Alinéa 11i) – Bénéficier de la peine la moins sévère
Disposition
11. Tout inculpé a le droit :
- de bénéficier de la peine la moins sévère, lorsque la peine qui sanctionne l’infraction dont il est déclaré coupable est modifiée entre le moment de la perpétration de l’infraction et celui de la sentence.
Dispositions similaires
Il existe des droits similaires dans des instruments internationaux qui lient le Canada, à savoir le paragraphe 15(1) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et l’article XXVI de la Déclaration américaine des droits et devoirs de l’homme.
Le terme « peine » auquel renvoient les alinéas 11h) et i) devrait être interprété de la même façon : « il convient d’harmoniser l’application des alinéas 11i) et h) puisque le caractère équitable de la peine sous-tend les deux dispositions » (R. c. K.R.J., [2016] 1 R.C.S. 906, au paragraphe 39; R. c. Rodgers, [2006] 1 R.C.S. 554). La définition de « peine » qui a été établie dans le contexte des alinéas 11h) et i) devrait aussi s’appliquer à l’interprétation du terme dans le contexte de l’article 12 (R. c. Boudreault, [2018] 3 R.C.S. 599, au paragraphe 38). Il convient de souligner que la protection prévue à l’article 12 s’étend non seulement à la « peine, mais aussi au « traitement » (Rodgers, précité, au paragraphe 63).
L’alinéa 11g) de la Charte comprend aussi un aspect temporel; on y prévoit le droit de ne pas être déclaré coupable en raison d’une action ou d’une omission qui, au moment où elle est survenue, ne constituait pas une infraction.
La Cour suprême a également interprété l’alinéa 11h) de la Charte (double péril) d’une manière qui fournit une protection contre des changements apportés rétrospectivement aux conditions de la sanction originale ayant l’effet d’aggraver la peine reçue (Canada (Procureur général) c. Whaling, [2014] 1 RCS 392, au paragraphe 44).
Les droits résiduels relatifs à l’application rétroactive ou rétrospective de la loi peuvent s’appliquer en vertu de l’article 7 de la Charte dans les situations où la vie, la liberté ou la sécurité de la personne est en jeu (R. c. Gamble, [1988] 2 R.C.S. 595; Cunningham c. Canada, [1993] 2 R.C.S. 143).
Une disposition interprétative semblable se trouve à l’alinéa 44e) de la Loi d’interprétation, LRC (1985), ch. I-21. Il existe aussi des présomptions d’interprétation de common law contre l’application rétrospective et rétroactive des lois, et contre l’atteinte aux droits acquis. Le poids de ces présomptions varie et, à la différence de l’alinéa 11i) et d’autres restrictions constitutionnelles, elles peuvent être réfutées par les termes explicites de la législation ou par l’application nécessaire de ses dispositions. Sous réserve des restrictions prévues à la Charte, il n’y a aucune restriction constitutionnelle générale à l’égard de l’application rétrospective ou rétroactive de la loi. (Colombie-Britannique c. Imperial Tobacco Canada Ltée, [2005] 2 R.C.S. 473).
La Cour suprême a récemment examiné en détail les règles de common law ainsi que les règles législatives de l’application temporelle des principes découlant des instruments de droit international, afin d’établir la portée de la protection prévue à l’alinéa 11i) (R. c. Poulin, 2019 CSC 47).
Objet
Les alinéas 11i) et 11g) « constitutionnalise[nt] la notion fondamentale voulant que, en matière pénale, une disposition ne doive généralement pas s’appliquer rétrospectivement
», puisque le « tribunal devrait se prononcer sur la conduite d’une personne et sur les conséquences juridiques qui en découlent en fonction du droit qui s’appliquait au moment de la conduite reprochée
» (K.R.J., précité, aux paragraphes 1 et 22). Cela « prend appui sur des valeurs fondamentales de notre système juridique, y compris le respect de la primauté du droit et la garantie de l’équité des procédures criminelles
» (K.R.J., précité, au paragraphe 27; voir aussi Poulin, précité). Les dispositions pénales d’application rétrospective empêchent les individus de prévoir de façon fiable les conséquences de leurs actions, compromettent l’intégrité de la loi en vigueur et sont perçues comme étant injustes; elles peuvent donc miner la confiance du public envers l’administration de la justice (K.R.J., précité, aux paragraphes 23 à 25).
