Gérer les difficultés de contact : une approche axée sur l'enfant
2003-FCY-5F
2.0 Questions fondamentales au sujet des difficultés de contact
En puisant à la documentation et aux idées des informateurs clés, nous avons cerné certains enjeux fondamentaux qui influent sur la naissance des difficultés de contact dans la famille après le divorce. Ceux‑ci sont décrits dans la section suivante. Nous situerons d'abord le contexte historique des difficultés de contact décrites dans la documentation, puis nous décrirons comment le contact avec les parents profite ou nuit aux enfants ainsi que le point de vue de ces derniers au sujet de ces difficultés. À partir de cette base, nous examinerons les facteurs qui contribuent aux difficultés de contact, la prévalence de celles-ci, la pertinence du concept du syndrome d'aliénation parentale (SAP) et l'existence d'éléments probants qui appuient le concept d'aliénation. Suit un examen des principales formulations des difficultés de contact.
2.1 Difficultés de contact dans la documentation
La première mention des difficultés de contact enfant-parents dans la documentation semble être attribuée à Reich, dont des écrits remontant à 1949 traitent de parents qui cherchaient à se venger de leur conjoint en le privant du plaisir du contact avec leurs enfants (Warshak, 2000a). En 1980, Wallerstein et Kelly ont parlé de difficultés de contact en décrivant la douleur émotionnelle des pères au moment des transferts. Elles ont supposé que ce facteur contribuait à la disparition des pères de la vie des enfants. En 1985, Gardner a introduit le terme « syndrome d'aliénation parentale »
en décrivant les difficultés de contact comme des situations « ... où la programmation parentale est combinée avec des scénarios d'enfant visant à dénigrer le parent censément haï »
(1992 : 62). Depuis la mention du
syndrome d'aliénation parentale par Gardner en 1985, une documentation de plus en plus abondante, sur ce concept et son utilité pour comprendre les difficultés de contact, est apparue dans la documentation sur le divorce et dans les médias[4]. Les termes « aliénation parentale »
et « syndrome d'aliénation parentale »
sont souvent utilisés de manière interchangeable.
Concurremment aux écrits de Gardner au sujet de l'aliénation, Johnston et d'autres chercheurs se sont concentrés sur la façon dont le conflit parental constant influe sur l'adaptation d'un enfant dans la famille après le divorce (Baris et al., 2001; Gold, 1992; Johnston, sous presse; Johnston, 1993; Johnston et Campbell, 1988 Johnston et Roseby, 1997). En nous fondant sur les travaux d'Ahrons (1981) concernant les relations entre les parents, nous avons compris qu'il y a entre eux divers degrés de conflit après le divorce. Les difficultés découlant des changements dans la famille influent sur la qualité de ces relations. Les décisions entourant le régime de garde, et notamment le calendrier résidentiel de l'enfant, peuvent être source de conflits pour les parents (Johnston et Campbell, 1988) et contribuer à l'aliénation enfant‑parent. L'expérience clinique nous enseigne qu'il y a aussi un continuum dans les relations enfant‑parent, variant de très étroites à inexistantes.
2.2 Contact enfant‑parents
2.2.1 Le contact est‑il bénéfique pour les enfants?
Étant donné la diversité des situations familiales, aucune conclusion définitive n'a pu être tirée de la documentation quant aux avantages des contacts. Les enfants se plaisent à répéter que le conflit parental constant nuit à leurs relations avec l'un ou l'autre parent ou avec les deux (Familles en transition, 1998; Freeman et Freeman, 2001; Lyon et al., 1998; Pruett et Pruett, 1999; Smart et Neal, 2000; Smith et Gollop, 2001; Sturge et Glaser, 2000). Smart et Neal (2000) ont examiné les idées des enfants sur le divorce parental. Dans leur étude très révélatrice, les enfants soulignent que la qualité de leur relation avec les parents et le style parental étaient plus importants que les modalités réelles des contacts (à notre avis, cela mérite plus de recherche). Les auteurs concluent que les enfants veulent des parents qui s'occupent d'eux, qui leur parlent, qui les protègent contre les conflits et qui sont souples en ce qui concerne les modalités des contacts.
