendances changeantes de l'immigration au Canada en provenance de pays aux prises avec des conflits et les allégations émanant d'anciens conflits montrent conjointement que le Programme continuera de traiter un nombre important d'allégations.
3.2. Conception et exécution du Programme
Gouvernance et politique
Les changements dans la structure de gouvernance, notamment la mise en place à la fois du Comité directeur comptable au sous-ministre adjoint et du Comité de coordination et des activités du Programme (CCAP), ont contribué à consolider la cohésion et la coordination du Programme. L'orientation communiquée au sujet de l'affectation des ressources, la clarification des rôles et des responsabilités ministériels, et les critères plus rigoureux de l'attribution des cas selon les différents recours ont amélioré la cohésion et la focalisation du Programme et ont fait en sorte que les capacités d'enquête limitées se concentrent davantage sur les cas hautement prioritaires.
Partenariats et intégration
Les activités du Programme sont intégrées à d'autres initiatives canadiennes de gestion frontalière dans les domaines du crime organisé et du contre-terrorisme, dont est essentiellement chargée l'ASFC. À titre d'exemple, l'ASFC a situé sa Section des crimes de guerre dans la Division de la sécurité nationale, Direction du renseignement ainsi que ses unités d'anti-terrorisme et du crime organisé. Au niveau régional au Canada, les agents de l'ASFC ont regroupé les fonctions relatives aux crimes de guerre, au contre-terrorisme et au crime organisé, qui sont soutenues par la GRC et le MJ ainsi que par plusieurs autres ministères et organismes. En outre, la Division de la sécurité nationale offre un guichet d'information unique sur les crimes de guerre, le crime organisé et le contre-terrorisme aux agents à l'étranger, notamment les agents des visas.
Le Programme est aussi exploité en partenariat avec d'autres ministères et organismes fédéraux. Un exemple de partenariat est la collaboration aux cas d'extradition par le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international (MAECI) et le Service d'entraide internationale (SEI) du MJ afin de réunir la documentation appropriée conjointement avec le pays demandant l'extradition.
Le Programme est très efficace en ce qui concerne l'établissement et le maintien de partenariats avec les organismes partenaires internationaux et les programmes similaires dans d'autres pays. Le personnel des tribunaux pénaux internationaux, des forces policières nationales, des services nationaux des poursuites et des organismes d'exécution de législation sur l'immigration d'autres États ont donné des exemples de collaboration efficace entre le Programme canadien et leur organisme. Mentionnons notamment que le Canada est le seul pays non européen du réseau européen des points de contact au sujet des personnes responsables du génocide, des crimes contre l'humanité et des crimes de guerre.
Coordination, gestion des allégations et prestation des services
La coordination interministérielle améliorée a favorisé la gestion plus efficiente et plus efficace des allégations, principalement grâce à la coopération interministérielle plus fructueuse lors des enquêtes, aux processus perfectionnés de présélection et d'examen des dossiers, et à la détermination améliorée des priorités pour les recours applicables.
Parallèlement, le Programme fait face à un défi important, soit améliorer la pertinence et la fréquence de la formation surtout pour le personnel récemment affecté aux postes de première ligne dans les régions et à l'étranger. Il faut aussi investir dans la mise à niveau et l'actualisation des bases de données informatiques et des plateformes électroniques à l'ASFC et à CIC, principalement le Système sur les crimes de guerre contemporains (SCGC).
Accroître la sensibilisation et les connaissances
Les activités du Programme contribuent grandement à mettre en vue les efforts internationaux consentis pour traiter efficacement les crimes contre l'humanité et les crimes de guerre ainsi qu'à sensibiliser au Programme des spécialistes des crimes de guerre dans le milieu international. Toutefois, un solide consensus s'est dégagé chez les intervenants à tous les niveaux, à savoir qu'il faut entreprendre au Canada des activités de sensibilisation et de communication plus soutenues. Les interviewés d'organismes représentant les victimes ou les groupes d'immigrants particuliers croient que leurs mandants pourraient contribuer largement à identifier les suspects qui résident actuellement au Canada. Ils ont aussi déclaré que leurs membres accepteraient plus volontiers et seraient en mesure d'aider les enquêteurs de la GRC en communiquant des renseignements ou en identifiant les témoins, s'ils étaient au fait du Programme et s'ils avaient l'assurance que les auteurs des crimes seraient recherchés et punis ou expulsés du Canada.
Collecte et utilisation des données de suivi du rendement
Les ministères participants donnent un aperçu annuel du rendement du Programme en fournissant des données sur les allégations et les résultats liés aux enquêtes, aux poursuites, aux interdictions d'accès, aux personnes exclues de la protection des réfugiés ainsi qu'aux renvois des personnes impliquées dans les crimes contre l'humanité et les crimes de guerre du Canada. Le Programme (par l'entremise du Comité directeur et du CCAP) se sert également de l'information pour orienter la politique et pour gérer les activités du Programme. Néanmoins, il existe des lacunes dans le système de suivi du rendement pour ce qui est de la formation ainsi que des activités de diffusion et de sensibilisation.