Les alinéas 11i) et 11g) « témoignent de l’aversion de la société pour les peines rétroactives, dans un sens large — pour la loi rétroactive qui crée une infraction criminelle, dans le cas de l’alinéa 11g), et pour la loi rétroactive en vertu de laquelle une peine alourdie s’appliquerait à l’infraction commise avant son adoption, dans le cas de l’alinéa 11i)
» (Whaling, précité, au paragraphe 55).
Analyse
L’alinéa 11i) s’applique uniquement à « [t]out inculpé ». Cela donne suite au préambule de l’article 11. Pour obtenir une orientation concernant cette exigence, consulter l’entrée générale sur l’article 11.
1. Nature du droit protégé par l’alinéa 11i)
L’alinéa 11i) est invoqué lorsqu’une personne est « déclaré[e] coupable ». Lorsque l’alinéa 11i) est invoqué, cela fait en sorte que la personne a le droit de « bénéficier de la peine la moins sévère » si « la peine qui sanctionne l’infraction dont [elle] est déclaré[e] coupable est modifiée entre le moment de la perpétration de l’infraction et celui de la sentence
».
Quatre questions principales ont émergé jusqu’à maintenant en ce qui touche l’application de l’alinéa 11i). Tout d’abord, quels types de mesures constituent une « peine » aux fins de l’alinéa 11i) pour que de tels accroissements rétrospectifs à leur sévérité représentent une infraction à l’alinéa 11i) ? En deuxième lieu, est-ce que ce droit s’applique lorsque des changements sont apportés aux peines prévues pour une infraction qui est similaire mais pas nécessairement identique ? En troisième lieu, qu’entend-on par « moment de la perpétration de l’infraction » ? Enfin, qu’entend-on par une peine qui a été « modifiée » et comment détermine-t-on « la peine la moins sévère » ?
2. Est-ce que la mesure en cause est une « peine » ?
La Cour suprême a adopté une « interprétation libérale et téléologique » à l’égard du terme « peine » utilisé dans l’alinéa 11i) et a indiqué que ce terme ne pouvait se limiter à une « incarcération et [à] une forte amende » imposées à la suite d’une déclaration de culpabilité pour une infraction (R. c. Rodgers, [2006] 1 R.C.S. 554, paragraphe 59). Parallèlement, le terme « peine » n’englobe pas « toute conséquence pouvant découler du fait d’être déclaré coupable d’une infraction criminelle
» (Rodgers, précité, au paragraphe 63, cité dans K.R.J., précité, au paragraphe 29).
Une mesure sera considérée comme étant une peine si « (1) elle est une conséquence d’une déclaration de culpabilité qui fait partie des sanctions dont est passible un accusé pour une infraction donnée et (2) soit elle est conforme à l’objectif et aux principes de la détermination de la peine, (3) soit elle a une grande incidence sur le droit du contrevenant à la liberté ou à la sécurité
» (K.R.J., précité, au paragraphe 41).
La section ci-après fournit d’abord des renseignements supplémentaires sur chaque volet du cadre de l’arrêt K.R.J., avant de faire part de la jurisprudence déterminant quels types de mesures constituent une peine.
(i) Le cadre de l’arrêt K.R.J.
Pour être considérée comme étant une « peine », une sanction doit satisfaire au premier volet ainsi qu’au deuxième ou au troisième volet du critère en cause. Il n’est pas nécessaire que la sanction satisfasse aux trois volets.
Le premier volet correspond au sens ordinaire de « peine », soit « une conséquence d’une déclaration de culpabilité qui fait partie des sanctions dont est passible un accusé pour une infraction donnée
» (Rodgers, précité, aux paragraphes 62 et 63).
Il existe peu de jurisprudence approfondissant ce volet. Il est toutefois clair que les sanctions comme l’incarcération et les fortes amendes, ainsi que d’autres sanctions qui peuvent (ou doivent) être imposées par un juge chargé d’infliger une peine à l’égard d’une infraction particulière, satisfont à ce volet (voir p. ex. K.R.J., précité, au paragraphe 50; Rodgers, précité, au paragraphe 62). La Cour suprême a laissé entendre que d’autres types d’ordonnances pouvant être prononcées au moment de la détermination de la peine pourraient également satisfaire au premier volet, comme les ordonnances de confiscation, d’interdiction de possession d’une arme à feu, d’interdiction de conduite automobile ou de restitution (Rodgers, précité, au paragraphe 63).