Selon Wallerstein (1985 : 43), « pour les enfants, l'importance émotionnelle des relations avec les deux parents ne diminue pas après le divorce »
. Cependant, comme le signale Hewitt (1996), dans certaines familles divorcées, le contact de l'enfant avec les parents semble devenir la question prépondérante. Le règlement des problèmes de contact dépasse souvent le principe de l'intérêt supérieur de l'enfant. Hawthorne et al. (2002) ont examiné des études sur les points de vue des enfants au sujet des changements familiaux. Ils signalent qu'un thème important dans les données recueillies auprès des enfants est leur détresse de perdre le contact quotidien du parent qui part. Selon leur étude, les enfants qui avaient conservé de bonnes relations avec les deux parents indiquaient qu'ils se débrouillaient bien, contrairement à ceux dont les
bonnes relations ne s'étaient pas maintenues. Hawthorne et al. avancent que la nature de la relation enfant-parents est un facteur prévisionnel essentiel du mieux‑être à long terme. Pour les enfants, le contact signifie la continuité d'une relation affectueuse, un moyen de partager des connaissances et de l'information, des modèles appropriés de comportement, la stabilité, une expérience enrichie de la vie familiale, la protection et une estime de soi rehaussée ainsi que des occasions de redresser des relations problématiques et de vérifier leur perception de la réalité (Hewitt, 1996; Sturge et Glaser, 2000).
Par ailleurs, le contact continu peut ne pas être toujours conforme à l'intérêt supérieur de l'enfant. C'est le cas si le parent non résidentiel est peu fiable, si l'enfant est continuellement exposé au conflit et à l'hostilité parentale, s'il est maltraité et s'il y a lutte de pouvoir continuelle entre les parents. Les défenseurs des droits des femmes ont aussi indiqué que le contact continu entre les enfants et les parents non résidentiels peut compromettre la sécurité des victimes de la violence faite aux femmes et celle des enfants témoins (Landau, 1995).
2.2.2 Qu'est‑ce qui influe sur les contacts enfant‑parents?
Les variables liées aux enfants, qui influent sur les contacts, sont l'âge et le stade de développement de l'enfant au moment de la séparation et la mesure où celui-ci perçoit le contact comme un obstacle à ses activités et habitudes (Smart, 2002). Les variables liées aux parents comprennent la nature et l'ampleur de leur relation avant la séparation, leur capacité à régler les problèmes de perte et de tristesse, l'alcoolisme et la toxicomanie, le degré d'intérêt pour l'enfant, les problèmes de santé mentale, la classe sociale, le revenu et la situation d'emploi du père (Simpson et al., 1995). Les variables situationnelles comprennent le degré d'accord dans la décision de se séparer, la nature et l'histoire de l'union (au regard de l'état civil) avant la séparation, la durée de celle-ci, la capacité à régler les conflits, la situation géographique, le déménagement, la présence d'un nouveau conjoint, les litiges ainsi que l'influence de la famille élargie et des amis.
Dans cette constellation d'éléments, les conflits non réglés entre les parents sont souvent signalés comme un facteur essentiel, notamment lorsque le conflit porte sur les soins à donner à l'enfant. Selon Hawthorne et al. (2002), lorsque tel est le cas, le risque d'étiolement de la relation enfant-parents augmente. Smith et Gollop (2001 : 23) notent que « ... le conflit avant, pendant et après la séparation exacerbera probablement les problèmes... et que la qualité des contacts, plutôt que la quantité, est le facteur le plus important »
(voir aussi Baris et al., 2001; Hawthorne et al., 2002; Johnston et Campbell, 1988; Johnston et Roseby, 1997; Pryor et Rodgers, 2001). Malgré cela, comme l'affirme Hewitt (1996 : 370) « Dans les domaines clinique et judiciaire, on se heurte à des gens qui semblent plus obsédés par la
quantité et par l'organisation des contacts que par leur qualité »
.
