Article 18 – Documents parlementaires et de la législature du Nouveau-Brunswick

Dispositions

Documents parlementaires

18. (1) Les lois, les archives, les comptes rendus et les procès-verbaux du Parlement sont imprimés et publiés en français et en anglais, les deux versions des lois ayant également force de loi et celles des autres documents ayant même valeur.

Documents de la Législature du Nouveau-Brunswick

(2) Les lois, les archives, les comptes rendus et les procès-verbaux de la Législature du Nouveau-Brunswick sont imprimés et publiés en français et en anglais, les deux versions des lois ayant également force de loi et celles des autres documents ayant même valeur.

Dispositions semblables

Des dispositions constitutionnelles presque identiques s'appliquent aux législatures du Québec et du Manitoba en vertu de l'article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867 et l'article 23 de la Loi de 1870 sur le Manitoba, respectivement. Voir également les articles 5, 6 et 7 de la Loi sur les langues officielles de 1988.

Objet

L'objet de l'article 23 de la Loi de 1870 sur le Manitoba et de l'article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867 est d'assurer aux francophones et aux anglophones l'accès égal aux corps législatifs, aux lois et aux tribunaux (Renvoi relatif aux droits linguistiques au Manitoba 1985, au para. 31). Le paragraphe 18(1) de la Charte est au même effet et partage donc le même objet.

Dans May, para. 59-60, le juge J.N. Le Grandeur de la Cour provinciale de l’Alberta a indiqué que l’article 18 de la Charte prévoit que les versions française et anglaise des lois fédérales et du Nouveau-Brunswick ont également force de loi. Ce principe de l’égale valeur a été formulé pour la première fois en 1891 par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Canadian Pacific Railway c. Robinson (1891), 19 R.C.S. 292 (C.S.C.), à la p. 325, où le juge Taschereau examinant les dispositions du Code civil du Québec indique ce qui suit :

[Traduction] Je suppose que le fait que la disposition ait d'abord été rédigée en français ou en anglais n'a aucune importance… En cas d'ambiguïté, lorsqu'il n'est pas possible de concilier les deux versions, il faut en interpréter une à la lumière de l'autre. La version anglaise ne peut être considérée seule. Elle a été présentée à l'assemblée législative, adoptée et sanctionnée simultanément avec la version française, et elle énonce le droit applicable tout comme la version française le fait.

Analyse

A) La portée du droit

1) La portée de l’expression « lois » au paragraphe 18(1) de la Charte

Le paragraphe 18(1) de la Charte s'applique également au processus d'adoption des lois par le Parlement, du dépôt du projet de loi jusqu'aux étapes de la troisième lecture et de la sanction.

Reflétant l’interprétation qu’en ont donnée les tribunaux, le paragraphe 18(1) de la Charte réitère l'obligation prévue à l'article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867 en ce que les archives, les comptes rendus et les procès-verbaux du Parlement doivent être rédigés en français et en anglais et les lois doivent être imprimées et publiées dans les deux langues officielles. Le paragraphe 18(1) de la Charte vise aussi la rédaction de documents, notamment le Feuilleton et les avis qui font état des travaux des Chambres du Parlement.

De l’arrêt Blaikie no 1 rendu en 1979 et tel que l’a confirmé la Cour suprême du Canada en 1985 dans le Renvoi relatif aux droits linguistiques au Manitoba, 1985, aux paras. 124, 125, 127 et 128, nous retenons d’abord ceci :

Dans l’arrêt Blaikie no 2, à la p. 320, la Cour suprême du Canada a étendu la portée de sa décision antérieure en statuant que les exigences de l’article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867 s’appliquent aux textes de nature législative qui sont pris par le gouvernement, ou par un ou plusieurs ministres ou avec leur agrément.

2) La législation subordonnée : les « textes de nature législative »

Le paragraphe 18(1) de la Charte vise également la procédure d'adoption de la législation subordonnée, par exemple les règlements et les décrets à caractère législatif, adoptée par le Parlement ou soumise à son approbation, ainsi que les règles de pratique des tribunaux. Il ne s'applique ni aux règles ou directives de régie interne, ni aux règlements d'organismes municipaux ou scolaires (Renvoi relatif aux droits linguistiques au Manitoba 1985; Blaikie no 2, aux pp. 322-325).