Les changements apportés aux règles générales régissant l’admissibilité à la libération conditionnelle ne satisfont pas au premier volet. Si elles peuvent avoir une incidence sur les conditions en vertu desquelles la peine d’une personne sera purgée, de telles modifications apportées au système général ne comptent pas (en elles-mêmes) parmi les diverses sanctions qui peuvent être imposées à une personne à titre de conséquence d’une déclaration de culpabilité (Whaling, précité, au paragraphe 50). Selon ce qui est indiqué dans l’arrêt Whaling, dans la mesure où les changements à l’admissibilité à la libération conditionnelle peuvent prolonger la période d’incarcération d’une personne purgeant sa peine, ils peuvent entraîner un changement dans la sévérité de la peine imposée au délinquant, mettant en cause du même coup des droits temporels en vertu de la Charte.
Le deuxième volet porte principalement sur l’objectif sous-jacent d’une sanction. Pour satisfaire à ce volet, « la conséquence de la déclaration de culpabilité doit être conforme à l’objectif et aux principes de la détermination de la peine. […] [L]a détermination de la peine vise à “protéger la société” ou à promouvoir le “respect de la loi et [le] maintien d’une société juste, paisible et sûre” (art. 718 du Code criminel) grâce à la réalisation de l’un ou de plusieurs des objectifs traditionnels énumérés aux al. 718a) à f), et ce, conformément aux principes de détermination de la peine qui se retrouvent aux articles 718.1 et 718.2
» (K.R.J., précité, au paragraphe 34).
Le simple fait qu’une mesure vise à promouvoir la sécurité ou la protection du public ne l’empêche pas de s’inscrire dans la portée de la définition d’une peine, y compris en vertu du deuxième volet. Puisque la protection du public est l’un des aspects essentiels de la détermination de peines pénales, « la sanction qui vise à promouvoir la sécurité du public ne bénéficie pas d’une exception générale à la protection qu’offre l’alinéa 11i) et elle peut être considérée comme une peine
» (K.R.J., précité, au paragraphe 33).
Dans l’affaire K.R.J., il a été établi que les ordonnances portant interdiction satisfaisaient au deuxième volet puisqu’elles ont pour but de donner suite à des objectifs reconnus de l’imposition de peines, notamment l’isolement des délinquants du reste de la société, la réinsertion sociale et la dissuasion au regard de la récidive. En outre, un autre facteur a été pris en compte, à savoir que les ordonnances de ce type sont imposées par l’intermédiaire d’un « processus discrétionnaire et souple » qui « respecte les principes de détermination de la peine énoncés aux articles 718.1 et 718.2 » (K.R.J., précité, au paragraphe 52).
Le troisième volet concerne principalement les répercussions d’une mesure sur la personne concernée. Même si la conséquence d’une déclaration de culpabilité ne satisfait pas au critère fondé sur les objectifs du deuxième volet, il s’agira tout de même d’une peine si « elle a une grande incidence sur le droit du contrevenant à la liberté ou à la sécurité ». Selon la Cour suprême, la peine doit, plus particulièrement « avoir une grande incidence sur le droit constitutionnel du contrevenant à la liberté ou à la sécurité ». Pour satisfaire à cette exigence, « la conséquence de la déclaration de culpabilité doit restreindre sensiblement la faculté qu’a une personne de se livrer à une activité par ailleurs licite ou soumettre une personne à des contraintes substantielles auxquelles les autres citoyens ne sont pas soumis
» (K.R.J., précité, au paragraphe 42, citant l’arrêt R. c. Hooyer, 2016 ONCA 44, au paragraphe 45).
(ii) Déterminer si des types particuliers de mesures constituent une « peine »
Clairement, l’incarcération imposée à un délinquant dans le cadre de sa sentence serait considérée comme étant une peine. Il en est de même pour une amende imposée à titre de sanction à l’égard d’une infraction. La Cour suprême n’a pas directement établi cela au regard de l’alinéa 11i), mais elle l’a fait en ce qui touche l’alinéa 11h); consulter Whaling, précité, au paragraphe 51 : « [l]’incarcération constitue […] l’exemple le plus évident d’une peine faisant partie “[de l’arsenal] des sanctions” prévues au Code criminel. La peine carcérale et les fortes amendes représentent l’aune à laquelle les sanctions moins graves doivent être mesurées
». Voir également l’arrêt R. c. Rodgers, précité, au paragraphe 59.