King et Heard (1999 : 393) ont fouillé la relation entre le mieux‑être des enfants et la satisfaction de la mère face au contact, le conflit parental au sujet du contact et la qualité de celui-ci. Ils notent que le contact d'un enfant avec un parent non résidentiel est « ... lié aux niveaux de satisfaction et de conflit, mais non d'une manière simple ou linéaire »
. Ils signalent que, même s'il y a conflit entre les parents, la satisfaction des mères quant au contact peut tout de même être grande. Cependant, il existe « ... un sous‑groupe de mères qui sont satisfaites lorsque les pères sont essentiellement absents. En fait, il y a toutes sortes de familles qui diffèrent considérablement du point de vue de la démographie et des processus »
(King et Heard, 1999 : 394). Dans l'échantillon de ces deux auteurs, les enfants qui
présentaient la situation la plus inquiétante étaient les 10 % dont les mères étaient insatisfaites des contacts.
Il faut s'attendre à un conflit quelconque entre les parents, qu'ils vivent ensemble ou non. Il peut être profitable aux enfants d'être témoins d'une bonne résolution des conflits et du règlement de leurs différends par les parents.
2.3 Quel est le point de vue de l'enfant au sujet des contacts?
Dans notre pratique clinique, nous observons que les enfants se sentent piégés dans le drame qui oppose leurs parents. Il y a des conflits de loyauté. Wallerstein et Kelly (1985 : 77) affirment que les enfants observés dans leurs études « ... risquaient particulièrement de se voir emporter par la colère d'un parent contre l'autre. Ils étaient des alliés loyaux et utiles dans les efforts pour faire tort à l'autre parent. Assez souvent, ils s'en prenaient au parent qu'ils avaient aimé et avec qui ils avaient eu une relation étroite avant la séparation »
. La recherche de Smith et Gollop (2001 : 29) montre que « ... les enfants sont réellement des acteurs sociaux compétents qui réfléchissent et élaborent leurs propres idées et stratégies pour survivre en milieu familial après la séparation de leurs parents... il vaut la peine
d'écouter leur point de vue »
.
Dans l'optique de l'enfant, les contacts deviennent « ... le transfert d'une relation en une obligation planifiée »
(Nicholson, 2002a : 4). Le conflit constant entre les parents est un problème pour les enfants qui peuvent déceler le rapport entre le conflit et la relation (Freeman et Freeman, 2001). L'influence parentale explique seulement certaines réactions des enfants. Selon la conclusion de Racusin et al. (1994 : 800), les enfants qui refusent de passer du temps avec un parent non résidentiel connaissent « ... un éventail de problèmes qui déborde ceux liés directement au fait de ne pas visiter leur parent qui n'a pas la garde »
. La résistance de l'enfant (c.‑à‑d. la crainte ou le fait qu'il n'aime pas un parent, des antécédents de mauvais traitements) peut être justifiée. Sa réaction peut être
influencée par son stade de développement. Elle peut représenter une importante stratégie de survie pour l'enfant qui tente de faire face aux changements dans sa famille, de s'assurer de l'affection continue d'un parent ou de réaliser un fantasme de réconciliation en manipulant les situations afin de tenter de réunir ses parents. Les enfants qui connaissent des difficultés de contact peuvent ne plus savoir lequel des deux parents croire (Johnston, 1993; Lewis et Sammons, 1999; McDonough et Bartha, 1999; Warshak, 2002).
...Je ne veux pas aller voir papa toutes les deux fins de semaine. Ce n'est pas que je ne l'aime pas : nous n'aimons pas les mêmes choses... En vieillissant, j'ai compris qu'ils pouvaient me forcer à aller le voir, mais qu'ils ne pouvaient m'obliger à collaborer (enfant cité par Lewis et Sammons, 1999 : 236).
2.4 Difficultés de contact et aliénation
L'établissement de bonnes relations qui sont utiles aux enfants après un divorce est un défi pour la plupart des familles. Kelly (2000) indique que les propos des mères et des pères au sujet des contacts diffèrent souvent, d'où la difficulté accrue de bien saisir la nature des difficultés éprouvées. De plus, ce que Wallerstein (1985) décrit comme la relation de visite ne correspond à rien dans les familles où les parents cohabitent. Elle estime qu'on ne reconnaît pas suffisamment les difficultés inhérentes à la création de bonnes relations et d'un soutien pour les enfants et les parents après le divorce.