Sans tenter de proposer un critère à toute épreuve, la Cour suprême du Canada a indiqué dans le Renvoi relatif aux droits linguistiques au Manitoba 1992, aux pp. 213 et 233, que les règlements, les décrets et les autres textes de nature législative doivent être rédigés dans les deux langues s'ils constituent des textes législatifs dans leur forme, leur contenu et leur effet. Elle a précisé toutefois que ces critères ne s'appliquent pas de façon cumulative. On pourrait déterminer qu'un texte est de caractère législatif du point de vue de la forme, mais pas du point de vue du contenu, et déterminer néanmoins en vertu des critères que ce texte est de nature législative.

En ce qui a trait à la forme, un lien suffisant entre l’Assemblée législative et le texte indique qu’il est de nature législative. Ce lien est établi lorsque le texte est adopté, en vertu d'une loi, par le gouvernement, ou assujetti à l'approbation du gouvernement.

À l'égard du contenu et de l'effet, les éléments suivants indiquent la nature législative : le texte fixe une règle de conduite, le texte a force de loi et le texte s’applique à un nombre indéterminé de personnes plutôt que de viser des personnes ou des situations précises. Tout en reconnaissant que des zones grises se dessineront lorsque l'application du critère général n'apporte pas de réponse claire, la Cour précise qu'il serait « sage pour les assemblées législatives, en cas de doute, de trancher en faveur du droit prévu par la Constitution.» (Renvoi relatif aux droits linguistiques au Manitoba 1992, à la p. 225).

Les décrets autorisant un ministre ou une société d'État à conclure un contrat ne seraient pas soumis aux exigences constitutionnelles, mais la situation peut être différente lorsque le contrat est conclu en vertu de la loi et remplace essentiellement l'adoption d'un règlement.

Les décrets qui autorisent le versement de subventions à des municipalités ou qui touchent les droits ou les responsabilités d'une ou de plusieurs personnes déterminées ne relèvent pas de l'article 23 de la Loi de 1870 sur le Manitoba.

Échappent également à cette règle les nominations précises de personnes au sein de la fonction publique et des sociétés d'État, de même que les nominations des juges et des membres de tribunaux quasi-judiciaires.

Toutefois, le type de décret qui a autorisé la mise sur pied de la Commission d'enquête sur l'administration de la Justice et les autochtones du Manitoba créait de vastes pouvoirs qui « de toute évidence, déterminaient des droits et des responsabilités du public manitobain ». Ce genre de décret est visé par les exigences de l'article 23 de la Loi de 1870 sur le Manitoba.

Les contrats et les annexes qui peuvent être joints aux décrets seront rarement assujettis à l'article 23 de la Loi de 1870 sur le Manitoba, puisque les actes auxquels ils sont joints n'y sont pas assujettis, dans la plupart des cas (Renvoi relatif aux droits linguistiques au Manitoba 1992, aux pp. 226-227).

Dans l’affaire Sinclair, à la p. 588, entendue au même moment que l'audition spéciale du Renvoi relatif aux droits linguistiques au Manitoba, la Cour suprême du Canada a statué que les décrets, les lettres patentes et les autres textes établis en vertu d’une loi du Québec ayant pour objet la fusion des villes de Rouyn et de Noranda sont assujettis aux exigences de l'article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867. Si l'effet d'une série d'actes distincts est de nature législative, chacun de ces actes est alors également imprégné de la même nature. En l’espèce, tous les textes en question faisaient partie « d'un processus qui, dans son ensemble, est indubitablement législatif. » La Cour a conclu qu’il n’est pas possible de se soustraire aux exigences de l'article 133 au moyen de la fragmentation artificieuse du processus législatif en une série d'étapes distinctes, pour ensuite prétendre que chaque étape, étudiée séparément, n'est pas de nature législative.

