Gérer les difficultés de contact : une approche axée sur l'enfant
2003-FCY-5F
2.0 Questions fondamentales au sujet des difficultés de contact (suite)
2.5 Quelles sont les principales formulations des difficultés de contact?
La documentation traitant des difficultés de contact a augmenté de façon exponentielle depuis 1985. Deux formulations dominantes, qui permettent de comprendre les contacts difficiles après le divorce entre les enfants et les parents, sont décrites plus loin (Gardner, 1992; Johnston, 1993; Johnston et Kelly, 2001). Stoltz et Ney (2002) ont étendu la formulation de Kelly et Johnston afin de tenir compte de multiples facteurs en cause. Plus récemment, Ney et Blank (en préparation) ont avancé que les deux formulations (Gardner, et Kelly et Johnston) s'inscrivent dans une perspective médicale ou judiciaire. Ils concluent que la résolution des conflits est plus difficile lorsqu'on accorde plus de poids à une perspective qu'aux autres.
Chaque formulation (Gardner, et Kelly et Johnston) mène à recommander l'intervention auprès des enfants ou des parents. Cependant, il y a très peu de recherches scientifiquement solides et valides dans ce domaine de la pratique. Bruch (2001 : 550) nous rappelle d'être prudents : « Les avocats, les juges et les spécialistes en santé mentale qui s'occupent des problèmes de garde d'enfants devraient faire très attention et réagir de manière judicieuse lorsque sont présentées des demandes fondées sur l'une ou l'autre théorie [celle de Gardner ou de Kelly et Johnston]. »
.
Richard Gardner (1992) ainsi que Janet Johnston et Joan Kelly (2001) ont proposé deux formulations différentes pour conceptualiser et traiter les difficultés de contact. En voici la description, de même que les apports d'autres auteurs.
2.5.1 Gardner
Gardner (1992 : xviii) souligne qu'un parent qui aliène un enfant de l'autre parent commet « une forme de violence émotionnelle »
, parce qu'il le prive d'une relation affectueuse avec l'autre parent. De plus, Gardner maintient que l'aliénation induit chez l'enfant des perturbations psychiatriques qui durent toute la vie. Sa définition figure à l'annexe B.
Gardner (1992) croit aussi que, dans certains cas, le parent peut se servir des états intérieurs de l'enfant (p. ex., son tempérament) pour contribuer à l'aliénation ou la favoriser. De tels facteurs comprennent :
- le maintien du lien psychologique primaire;
- la peur de perturber le lien psychologique primaire;
- la formation de la réaction;
- l'identification avec l'agresseur;
- l'identification avec une personne idéalisée;
- l'expression d'hostilité;
- la nature contagieuse des émotions;
- la rivalité sexuelle.
Au fil des ans, Gardner a redéfini et modifié sa définition initiale et ses commentaires au sujet du sexe du parent aliénateur (2001a, 2001d, 1999a, 1999c, sans date b, sans date c, sans date d). Les principaux changements dans sa réflexion tiennent compte des facteurs tant conscients que subconscients et inconscients qui, chez le parent aliénant, influent sur l'aliénation de l'enfant par rapport à l'autre parent.
Plus récemment, Gardner a élargi sa définition afin de tenir compte des facteurs présents chez l'enfant ou dans la situation et qui contribuent à la représentation. Ces facteurs, indique‑t‑il, agissent indépendamment de l'apport du parent aliénant. Il explique que :
Le trouble reflète une situation où la programmation parentale se combine avec les scénarios de dénigrement du parent censément haï par l'enfant. S'il s'agissait ici simplement d'endoctrinement parental, je retiendrais probablement un concept de lavage de cerveau ou de programmation (Gardner, 1992 : xvii).
Gardner maintient que c'est l'exagération des faiblesses et des déficiences mineures du parent aliéné qui est indicatif d'un SAP (2002, 2001b, 2001d, 2001e).
Gardner (1992) attribue les caractéristiques et réactions suivantes aux enfants qui sont sujets à l'aliénation :
- participation à une campagne de dénigrement;
- obsession de
« haine »
d'un parent; - rationalisations faibles, frivoles ou absurdes de la désapprobation;
- manque d'ambivalence et de culpabilité au sujet de cette campagne;
- soutien réflexif du parent aimé dans le conflit parental;
- présence de scénarios
« empruntés »
; - animosité étendue aux amis et/ou aux membres de la famille élargie du parent aliéné.