La Cour suprême a reconnu les mesures supplémentaires suivantes comme étant des peines aux fins de l’alinéa 11i) :
- une ordonnance d’interdiction imposée à certains délinquants reconnus coupables d’une infraction aux termes des alinéas 161(1)c) et d) du Code criminel (K.R.J., précité, aux paragraphes 49 à 57, la Couronne a concédé que la même conclusion s’applique aux ordonnances prévues aux alinéas 161(1) a) et d) ; R. v. J.D., 2021 ONCA 376);
- une absolution sous condition imposée au lieu d’une déclaration de culpabilité dans le cas d’un accusé qui a plaidé ou qui a été reconnu coupable d’une infraction aux termes de l’article 730 du Code criminel (Rodgers, précité, au paragraphe 61);
- la détermination de la peine en vertu du régime applicable aux délinquants dangereux (R. c. Johnson, [2003] 2 R.C.S. 357 aux paragraphes 13 et 41 à 46). La Cour a jugé qu’aux termes de l’alinéa 11i), il faut tenir compte des dispositions applicables aux délinquants à contrôler avant de déclarer qu’un délinquant est un« délinquant dangereux », et ce, même si ces dispositions sont entrées en vigueur après que le délinquant eut commis ses infractions. La Cour a indiqué qu’il en est ainsi car les « nouvelles » dispositions peuvent donner à l’accusé le droit de bénéficier de la « peine la moins sévère », plus particulièrement, qu’elles peuvent donner à certains délinquants qui auraient pu être déclarés dangereux au titre des anciennes dispositions (et, par conséquent, faire face à une peine de détention pendant une période indéterminée) la possibilité de bénéficier de la désignation de délinquant à contrôler aux termes des nouvelles dispositions (et ainsi de faire face à une peine de détention pendant une période déterminée suivie d’une ordonnance de surveillance de longue durée).
La Cour suprême a statué qu’un prélèvement d’échantillons d’ADN autorisé par un juge, conformément à l’article 487.055 du Code criminel, auprès d’un délinquant reconnu coupable d’une infraction ne fait pas partie de la peine imposée au délinquant. Tout d’abord, « [l]e prélèvement d’échantillons d’ADN pour analyse génétique ne fait pas plus partie des sanctions dont est passible la personne accusée d’une infraction donnée que la prise de photographies ou des empreintes digitales
» (Rodgers, précité, au paragraphe 65). En second lieu, de telles ordonnances sont émises pour faciliter les futures enquêtes. Elles peuvent avoir « [l’]avantage secondaire » de décourager la récidive, bien qu’il ne s’agisse pas de leur objectif sous-jacent (Rodgers, précité, aux paragraphes 64 et 65, K.R.J., précité, aux paragraphes 29 et 53). Enfin, le fait de fournir un échantillon d’ADN « ne porte pas sensiblement atteinte » au droit à la liberté ou à la sécurité de la personne (Rodgers, précité, au paragraphe 64; K.R.J., précité, au paragraphe 55, citant R. c. Hooyer, 2016 ONCA, précité).
Les cours d’appel ont statué que la « peine » désigne une peine fixée par le Parlement. Par conséquent, l e droit prévu à l’alinéa 11i) ne permet pas à un délinquant de bénéficier de principes de détermination de la peine différents établis par les tribunaux qui pourraient avoir existés à la date de l’infraction afin d’écoper d’une peine plus clémente. Ces principes doivent plutôt être déterminés et appliqués à partir de la date de la détermination de la peine (R. c. X, 2022 QCCA 266; L.L. c. R., 2016 QCCA 136, autorisation d’appel devant la CSC rejetée le 19 juillet 2018); R. v. Fones, 2012 MBCA 110; R. v. R. D. (1996), 48 C.R. (4th) 90 (C.A. Sask.); R. v. Paradis (1991), 92 Nfld. & P.E.I.R. 271 (C.A. T.-N.-L.)).