Nicholson (2002a) avance que le point de vue des intervenants influe sur la définition des difficultés de contact. Par exemple, un parent peut qualifier ces difficultés d'empiètement sur sa liberté d'éduquer son enfant à sa guise. L'autre parent peut se sentir privé d'un contact assez fréquent avec son enfant et faire appel aux tribunaux pour améliorer sa relation avec lui par des contacts accrus. Citant Rhoades, Nicholson (2002a : 21) affirme ce qui suit : « bien des litiges touchant l'exécution tiennent à des questions de relation plutôt que de contact »
.
Les difficultés de contact dans les relations enfant-parents englobent une vaste gamme de réactions d'enfants et de comportements de parents (voir 2.4.1 et 2.4.5). Il est improbable que l'on puisse en attribuer la cause à une seule variable.
Au cours des années 1990, une abondante documentation est apparue au sujet des difficultés de contact, axée principalement sur un aspect, soit l'aliénation selon la définition de Gardner (1992). Les reportages médiatiques avaient tendance à exploiter les difficultés de contact les plus dramatiques et les plus graves entre parents et enfants. Les lecteurs ont souvent l'impression que la plupart des familles qui divorcent se heurtent à des difficultés de contact, et notamment à l'aliénation.
2.4.1 Comment les enfants réagissent‑ils?
Lorsqu'il y a difficulté de contact, les réactions des enfants varient, allant de l'agression au retrait et à la dépression. Les enfants peuvent sembler inquiets, hésiter à exprimer de l'affection et connaître certaines difficultés à l'école et dans leurs relations avec leurs camarades. Les plus vieux peuvent être plus rebelles et, parfois, faire abus d'intoxicants (Stahl, 2000). Certains enfants éprouvent une douleur affective, semblent très seuls, n'ont plus de lien avec un parent et ont une vue faussée de la réalité (Gould, 1998).
Racusin et al. (1994 : 799) indiquent que les enfants qui refusaient de passer du temps avec un parent non résidentiel avaient tendance à être les plus âgés ou les enfants les plus âgés et vivant toujours à la maison. Ce groupe d'enfants était aussi plus susceptible d'avoir « ... au moins un parent qui avait des problèmes fonctionnels significatifs ou une psychopathologie »
. Dans leur échantillon, les filles étaient plus susceptibles que les garçons d'être « réfractaires »
. Selon les données de Smart et Neal (2000 : 167), les enfants invités à passer du temps avec un parent qui faisait preuve de peu d'intérêt pour eux trouvaient des moyens de réduire la durée des contacts.
La réaction de l'enfant ne reflète pas toujours fidèlement ses pensées et ses sentiments au sujet de ses parents. Par exemple, certains participants à la consultation des jeunes au sujet de la Loi sur le divorce ont déclaré avoir dit aux parents, aux travailleurs sociaux ou aux avocats ce que ces personnes voulaient entendre, à leur avis (Freeman et Freeman, 2001). Wallerstein et Kelly (1985) signalent que les conflits de loyauté sont une caractéristique particulière aux enfants d'âge scolaire.
Certains enfants semblent être capables de résister à l'aliénation des parents quelle que soit l'intensité de la campagne de dénigrement (Warshak, 2002). Cependant, le refus d'un enfant à passer du temps avec un parent non résidentiel après le divorce peut aussi représenter « ... un extrême dans le continuum de ses tentatives pour survivre aux conséquences de la perturbation familiale »
(Racusin et al., 1994 : 793). Les enfants peuvent exprimer ouvertement leur haine ou leur aversion pour un parent. D'autres peuvent refuser de lui parler ou de passer du temps avec lui. Leur haine contre le parent rejeté peut être implacable. Selon Thayer et Zimmerman (2001), les enfants ne font preuve d'aucune culpabilité ni bouleversement, ou presque, face à ces comportements. Leurs explications semblent répétitives et peuvent avoir l'air toutes faites. Leurs croyances
semblent s'imbriquer avec celles du parent avec qui ils vivent. Les enfants décrivent les événements d'une façon restreinte et absolue et, souvent, ils connaissent bien toutes les « affaires du parent »
et répètent cette information. Ney et Blank (en préparation : 3) signalent le dilemme pour l'enfant de la manière suivante : « l'enfant est la seule personne dont on attend qu'elle puisse dépasser le conflit, demeurer neutre et tolérer les tensions, mais c'est lui qui est le moins capable de le faire »
.