Gardner suppose (1992 : 62) que deux facteurs ont provoqué une augmentation apparente de l'incidence de l'aliénation parentale : le passage du concept de la doctrine du bas âge à celui de l'intérêt supérieur de l'enfant et la popularité de plus en plus grande de la garde partagée. Il croit que ces facteurs provoquent plus de litiges et de compétition entre les parents et maintient que les mères y voient une menace pour leur lien avec l'enfant parce que les tribunaux s'occupent de facteurs autres que leur rôle traditionnel de soutien lorsqu'ils élaborent des régimes de garde et des calendriers de visite — « ... ces changements ont désavantagé les femmes dans les litiges sur la garde des enfants »
. En conséquence, certains parents placent l'aliénation parentale dans leur stratégie pour avoir gain de cause. Gardner ajoute
aussi que, « ... lorsqu'une accusation d'abus sexuel survient dans le contexte d'un SAP — surtout après l'échec d'une série de manœuvres d'exclusion — il est beaucoup plus probable que l'accusation soit fausse que vraie »
(1998 : xxvii).
En 1992, Gardner a avancé que la grande majorité des « programmateurs »
étaient des mères et qu'elles étaient responsables de 90 % des cas d'aliénation, à son avis. Depuis, sa position sur le sexe a changé et il note ceci : « ... au cours des dernières années, j'ai constaté un changement qui a ramené le ratio à 50/50 »
(Gardner, 2000 : 442).
Selon Gardner, le SAP peut être léger, modéré ou grave. Ces distinctions sont liées aux lignes directrices sur les contacts et les types d'intervention (1992, 1998a, 1998b, 1999b, 1999c, 2001b, 2001c, sans date c). Il recommande que les tribunaux fondent leurs décisions concernant les régimes parentaux sur « ... l'hypothèse de liens psychologiques plus solides et sains »
(1992 : 263). Cette hypothèse reflète un processus en trois étapes faisant intervenir la préférence pour le parent avec qui l'enfant a le lien psychologique le plus solide, la préférence pour le parent qui assure la majeure partie des soins à l'enfant en bas âge et la reconnaissance que le lien peut changer au fil des ans et être moins important pour les enfants plus âgés.
Gardner a une position claire sur les contacts obligatoires. À son avis, une ordonnance judiciaire n'est pas requise à ce sujet pour une aliénation dite légère. Si le litige concernant la garde prend fin, il est d'avis que le comportement aliénant est atténué et que l'enfant ne manifeste plus de symptômes. Il ajoute que, dans les cas modérés, il faut menacer et sanctionner les parents s'ils ne respectent pas le calendrier de l'enfant. Il est toutefois notoire, ajoute-t-il, que les parents programmateurs « ne collaborent pas »
. Toujours selon Gardner (1992), les remontrances et les invitations à « cesser un tel comportement »
ne fonctionnent pas et, en pareil cas, il faut une ordonnance du tribunal. Lorsqu'on a affaire à un cas grave « ... le transfert de la garde est, pour l'enfant, le seul espoir d'atténuer ses symptômes de SAP »
(1992 : 64). Les contacts entre le parent programmateur et l'enfant devraient être interdits pendant un certain temps, selon Gardner, afin de permettre à l'enfant de s'ajuster. Puis, les contacts devraient reprendre petit à petit. Dans un exposé fait en mai 2000 aux membres du Family Law Bar à Toronto, Gardner a aussi affirmé que, lorsque l'enfant continue à refuser de passer du temps avec un parent, il pourrait être approprié de l'hospitaliser ou de l'incarcérer.
2.5.2 Johnston
Johnston (1993 : 111) a critiqué la formulation de Gardner parce qu'elle ne fait pas la distinction entre l'aliénation et la résistance d'un enfant à passer du temps avec un parent. Elle a déclaré ce qui suit :
La résistance de l'enfant à visiter le parent non résidentiel comprend une vaste gamme de comportements observables où l'enfant, pour quelque raison que ce soit, se plaint verbalement ou par des gestes et résiste à passer du temps avec lui. Elle peut être évidente seulement au moment de la transition ou peut comporter des plaintes intermittentes ou continuelles au sujet des visites. Dans les cas extrêmes, elle peut comprendre un refus complet de tout contact avec l'autre parent... l'enfant peut être hostile ou non ou encore négatif à l'endroit du parent... dans les cas extrêmes, une peur et une attitude négative sont souvent exprimées... l'alignement parent‑enfant et l'aliénation parent‑enfant sont définis comme étant une préférence claire ou cachée, dans l'attitude ou le comportement, d'un enfant pour un parent et, à un degré variable, le dénigrement et le rejet de l'autre parent... [il] s'agit d'une relation négative, conflictuelle ou d'évitement entre l'enfant et le parent rejeté... dans les cas extrêmes de solide alignement avec le parent résidentiel, l'enfant refuse habituellement de passer du temps avec le parent non résidentiel aliéné.