Il existe certaines décisions rendues par des cours d’appel dans lesquelles on établit si les mesures suivantes font partie ou non de la peine aux termes de l’alinéa 11i) :
- admissibilité à la libération conditionnelle en vertu de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition : en appliquant à l’alinéa 11i) la décision de la Cour suprême relative à l’alinéa 11h) rendue dans l’affaire Whaling, les tribunaux d’appel ont conclu de façon constante que les décisions rendues dans le contexte des règles régissant l’admissibilité à la libération conditionnelle faisaient partie de la peine aux fins de l’alinéa 11i) (voir Liang c. Canada (Procureur général), 2014 BCCA 190, autorisation de pourvoi refusée, [2014] C.S.C.R. no 298; Lewis c. Canada (Procureur général), 2015 ONCA 379, autorisation de pourvoi refusée, [2015] C.S.C.R. no 325; Nucci c. Canada (Procureur général), 2015 MBCA 122; Parent c. Guimond, 2016 QCCA 159);
- restrictions à l’admissibilité à la libération conditionnelle établies dans les dispositions du Code criminel liées à la détermination de la peine : les tribunaux d’appel ont statué que, lorsque les dispositions du Code criminel relatives à la détermination de la peine imposent des restrictions à la libération conditionnelle, ces restrictions constituent une peine aux fins de l’alinéa 11i) (voir R. c. Logan (1986), 14 O.A.C. 382 (C.A.); R. c. C. (T.J.) (1993), 86 C.C.C. (3d) 181 (C.A. Man.); R. c. Lambert (1994), 93 C.C.C. (3d) 88 (C.A. T.-N.-L.), autorisation de pourvoi à la CSC refusée, [1994] C.S.C.R. no 448; R. c. Richard (1994), 94 C.C.C. (3d) 285 (C.A. N.-É.); R. c. Cuff, [2004] N.J. no 38 (C.A. T.-N.-L.); R. c. Cuff, 2004 NLCA 38);
- dispositions dites « de la dernière chance » du Code criminel : ces dispositions établissent un processus permettant à certains délinquants de demander une réduction de la période d’inadmissibilité à la libération conditionnelle. Les cours d’appel ont statué que, pour les délinquants admissibles, la procédure prévue par ces dispositions équivaut à une partie de la peine qui a été infligée au moment de la détermination de la peine (voir R. c. Dell, 2018 ONCA 674, autorisation d’appel rejetée, 2019 CanLII 6092; R. c. Simmonds, 2018 BCCA 205 ; voir aussi R. v. Liu, 2022 ONCA 460);
- crédit de détention provisoire : une modification rétrospective a limité le pouvoir judiciaire de reconnaître le temps passé en détention avant le prononcé de la peine, et, par conséquent, a potentiellement prolongé les périodes d’incarcération de certains délinquants. Une cour d’appel a conclu que cela avait pour effet de modifier la peine imposée pour des infractions et limitait donc l’application de l’alinéa 11i) (voir R. c. R.S., 2015 ONCA 291);
- ordonnance selon laquelle la personne doit être inscrite à un registre de délinquants sexuels à la suite d’une déclaration de culpabilité : les cours d’appel ont conclu que de telles ordonnances ne constituaient pas une « peine » (voir R. c. Cross, 2006 NSCA 30, autorisation de pourvoi refusée, [2006] C.S.C.R. no 161; R. c. Dyck, 2008 ONCA 309; voir également Hooyer, précité, au paragraphe 45);
- mandat d’incarcération en vertu de l’article 734.7 du Code criminel pour le défaut du paiement d’une amende : une cour d’appel a conclu qu’il ne s’agit pas d’une peine, mais bien d’une mesure d’exécution visant à inciter les contrevenants qui en ont les moyens à payer l’amende imposée. Dans la décision, la cour a établi une distinction entre l’ordonnance prévue à l’article 734.7, qui s’applique lorsqu’une amende demeure en souffrance après le prononcé de la peine, et l’ordonnance d’incarcération en cas de défaut de paiement, qui est prononcée dans le cadre de la peine elle-même en vertu de l’article 787 du Code criminel (voir R. c. Bourque [2005], 193 C.C.C. [3d] 485 (C.A. Ont.) au paragraphe 20).
Sans se prononcer sur le bien fondé de certaines causes dans lesquelles on a conclu que des mesures précises ne constituaient pas une peine avant la reformulation du cadre d’analyse dans l’arrêt K.R.J., la Cour suprême a constaté que ces causes avaient été rendues avant l’arrêt K.R.J. (Poulin, précité, au paragraphe 38).