Williams (1990) conclut que les pires situations sont celles où un parent abandonne l'enfant. En pareil cas, celui-ci peut devenir déprimé et même suicidaire. L'estime de soi est affaiblie et le manque de confiance peut s'installer. Cela peut susciter des difficultés à nouer des relations d'adulte parce que l'enfant a des occasions limitées de connaître des modèles de relations saines, ce qui est un thème noté par Wallerstein et al. (2000).
2.4.2 Qu'est‑ce que l'aliénation parentale?
Gardner a introduit les termes « aliénation parentale »
et « syndrome d'aliénation parentale »
en 1985 pour décrire la tendance à la programmation et au lavage de cerveau. En 1992, il a avancé que, lorsqu'il y a SAP, le parent aliénant, généralement la mère résidentielle, s'engage dans une campagne active mais non justifiée de dénigrement de l'autre parent, souvent le père non résidentiel, appelé « parent ciblé »
. Sa définition se fonde principalement sur les comportements ou les caractéristiques du parent aliénant. Il a souligné que « ... le terme vaut seulement lorsque le parent n'a absolument pas fait preuve du degré de comportement aliénant qui pourrait justifier la campagne de dénigrement que déploie l'enfant »
(Gardner, 1992 : xviii). Cette
tendance de comportement contribue aux difficultés de contact.
Gardner signale aussi que l'on confond souvent SAP et mauvais traitements réels et que ces deux phénomènes se manifestent différemment. Cependant, selon lui, les deux manifestations font intervenir une personne qui provoque une perturbation psychique chez une personne plus influençable. En 1992, il a déclaré que le SAP est un excellent exemple de folie à deux (voir le glossaire).
2.4.3 Jusqu'à quel point l'aliénation est‑elle répandue?
Dans la documentation professionnelle et populaire, le débat actuel entourant les relations des enfants dans la famille après le divorce porte souvent sur le sous‑groupe des enfants qui connaissent des difficultés de contact. Le conflit est présent dans de nombreux divorces où il y a des enfants. Sa gravité varie bien que le conflit extrême du continuum représente un petit sous‑groupe de divorcés. Les estimations de la taille de ce groupe de familles varient de 10 % (King et Heard, 1999; Rybicki, 2001) à 20 % (Ahrons, 1994; Hetherington, 1989; Johnston et Campbell, 1988; Maccoby et Mnookin, 1992). Il faut cependant noter que le conflit n'est pas nécessairement prédictif de difficultés de contact.
Pour l'instant, dans la population divorçante, nous pouvons seulement estimer la prévalence de comportements aliénants par lesquels un parent tente de manipuler l'enfant afin qu'il s'oppose à l'autre parent. La majorité des informateurs clés croient qu'il y a eu augmentation du nombre de cas où les comportements aliénants sont un facteur. Le sous‑groupe qui a de tels comportements a été estimé à 2 %, tout au plus, du sous‑groupe à conflits graves, soit une proportion relativement faible des couples qui divorcent. Dans nombre de ces couples, il peut y avoir, chez l'un ou l'autre des parents ou chez les deux, des comportements inoffensifs qui peuvent saper ou entraver la relation enfant‑parent, selon les circonstances.
La plupart des informateurs clés étaient d'avis qu'un nombre croissant de cas étaient signalés aux spécialistes en santé mentale et au système judiciaire. Il n'était pas clair si cette augmentation apparente reflétait une incidence plus élevée du problème ou si l'on accordait plus d'attention à cette question, combinée à une meilleure capacité diagnostique chez les spécialistes. Certains informateurs ont avancé que la diffusion de l'information sur l'Internet et par divers groupes de pression ont mieux fait comprendre le système judiciaire, ce qui amènerait un plus grand nombre de parents à demander de l'aide en situation de contact difficile. Les informateurs étaient d'avis que la prévalence croissante de l'aliénation pourrait aussi refléter l'accent plus marqué mis dans la plupart des pays à décerner et à exécuter des ordonnances de soutien de l'enfant ainsi qu'à recouvrer les arrérages.