Johnston est d'avis que la résistance aux contacts est un phénomène complexe qui tire « ... son origine de facteurs divers et multiples relevant de la psychologie, du développement et du système familial
(1993 : 133). En se fondant sur des exemples puisés dans des recherches effectuées avec Linda Campbell auprès de familles aux conflits nombreux, qui ont un revenu allant de faible à moyen (Johnston et Campbell, 1988), et auprès d'enfants de familles aux conflits nombreux mais au revenu plus élevé (1993), Johnston note qu'environ 45 % des enfants s'étaient alignés avec un seul parent. Elle énumère six explications pour cet alignement et cette hésitation ou ce refus à passer du temps avec le parent non résidentiel. Cependant, elle indique (1993 : 132) que ces résultats sont incertains et que leur interprétation est hypothétique parce qu'ils « ... sont basés sur de simples corrélations et observations cliniques tirées d'échantillons relativement restreints de familles ayant de nombreux conflits en situation de divorce »
. Dans des travaux plus récents (sous presse), Johnston affirme que les deux premières explications sont des réactions normales qui, du point de vue du développement, ne sont pas liés à la pathologie d'aucun des deux parents ni de l'enfant, que les trois suivantes sont liées à des processus familiaux pathologiques et que la sixième est un processus tertiaire ou systémique.
La première explication de la résistance au contact, selon Johnston, est l'anxiété fondamentale de l'enfant face à la perspective de se séparer du parent principal, notamment si les parents ont des conflits évidents. Johnston a observé que l'anxiété de l'enfant augmente s'il y a des conflits constants ou une agressivité claire entre les parents. Elle note aussi que de nombreux parents étaient :
... ambivalents ou sceptiques quant à la valeur des visites, notamment lorsque l'enfant présentait des symptômes et résistait lors des transitions; ces parents n'étaient pas bien disposés à calmer l'enfant et à lui donner un sentiment de sécurité et de compétence quant aux changements (1993 : 118).
Elle conclut que ces enfants ne sont pas profondément perturbés et que leur résistance peut s'expliquer du point de vue du développement par l'anxiété face à la séparation spécifique au divorce.
Deuxièmement, la capacité cognitive limitée de l'enfant à être sensible aux points de vue opposés des deux parents et à leurs sentiments peut produire un alignement qui résout de douloureux conflits de loyauté. Selon Johnston, une proportion significative d'enfants sont incapables de se distancier du conflit parental et les garçons sont plus susceptibles que les filles de présenter des symptômes. Troisièmement, l'intensité et la durée des litiges parentaux peuvent amener les enfants à développer des alignements comme mécanisme de défense face au conflit constant.
Une quatrième explication porte sur l'incapacité de l'enfant à démêler ses sentiments et idées de ceux du parent résidentiel en détresse. Johnston souligne que les enfants souffrant de cette confusion ont tendance à refléter tout ce dont le parent a besoin dans l'espoir d'assurer que leurs propres besoins soient satisfaits. Ils peuvent devenir attentifs au parent aliénant et très en accord avec lui. En conséquence, il y a peu de possibilités qu'ils aient des sentiments ou des idées distinctes de ceux de ce parent. Parce qu'ils s'inquiètent pour lui, ils ont souvent beaucoup de mal à le délaisser pour passer du temps avec l'autre parent.
Le cinquième facteur est l'exposition aux mauvais traitements émotionnels et à la violence physique entre les parents. Johnston (1993 : 129) note qu'un alignement peut être ancré dans « ... un traumatisme précoce de violence familiale dont on arrive tout juste à se souvenir »
. Dans certains cas, ces enfants ne pensaient pas qu'il était sécuritaire de quitter le parent résidentiel (mère), leur maison ou leurs animaux de compagnie. D'autres enfants de ce groupe :
... ont sombré dans un état de folie à deux avec une mère ayant subi des mauvais traitements, avec un père narcissique blessé ou avec un parent paranoïaque, état où la réalité, les craintes et les fantasmes au sujet du parent exclu étaient totalement mêlés chez le parent et l'enfant alignés (1993 : 129).
La sixième explication est, chez l'enfant, le sentiment qu'il fait l'objet d'un contre‑rejet et de représailles de la part du parent rejeté et de son réseau social. Johnston signale que les parents rejetés sont blessés et parfois indignés par la réaction de l'enfant. Les tentatives d'affirmation de leur position parentale et leur poursuite de l'enfant par lettres ou par téléphone n'est généralement pas fructueuse. Ces stratégies provoquent souvent une aggravation du rejet de la part de l'enfant. Selon Johnston, l'alliance est intensifiée parce que l'enfant est hypersensible au contre‑rejet et blessé par celui‑ci. Du point de vue clinique, elle conclut que l'enfant est confus et débordé par les sentiments de culpabilité et qu'il souhaite être rescapé de ce « dilemme intolérable »
. Le comportement de l'enfant met continuellement à
l'épreuve la profondeur de l'affection du parent rejeté.