Des ordonnances de sursis à l’emprisonnement ont été prononcées pour certaines infractions criminelles en 1996, même si leur admissibilité a été quelque peu restreinte en 2007. La Cour suprême a jugé que la création de ce régime constituait un allégement de la peine, au sens des dispositions analogues de l’alinéa 44e) de la Loi d’interprétation (R. c. R.A.R., [2000] 1 R.C.S. 163). Par conséquent, lorsque la Cour suprême a été saisie directement d’une question relative à l’alinéa 11i) et concernant un emprisonnement avec sursis, la majorité a refusé de trancher la question de savoir si les changements apportés au régime d’emprisonnement avec sursis constituaient une peine au regard de la Charte. La majorité a plutôt conclu que les délinquants qui avaient commis des infractions avant l’adoption du régime d’emprisonnement avec sursis, mais qui ont été condamnés après que leur admissibilité ait été restreinte par les modifications de 2007, ne disposeraient pas d’un droit au régime visé prévu à l’alinéa 11i) tel qu’il existait pendant la période intérimaire (rendant ainsi inutile de déterminer si l’admissibilité à l’emprisonnement avec sursis constituait une variation de la peine; Poulin, précité, au paragraphe 39).
3. L’« infraction » est-elle la même?
Dans l’arrêt Gamble, précité, la juge Wilson a indiqué qu’elle n’était pas convaincue qu’il convenait de donner une interprétation restrictive à l’alinéa 11i) afin qu’il s’applique seulement aux modifications de la peine relative à la même infraction, par opposition aux cas où l’infraction et la peine avaient changé. Il n’était pas nécessaire, cependant, que la juge Wilson tranche la question, et elle s’est expressément abstenue de le faire.
Par la suite, la Cour d’appel de la Colombie-Britannique a statué que, pour que l’alinéa 11i) s’applique, il doit y avoir une véritable correspondance entre l’infraction commise et l’infraction punissable d’une peine moins sévère. Selon elle, une telle correspondance n’existe pas entre le fait d’avoir des relations sexuelles avec sa belle-fille, une infraction prévue à l’alinéa 153(1)a) du Code criminel (maintenant abrogé), et l’infraction prévue à l’article 146 du Code, qui interdit à une personne qui est en situation d’autorité ou de confiance tout contact sexuel avec un adolescent. La Cour d’appel a également rejeté l’argument selon lequel il y a un bénéfice au titre de l’alinéa 11i) en raison de la peine qui a été pratiquement réduite à zéro du fait que l’infraction précédente a été abrogée (R. c. E.R. (1992), 77 C.C.C. (3d) 193 (C.A. C.-B.)).
4. Qu’est-ce que le « moment de la perpétration » ?
Cette question n’a pas été abordée par la Cour suprême; de même, la jurisprudence des cours d’appel provinciales n’est pas constante lorsque vient le temps de définir cette notion.
Selon la Cour d’appel de l’Ontario, le « moment de la perpétration » d’une infraction est le moment où une personne devient coupable de l’infraction. En d’autres mots, le « moment de la perpétration » est le moment où une personne devient [traduction] « passible d’être reconnue coupable de l’infraction » car [traduction] « elle a exécuté l’actus reus nécessaire avec une intention coupable. La culpabilité criminelle existe à partir de ce moment, que l’infraction se déroule sur une période prolongée ou non » (Canada (Attorney General) v. Lalonde, 2016 ONCA 923, aux paragraphes 15 à 17). Par conséquent, dans le cas d’une personne qui est reconnue coupable d’une infraction de complot (ou de toute autre infraction continue susceptible de « chevaucher » la date à laquelle la peine potentielle a été modifiée), le « moment de la perpétration » est le moment où la personne a commencé à commettre l’infraction, et non le moment où l’infraction a pris fin ou s’est achevée (Lalonde, précité, au paragraphe 16).