Les informateurs clés considèrent que les médias ont joué un rôle central dans le débat au sujet de termes comme « l'aliénation parentale »
. Les médias écrits décrivent souvent des situations dramatiques et des points de vue polarisés. On a fréquemment l'impression que ces situations sont celles de la majorité des familles divorçantes. Plusieurs informateurs clés croient que, souvent, le parent séparé ne comprend pas la complexité des enjeux, est frustré par la situation et par le système et veut simplement qu'on « lui produise l'enfant »
.
2.4.4 Quelle est la relation entre les difficultés de contact et l'aliénation?
Comme le notent Garrity et Baris (1994), les relations difficiles peuvent s'installer longtemps avant la séparation. Cliniciens et chercheurs qualifient souvent les difficultés de contact de cas d'aliénation parentale ou de syndrome d'aliénation parentale. L'utilisation du terme aliénation parentale par les médias a amené les parents à appeler aliénation parentale une vaste gamme de difficultés de contact. L'annexe B énumère les définitions relevées dans la documentation pour l'aliénation parentale et pour le syndrome d'aliénation parentale. Le présent résumé illustre la variété des définitions et le fait que les auteurs ne distinguent pas clairement ces deux notions. Les spécialistes semblent utiliser ces termes dans les situations plus extrêmes de comportements aliénants. Dans nos pratiques cliniques, nous les appliquons à une gamme de comportements.
2.4.5 Autres variables liées à l'aliénation
Les comportements comprenant une tendance à l'aliénation sont subtils et le parent peut ne pas être conscient de leur incidence sur l'enfant. Dans des cas extrêmes, les comportements aliénants sont plus évidents. Plusieurs informateurs clés ont souligné qu'une tendance à l'aliénation intervient parfois lorsqu'un parent réagit au compte rendu d'un enfant au sujet d'une situation ou d'une conversation avec l'autre parent. Ils ont fait état du rôle important que joue le tempérament de l'enfant dans de telles situations. D'autres ont signalé que l'enfant perçoit les commentaires et critiques au sujet d'un parent comme une critique à son endroit. Il peut se sentir responsable du comportement parental en question. Plusieurs informateurs estiment que le thème sous‑jacent de ces affaires est la tentative de prouver qui est le meilleur parent. Les informateurs clés s'entendaient pour dire que les comportements aliénants sont toujours néfastes pour les enfants.
Plusieurs informateurs ont affirmé que, lorsqu'il y a aliénation, les compétences parentales des deux parents sont mises en péril. Dans d'autres situations, les parents pouvaient fournir des soins tout juste satisfaisants lorsqu'ils vivaient ensemble mais, une fois seuls, leur capacité parentale est inadéquate.
Selon les chercheurs, les parents qui ont des comportements aliénants présentent souvent des comportements de types multiples. Selon McDonough et Bartha (1999), l'effet cumulatif des comportements aliénants nuit à la relation de l'enfant avec ses parents. Voici quelques-uns de ces comportements :
- souffrir de dépendance (à l'égard de l'ancien conjoint, du nouveau ou de l'enfant);
- manifester de la rigidité, ne penser qu'à soi, manquer de sens des responsabilités, manifester un niveau élevé de suspicion et de critique;
- avoir un niveau de colère élevé;
- croire qu'il est bon pour les enfants d'être élevés sans l'influence de l'autre parent;
- imposer des restrictions à l'ex-conjoint ou corriger l'éducation transmise par lui;
- ne pas protéger les enfants du conflit;
- encourager les enfants à assumer leur point de vue ou les forcer à choisir entre les parents;
- amener l'enfant à se sentir coupable d'aimer l'autre parent;
- redéfinir les différences normales entre parents selon les critères de
« bien »
et de« mal »
; - amener l'enfant à se mêler davantage des affaires des
« parents »
; - inciter l'enfant à recueillir en secret de l'information sur l'autre parent;
- à partir d'un ou deux incidents, généraliser en vue d'une évaluation plus globale;
- s'interposer dans le calendrier résidentiel de l'enfant (p. ex., par la non-disponibilité de l'enfant ou par son retour tardif);
- accroître le risque que l'enfant soit exposé au conflit et/ou à la violence;
- menacer d'accuser le conjoint ou l'accuser de sévices contre l'enfant (agression sexuelle, mauvais traitements physiques ou émotionnels);
- menacer d'enlever l'enfant ou passer aux actes.