Tous les décrets fédéraux sont pris en français et en anglais depuis le milieu des années 1970.

3) Les documents incorporés par renvoi

Visant à assurer aux francophones et aux anglophones l’accès égal aux lois du Canada et à protéger les minorités de langue officielle, les dispositions constitutionnelles et quasi-constitutionnelles ici mentionnées s’appliquent, dans certaines circonstances, au document incorporé par renvoi à un texte législatif. L’application de ces exigences à l’incorporation par renvoi a pour fin d’empêcher que le recours à cette technique de rédaction ne serve à contourner les exigences linguistiques ou n’ait pour effet de soustraire le document à ces exigences. L’application de celles-ci aux documents incorporés par renvoi est toutefois quelque peu complexe (Renvoi relatif aux droits linguistiques au Manitoba 1992, à la p. 229; Beaulac, au para. 25).

Dans le Renvoi relatif aux droits linguistiques du Manitoba de 1992, la Cour suprême du Canada a d’abord conclu que le document véritablement incorporé par renvoi dans un texte législatif (une loi ou un règlement), et qui ne fait pas uniquement l’objet d’un simple renvoi, fait partie intégrante du texte comme s’il y était reproduit, de sorte que, à moins d’une raison légitime justifiant l’incorporation sans traduction (bona fide test), le document est assujetti aux exigences constitutionnelles en matière linguistique (Collier, à la p. 562). La Cour a ensuite affirmé qu’avant de conclure à l’existence d’une raison légitime justifiant l’incorporation d’un document sans traduction, « il faut examiner l'origine du document et le but de son incorporation. »

En ce qui a trait à l’origine du document, il y a lieu de distinguer les documents produits par la même autorité législative (document interne) de ceux produits par un autre organisme (document externe). Pour savoir si un document est produit à l’interne, il faut analyser le lien qui le lie à l’autorité dont il émane. Si le lien est suffisamment étroit, on peut conclure que le document a été produit par elle. Ce serait le cas, par exemple, du document produit par l’organe même qui adopte le texte législatif auquel il est incorporé par renvoi ou celui dont la prise d'effet est subordonnée à l'approbation d’un ministre ou de la législature.

Dans le cas du document produit par l’autorité réglementaire, il sera très difficile de justifier son incorporation dans une seule langue. Tel que l’a déclaré la Cour suprême du Canada, « une assemblée législative pourra rarement justifier l'incorporation sans traduction d'un document qu'elle a elle-même produit » (Renvoi relatif aux droits linguistiques au Manitoba 1992, à la p. 229). Par conséquent, ce document devra presque toujours exister dans les deux langues officielles lors de la prise du règlement qui l’incorpore. L’incorporation dans une seule langue sera rarement justifiée parce qu’on supposera qu’il s’agit d’une tentative de faire échec aux exigences linguistiques prévues par la Constitution (ou par la Charte ou la Loi sur les langues officielles). Dans le cas d’un document produit par un organe autre que l’organisme législatif (document externe), la question s’avère plus complexe.

Dans le Renvoi relatif aux droits linguistiques au Manitoba 1992, à la p. 231, la Cour suprême du Canada a décrit quelques cas où l’incorporation sans traduction serait « vraisemblablement » légitime. Par exemple, l’incorporation d’un texte unilingue émanant d’une autre autorité législative pourrait être justifiée afin de permettre la collaboration entre différents ressorts sur des questions spécifiques. La Cour ajoute que la volonté de s’en remettre à l’expertise technique d’un organisme privé constituera généralement une raison légitime. Dans ce cas, la traduction du document sera à peu près impossible s’il est modifié souvent par l'organisme. Exiger une traduction dans de tels cas enlèverait tout intérêt à l’incorporation par renvoi. Enfin, dans certaines situations, la traduction ne saurait garantir l’accessibilité de documents qui, en pratique, sont déjà inaccessibles à la majorité des citoyens en raison de leur nature technique.