Toutefois, les cours d’appel du Québec et de la Saskatchewan ont adopté une approche différente à l’égard des infractions se déroulant sur une période prolongée; en effet, on constate dans les courts motifs des juges que ces derniers semblent avoir déterminé que le « moment de la perpétration » s’entend du moment où l’infraction s’est achevée (R. c. Pouliot, 2006 QCCA 643, au paragraphe 4; R. c. V.I.C., 2005 SKCA 95, au paragraphe 11). Il convient de noter que ces décisions ont été prises en compte dans l’arrêt Lalonde, précité, aux paragraphes 20 à 24. Dans l’arrêt R. v. Chicoine, 2019 SKCA 104, la Cour d’appel de la Saskatchewan a toutefois conclu que le point de vue qu’elle avait antérieurement adopté à cet égard dans l’arrêt V.I.C. était incorrect. Elle a donc décidé d’adopter l’approche Lalonde.
5. Est-ce que la peine a été modifiée et, le cas échéant, quelle est la peine la moins sévère ?
L’alinéa 11i) accorde le bénéfice de la peine la moins sévère seulement si la modification a lieu avant le prononcé de la sentence. À cet égard, la disposition diffère du paragraphe 15(1) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, qui accorde le bénéfice de la peine la moins sévère à tout moment après la déclaration de culpabilité (R. c. Milne, [1987] 2 R.C.S. 512).
La peine la moins sévère est déterminée en comparant les effets des différentes peines sur le délinquant. De l’avis de la Cour suprême, « la “peine la moins sévère” susceptible d’être infligée à l’accusé
» est celle qui est jugée représenter « [l]a peine dont l’incidence est la moins grande sur la liberté ou la sécurité du contrevenant
» (K.R.J., précité, au paragraphe 40).
La peine maximale qui peut être imposée à un contrevenant au moment de la détermination de la peine « est limitée à la peine maximale prévue par la loi au moment de la commission de l’infraction ». Par conséquent, si la peine maximale est passée de 7 à 14 ans d’emprisonnement entre le moment de la commission de la peine et le moment de la détermination de la peine, la peine du contrevenant serait limitée « à une peine maximale de sept ans » (Tran c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), [2017] 2 R.C.S. 289, au paragraphe 37).
Même si la peine imposée à un contrevenant cadre avec les peines prévues et les principes en vigueur plutôt qu’avec ceux appliqués au moment de la commission de l’infraction, l’alinéa 11i) est respecté dans la mesure où la peine imposée est égale ou inférieure à la peine maximale prévue par la loi au moment de la commission de l’infraction. Par conséquent, dans R. v. W.G., 1995 CanLII 4034 (C.A. Sask.), l’accusé a commis des infractions d’ordre sexuel entre 1972 et 1981. Plusieurs années plus tard, il a été accusé de ces infractions alors que la peine maximale prévue par le Code criminel pour les agressions sexuelles était passée de cinq à dix ans. Il a été condamné à trois ans d’emprisonnement (conformément aux peines prévues au moment de la détermination de la peine), soit une peine moins sévère que la peine maximale de cinq ans prescrite au moment où l’infraction a été commise.
La Cour d’appel de la C.-B. a statué que l’adoption de la disposition législative sur les circonstances aggravantes obligatoires en matière de détermination de la peine n’a pas eu l’effet d’augmenter la gravité de la peine infligée à un délinquant, même si ces circonstances sont expressément mentionnées par le juge prononçant la peine. La raison était que la disposition législative n’a fait que codifier et rendre obligatoires les circonstances aggravantes qui étaient déjà appliquées par les tribunaux sous le régime de la common law, bien avant que la modification n’entre en vigueur : [traduction] « Par conséquent, le juge n’a pas infligé une peine plus lourde en raison d’une modification au Code criminel apportée après que la [délinquante] eut commis l’infraction » (R. c. Dunkers, 2018 BCCA 363, au paragraphe. 60).
L’alinéa 11i) ne confère pas le droit de bénéficier de la « peine la moins sévère » qui était temporairement prévue entre le moment de la commission de l’infraction et le moment de la détermination de la peine. Par conséquent, lorsque l’infraction a été commise avant qu’une « peine moins sévère » soit prévue et que la peine a été déterminée après l’élimination de cette « peine moins sévère », le contrevenant ne pourrait pas bénéficier de la « peine moins sévère ». L’alinéa 11i) prévoit plutôt un droit binaire, permettant seulement la peine la moins sévère des deux : celle prévue à la date de la commission de l’infraction et celle prévue à la date de la détermination de la peine.