(Darnall, 1998; Garrity et Baris, 1994; Gold, 1992; Holman et Irvine, 2002; Lewis et Sammons, 1999; McDonough et Bartha, 1999; Price et Pioske, 1994; Samenow, 2002; Stahl, 2000; Thayer et Zimmerman, 2001; Turkat, 1997; Waldron et Joanis, 1996; Willbourne et Cull, 1997)
2.4.6 L'aliénation parentale intervient‑elle dans les allégations de mauvais traitement des enfants?
Les allégations de violence (sexuelle ou physique) faite aux enfants ne sont pas rares lorsqu'il y a difficulté de contact (Bala et al., 2001). Berns (2001) affirme que, pour certains parents qui divorcent, les allégations et les contre‑allégations sont une tactique dans le processus des litiges. Les allégations peuvent être non corroborées, non fondées ou fondées (voir le glossaire). Penfold (1995) a conclu que 2 % des litiges après le divorce comportaient des allégations d'agression sexuelle. La recherche en ce domaine ne permet pas de conclure et comporte de nombreux problèmes méthodologiques (Bala, 2002). L'incidence d'allégations sans fondement ou fausses varie de 8 à 50 % (Garrity et Baris, 1994; Penfold, 1995).
Pour les informateurs clés, les allégations malveillantes ou non fondées de violence physique ou sexuelle sont un exemple de comportement aliénant. On a relevé un niveau élevé de soutien à l'égard d'études exhaustives sur les allégations de violence physique ou sexuelle. On a qualifié les fausses allégations, notamment celles qui sont vagues, de type de comportement aliénant (p. ex., « l'enfant pourrait avoir été victime de mauvais traitements »
). Les informateurs ont signalé qu'en pareille situation les enfants sont obligés de subir des examens psychologiques et/ou physiques inutiles.
Quelle que soit leur véracité, ces allégations sont toujours pénibles pour les parents et difficiles pour les spécialistes (Bala, 2002). Voici les caractéristiques observées chez les parents qui font des allégations : tendance à contrôler et à se venger, à saper les relations, à causer de l'obstruction, à être compétitifs, à réagir avec excès, à dénigrer, à blâmer, à exagérer les traits défavorables, à menacer, à déformer les faits, à s'en prendre au mode de vie de l'autre parent et à rejeter les expériences positives. Quel que soit le facteur déclencheur, les allégations non fondées créent un scénario où le règlement des différends entre les parents est plus difficile.
Sheehan (2000) affirme que, s'il y a allégation de mauvais traitements ou de violence familiale, il est plus difficile de faire la part entre le droit de l'enfant à des contacts avec les deux parents et celui d'être protégé d'un conflit familial préjudiciable. Les allégations faussent fréquemment le processus et les enfants peuvent facilement devenir des victimes (Mason, 1999). Jaffe et al. (1990) et Jaffe et Geffner (1998) décrivent les enjeux particuliers dont il faut tenir compte lorsqu'il y a des allégations :
- la sécurité de l'enfant;
- les risques pour l'enfant et pour les parents;
- l'incidence des allégations sur l'enfant et sur l'auteur présumé;
- le besoin de développement de l'enfant;
- les compétences et les capacités parentales;
- la nécessité de contacts supervisés ou de leur suspension au cours de l'enquête.
Les auteurs signalent que, s'il y a allégation, il est essentiel que les spécialistes soient bien informés et aient une formation dans ces domaines spécialisés. Il faut aussi bien coordonner les services fournis par les tribunaux.