Dans sa décision de 2019 intitulée Motard c. Canada (P. G.), la Cour d’appel du Québec a confirmé la décision de la Cour supérieure du Québec, rendue en 2016. Quant à elle, la Cour suprême du Canada a rejeté la demande d’autorisation d’appel de cette décision le 23 avril 2020. Dans cette affaire, il est question de la légalité de la Loi de 2013 sur la succession au trône (Loi canadienne de 2013). Cette loi donne assentiment aux modifications apportées à la loi concernant la succession au trône, énoncées dans le projet de loi déposé devant le Parlement du Royaume-Uni et intitulé A Bill to Make succession to the Crown not depend on gender; to make provision about Royal Marriages; and for connected purposes (Loi britannique de 2013). Une des questions en appel était de savoir si la Loi canadienne de 2013 enfreint l’article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867 et le para. 18 (1) de la Loi constitutionnelle de 1982. La Cour d’appel du Québec a confirmé que la Loi britannique de 2013 n’était pas incorporée en droit canadien (elle n’était donc pas incorporée par renvoi). Quant à la Loi canadienne de 2013, elle a été adoptée par le Parlement canadien simultanément en français et en anglais, conformément à l’art. 133 de la Loi constitutionnelle de 1867 et au paragraphe 18(1) de la Loi constitutionnelle de 1982. De plus, la Cour d’appel rappelle qu’une version française du projet de loi du Parlement du Royaume-Uni, établie par le ministère de la Justice du Canada à titre d’information, a été déposée devant la Chambre des communes lors de la présentation du projet de loi fédéral.

En fait, pour rendre l'incorporation légitime, les avantages de l’incorporation unilingue doivent l’emporter sur l'atteinte portée au principe de l’égalité de l’accès aux lois et à l’objectif visant à maintenir et à favoriser le développement des communautés de langue officielle au Canada. Par conséquent, plus le texte est long, technique et susceptible de fréquentes modifications, plus son incorporation sans traduction sera facile à justifier.

À noter toutefois que le recours à l’incorporation par renvoi pour établir la quasi-totalité de toutes les exigences réglementaires (l’incorporation dite « en bloc ») pourrait contrevenir au principe de la raison légitime. Selon la Cour suprême du Canada, en effet, « si une assemblée législative incorporait en bloc la législation d'un autre ressort qu'elle pourrait aussi facilement adopter elle-même, cette mesure, de toute évidence, ne satisferait pas au critère de la raison légitime » (Renvoi relatif aux droits linguistiques au Manitoba 1992, aux pp. 229-230). Enfin, il convient de préciser que si le document incorporé ne répond pas aux exigences linguistiques constitutionnelles, la disposition opérant l'incorporation est sans effet.

Le poids à accorder à ces facteurs peut varier selon les circonstances.

4) La portée particulière de l’expression « lois de la législature » au paragraphe 18(2) de la Charte

L’expression « lois de la Législature » utilisée au paragraphe 18(2) de la Charte comprend-t-elle les arrêtés municipaux? En interprétant le par. 18(2) en fonction de son object et de façon compatible avec le maintien et l’épanouissement des collectivités de langues officielles, la Cour d’appel du Nouveau-Brunswick estime qu’il y a lieu d’élargir le sens du terme « lois » utilisé au par.18(2) de sorte qu’il englobe les arrêtés municipaux. Selon la Cour, toute autre interprétation ferait échec aux objectifs réparateurs de ce droit linguistique et serait incompatible avec une interprétation large et dynamique fondée sur l’objet de ce droit (Moncton, aux paras. 95, 96 et 110).

La décision de 2001 dans l’affaire Moncton a été rendue avant l’adoption de la Loi sur les langues officielles du Nouveau-Brunswick en 2002 et, surtout, statuait sur une contestation des arrêtés unilingues de la ville de Moncton fondée sur les paras. 16(2) et 18(2) de la Charte. La Charte n’a pas été invoquée devant la Cour pour contester la Loi sur les langues officielles, qui dicte à la Ville de Riverview ses pratiques en matière de publication d’arrêtés (Riverview, au para. 33).

Liste de la jurisprudence :