Il n’est pas tout à fait certain que l’alinéa 11i) s’applique lorsque le changement à la loi survient pendant que l’affaire fait l’objet d’un appel. Les cours d’appel sont divisées sur cette question. Certaines ont statué que l’alinéa 11i) s’applique seulement jusqu’au prononcé de la sentence par le juge de première instance (R. c. Luke (1994), 87 C.C.C. (3d) 121 (C.A. Ont.), autorisation de pourvoi à la Cour suprême du Canada refusée, [1994] C.S.R.C. no 299; R. c. Bishop (1994), 94 C.C.C. (3d) 97 (C.A. Alb.)); d’autres tribunaux ont maintenu que le « moment de la sentence » signifie après que tous les appels aient été entendus (R. c. Lusignan (1993), 79 C.C.C. (3d) 572 (C.A. N.-É.); R. c. Dussault, [1993] A.Q. no 1219 (C.A. Qué.) (QL); R. c. Dowd (1997), 120 C.C.C. (3d) 360 (C.A. N.-B.); R. c. Olah (1997), 115 C.C.C. (3d) 389 (C.A. Ont.), autorisation de pourvoi refusée, [1997] C.S.R.C. no 549)).
Considérations relatives à l’article premier
Lorsque l’on évalue si la restriction d’un droit prescrit par la Charte est justifiable en vertu de l’article premier, [traduction] « le cadre de référence approprié n’est pas l’ensemble du régime de la loi, mais plutôt l’aspect de la loi qui est remis en cause » (Liang, précité, au paragraphe 48). Par conséquent, si l’on entend justifier une restriction du droit prévu à l’alinéa 11i) en vertu de l’article premier, l’on devrait tenter de déterminer si « l’application rétrospective de la règle de droit en cause » est justifiable. Toutefois, « l’objectif général » des modifications en question « joue dans la raison d’être de leur application rétrospective » (K.R.J., précité, au paragraphe 62; voir aussi R.S., précité, au paragraphe 39).
À plusieurs occasions, les tribunaux ont rejeté les justifications associées à l’article premier qui étaient fondées sur l’argument selon lequel l’application rétrospective du « nouveau » régime ou du régime « modifié » serait plus efficace que ce qui était en vigueur au moment où la personne a commis l’infraction. Selon la Cour d’appel de la Colombie-Britannique, [traduction] « le simple argument voulant que le régime précédent n’était pas optimal et que le nouveau régime est préférable ne constitue pas » nécessairement une justification suffisante en vertu de l’article premier : « que le contrevenant bénéficie de la peine la moins sévère et, peut-être, d’une peine non conforme aux objectifs du régime actuel de détermination de la peine, telle est précisément la raison d’être de l’alinéa 11i)
» (Liang, précité, aux paragraphes 59 et 60; R.S., précité, au paragraphe 43).
Parmi les moyens auxquels l’on a eu recours pour justifier la restriction du droit prévu à l’alinéa 11i), l’on a notamment démontré qu’en raison de l’évolution des circonstances sociales, il avait fallu remanier une disposition existante ou en élargir la portée de manière à ce qu’elle demeure efficace. Dans l’arrêt K.R.J., l’application rétroactive du pouvoir lié aux ordonnances d’interdiction, prévu à l’alinéa 161(1)d) du Code criminel, a été jugé comme étant une restriction justifiable du droit prévu à l’alinéa 11i) en partie puisqu’il « [s’attaquait] aux nouveaux préjudices graves dont l’infliction est précipitée par l’évolution rapide du contexte sociotechnologique », lesquels n’étaient pas correctement pris en compte par la version de la mesure qui était en place au moment où le délinquant avait commis ses infractions (paragraphes 101 à 114). À titre de comparaison, en ce qui concerne la mesure prévue par l’alinéa 161(1)c) qui n’a pas été considérée comme une application rétrospective justifiable, les juges ont soutenu en majorité que « le législateur ne paraît pas donner ainsi suite à une menace nouvelle ou à quelque évolution du contexte social » (paragraphe 83). Dans l’arrêt J.D. précité, la Cour d’appel de l’Ontario a rejeté l’affirmation selon laquelle l’application rétrospective des pouvoirs liés aux ordonnances d’interdiction prévus aux alinéas 161(1)a) et b) était justifiée au regard de l’article premier, car cette mesure ne comble pas un vide juridique que le législateur n’aurait pas pu prévoir et il n’existe aucune raison d’ordre temporel dans le dossier législatif pour conférer un caractère rétrospectif à ces dispositions.
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