3.3. Succès du Programme
Rôle de chef de file mondial et satisfaction des obligations internationales
Le Programme continue d'assurer le rôle de chef de file mondial du Canada dans le traitement des crimes contre l'humanité et des crimes de guerre, essentiellement par son engagement à l'égard de la coopération internationale, son soutien des institutions internationales, son cadre législatif robuste, et l'existence d'un programme interministériel intégré. Le Programme est aussi parvenu à remplir les obligations juridiques internationales du Canada relatives aux crimes contre l'humanité et aux crimes de guerre.
Atteinte des objectifs du Programme et de la politique
Il est impossible de montrer avec certitude que le Programme réussit à dissuader les personnes soupçonnées de crime de guerre et de crime contre l'humanité d'entrer au Canada. De même, les données quantitatives sur les résultats obtenus à l'endroit des personnes interdites d'accès, renvoyées du Canada ou exposées aux poursuites pénales ne permettent pas de démontrer définitivement l'efficacité du Programme à concrétiser son objectif primordial consistant à refuser le refuge au Canada. Toutefois, à la fois les données quantitatives sur les résultats et les opinions des intervenants au Canada et à l'étranger confirment la conclusion que le Programme contribue largement à réaliser l'objectif national.
Parallèlement, il existe une divergence apparente entre la taille du répertoire des cas de crimes de guerre contemporains de la GRC et du MJ et les ressources d'enquête accessibles à la Section des crimes de guerre de la GRC. Les ressources d'enquête limitées pour le répertoire des cas complexes réduisent grandement la contribution du Programme à l'objectif d'interdiction de territoire.
3.4. Rentabilité
Les coûts et la complexité des neuf recours pour traiter les cas de personnes impliquées dans les crimes contre l'humanité et les crimes de guerre en vertu des lois canadiennes varient énormément. Les recours mis en route avant qu'un individu soupçonné devienne résident permanent ou citoyen (ou qu'il bénéficie de la protection de réfugié) sont les moins onéreux. Le recours le plus complexe, le plus long et le plus coûteux est la poursuite pénale en vertu de la Loi sur les crimes contre l'humanité et les crimes de guerre (LCCHCG). Les données confirment que le Programme concentre ses efforts sur la prévention de l'entrée des présumés criminels de guerre. Malgré la fluctuation des coûts, l'utilisation judicieuse du recours de poursuite pénale demeure un mécanisme important pour atteindre l'objectif général du Programme, soit prévenir l'impunité des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité.
Les politiques et les processus contribuent à la rentabilité
Le Programme parvient à équilibrer l'exécution des solutions les plus rentables et le maintien de l'intégrité de la politique sur le refus du refuge. La modification des critères de l'examen des dossiers a renforcé cet équilibre puisqu'on a accordé la priorité aux recours en matière d'immigration, sans toutefois renoncer à la révocation de la citoyenneté et aux poursuites pénales lorsqu'elles sont justifiées.
Structures de rechange du Programme
Rien ne laisse supposer que la prestation indépendante des services du Programme par les quatre ministères hors du cadre intégré serait plus rentable. De fait, les gains réalisés sous forme de petites économies théoriques seraient plus que compensés par l'efficacité réduite du Programme en raison de la perte de cohésion et de la piètre coordination.
Justification de l'augmentation des ressources
Il est largement démontré que le Programme doit bénéficier d'une injection de ressources s'il veut concrétiser à l'avenir la politique d'interdiction de territoire. Particulièrement, il faut affecter des ressources accrues pour mener les enquêtes criminelles, pour offrir fréquemment la formation au nouveau personnel ainsi que pour mettre à niveau et actualiser les bases de données du Programme.
4. Recommandations
L'évaluation appuie la poursuite du Programme sur les crimes contre l'humanité et les crimes de guerre et conclut que le modèle interministériel est efficace et qu'il devrait être maintenu. Elle conclut également que les quatre ministères participants demeurent des partenaires compétents du Programme.
Même si l'efficience et l'efficacité de la coordination et de l'exécution du Programme se sont améliorées depuis la dernière évaluation en 2001, il reste des domaines à améliorer. L'équipe d'évaluation tient à présenter les recommandations suivantes :
- Envisager d'accorder un financement permanent au Programme et de modifier le niveau général de ses ressources financières, en fonction du plan aux coûts justifiés qu'ont dressé les ministères participants.
- Envisager d'augmenter le financement afin de renforcer la capacité d'enquête de la GRC, car il s'agit de l'aspect prioritaire aux fins d'un financement majoré déterminé dans l'évaluation.
- Envisager d'améliorer et de mettre à niveau les bases de données pour le Programme de l'ASFC et de CIC, particulièrement le SCGC, afin de faciliter l'accès et d'effectuer plus fréquemment les mises à jour et les changements.
- Envisager d'entreprendre l'examen officiel des besoins en formation afin d'élaborer un plan de formation détaillé pour combler les lacunes. Le plan devrait comprendre les besoins des divers ministères, la nature et la fréquence de la formation, le mode de prestation, l'évaluation des besoins en ressources et des mesures du rendement aux fins du suivi.
- Envisager d'attribuer des fonds supplémentaires pour soutenir l'élaboration et la mise en œuvre d'un plan opérationnel pour la diffusion élargie afin de sensibiliser davantage au Programme au Canada. En outre, le plan devrait désigner les bénéficiaires éventuels, établir l'ordre des priorités et préciser la méthode appropriée pour joindre chaque groupe, les besoins en ressources ainsi que les mesures du rendement aux fins du suivi.
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