2.4.7 L'aliénation parentale est‑elle utile au plan conceptuel?
La documentation fait état d'une tendance à la hausse à cerner chez les parents les comportements qui influent sur les relations après le divorce. Cette tendance a aussi été confirmée lors de nos propres consultations. Un parent peut systématiquement faire obstruction à la relation de l'enfant avec l'autre parent en perturbant le calendrier des visites ou en refusant de libérer l'enfant pour ces visites (Holman et Irvine, 2002). Les comportements qui sapent et entravent contribuent à l'aliénation. Cette conceptualisation est considérée comme plus utile que les étiquettes telles que le syndrome d'aliénation parentale (SAP) parce qu'elle fournit un point de départ pour élaborer des interventions visant à améliorer et à appuyer les relations bénéfiques aux enfants.
L'utilisation d'étiquettes et de termes, tel le SAP, accroît la tension entre les parents. Nos informateurs considèrent que cette terminologie est « commode »
mais n'aide pas particulièrement à favoriser la solution des différends dans l'intérêt supérieur de l'enfant. Au contraire, elle contribue à un processus qui, normalement, ne tient compte ni des besoins ni des souhaits des enfants. On considère que le débat entourant cette terminologie aggrave le problème et crée ce qu'on a qualifié de « conflit toxique »
. Des renseignements détaillés sur la terminologie sont présentés à la section 2.6.1 ci‑dessous. Des informateurs clés de l'Australie et du Royaume‑Uni ont signalé que, dans leur système, on emploie des termes tels que résidence et contact, plutôt que garde et accès, qui sont considérés comme des termes judiciaires contentieux qui décrivent les droits des parents.
Le fait même de tenir le SAP pour un syndrome est controversé. D'après les spécialistes, peut-on le considérer comme un trouble distinct si tous les enfants partageant des antécédents et des influences parentales semblables ne présentent pas ce syndrome. Johnston (2001) note que, selon les lignes directrices recommandées par des organismes professionnels reconnus tels que l'American Psychological Association, on ne peut considérer le SAP comme un syndrome, car il ne comporte pas de symptômes généralement reconnus et vérifiés empiriquement. Pour l'instant, selon Johnston, il est impossible de conclure que le SAP est un syndrome puisqu'on n'en a pas mesuré adéquatement la pathogénèse, le déroulement, la tendance familiale et l'apparition.
Quel que soit le pays ou la discipline de nos informateurs clés, ceux-ci avaient des points de vue semblables quant à qualifier le SAP de syndrome. Bon nombre ont signalé que parents, avocats et spécialistes en santé mentale ont tendance à accoler ces étiquettes à n'importe quelle situation, voire à toutes les situations survenant dans les séparations où il y a beaucoup de conflits. Nous n'avons constaté aucun appui pour le SAP chez nos informateurs clés. Certaines familles estimaient le processus et la « bataille »
comme plus importants que les enfants eux‑mêmes. Le SAP était considéré par certains comme le « diagnostic du jour »
en ce qui concerne les familles en situation de divorce.
Selon Gould (1998), il est moins utile de savoir si l'aliénation parentale est un syndrome que de décrire les comportements des parents et les réactions des enfants. Plusieurs informateurs clés partagent son opinion. Ils maintiennent qu'en pratique clinique, cette terminologie représente une généralisation inutile ou une trop grande simplification des problèmes auxquels se heurtent les enfants et les parents.
La plupart des informateurs clés ont déclaré avoir observé des comportements aliénants dans une certaine proportion des cas dont ils avaient eu connaissance. Ils ont fait des commentaires au sujet de l'incidence de ces comportements sur les enfants et de l'éloignement qui en découle pour les parents. L'idée que ce phénomène s'étale sur un continuum a été soulignée. Dans les cas les plus extrêmes, les parents sont souvent incapables de collaborer à quelque niveau que ce soit. Ils sont alors plus susceptibles d'utiliser l'enfant comme arme dans leurs litiges. Le conflit constant influe habituellement sur d'autres plans du fonctionnement et sur les relations.
Un autre problème afférent au concept du SAP est la question des différences culturelles. Plusieurs informateurs clés supposent que ce que nous qualifions facilement et souvent de comportements aliénants peuvent avoir une autre signification dans d'autres cultures. Étant donné la diversité accrue de la population dans des pays tels que le Canada, il faut comprendre le contexte culturel dans lequel baignent les comportements des parents pour que les interventions soient fructueuses.
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