2.5.3 Kelly et Johnston
Kelly et Johnston (2001 : 251) ont reformulé le concept préalable d'enfant aliéné de Johnston. Elles ont défini l'enfant aliéné comme un enfant qui « ... exprime, librement et avec persistance envers un parent, des sentiments négatifs déraisonnables ainsi que des croyances (telles que la colère, la haine, le rejet ou la peur) qui sont considérablement disproportionnés par rapport à l'expérience réelle de l'enfant avec ce parent »
. Elles estiment qu'une reformulation par rapport à un point objectif et neutre permet de distinguer plus facilement l'enfant aliéné de celui qui résiste aux visites.
Le modèle de Kelly et Johnston considère la relation enfant-parents comme un continuum allant des relations positives avec les deux parents vers un alignement progressivement plus fort avec le parent résidentiel et se terminant par l'aliénation complète par rapport au parent non résidentiel. La réalité de cette séparation du parent non résidentiel diminue à mesure qu'on se déplace le long du continuum.
Kelly et Johnston (2001 : 254) affirment que le diagnostic et les interventions efficaces sont fondés sur un cadre systémique qui tient compte « ... des facteurs multiples et liés entre eux influant sur la réaction de l'enfant lors de la séparation et par la suite »
. Leur modèle comprend d'autres facteurs qui contribuent à l'aliénation, tels que les attitudes et les comportements des parents, en plus des facteurs de développement ou cognitifs chez l'enfant même. Les réactions raisonnables et sans problème des enfants s'expliquent par des facteurs tels que l'âge de l'enfant et son état de développement ainsi que par le conflit constant entre les parents. Les réactions raisonnables mais problématiques des enfants (plus près de l'extrémité du continuum) s'expliquent par des facteurs tels que les mauvais traitements infligés aux enfants, la dynamique
de la séparation, la capacité parentale et des styles parentaux colériques, rigides et restrictifs. Kelly et Johnston signalent que, même lorsqu'un enfant ne respecte pas les critères permettant de le considérer comme aliéné, nombre de ces facteurs peuvent être présents. Si tel est le cas, la possibilité d'être considéré ainsi à l'avenir doit retenir l'attention.
Selon Kelly et Johnston, les facteurs de risque qui prédisent l'aliénation sont les suivants :
- la triangulation de l'enfant dans un conflit matrimonial intense;
- la séparation vécue comme profonde humiliation;
- un divorce et un litige très conflictuels;
- les contributions conscientes et inconscientes des nouveaux conjoints, des membres de la famille élargie et des spécialistes.
Kelly et Johnston identifient aussi la fourchette des comportements qui sont courants chez les parents aliénants et rejetés. Selon elles (2001), le parent aliénant a une vision extrêmement négative du parent rejeté et ressent un manque de confiance profond et une crainte vive à l'endroit de son ex-conjoint. Il ne croit pas que l'enfant a besoin de l'autre parent et il peut faire obstacle aux contacts. Dans des cas extrêmes, le parent aliénant élimine aussi toute mention du parent rejeté. Il maintient que l'enfant devrait avoir le droit de prendre des décisions au sujet du calendrier des visites. Le parent rejeté est considéré comme un danger pour l'enfant et est souvent perçu comme ne s'étant jamais intéressé à l'enfant. Kelly et Johnston soutiennent que la recherche empirique et des observations cliniques appuient leur conviction qu'il y a une pathologie et une colère significatives chez le parent aliénant.
Les parents rejetés contribuent à l'aliénation, mais leurs comportements « ... ne méritent par eux‑mêmes ni la réaction colérique disproportionnée de l'enfant ni le refus d'avoir des contacts »
(Kelly et Johnston : 258). La capacité parentale, qui se situe normalement dans la gamme normale, peut être compromise par un ou plusieurs des facteurs suivants : le conflit grave et constant entre les parents, le contre‑rejet de l'enfant aliéné, un style parental rigide ou sévère ou une immaturité accentuée par le conflit constant, l'attribution d'une nouvelle signification à leurs comportements et une empathie moindre pour l'enfant aligné.
L'âge et la capacité cognitive de l'enfant, la mesure où il considère le divorce comme un abandon ainsi que son tempérament et sa vulnérabilité personnelle modèrent sa réaction à l'aliénation. D'autres facteurs portant sur la relation parent‑enfant peuvent aussi expliquer cette réaction. Ils peuvent comprendre la dépendance de l'enfant face au parent aligné, la dépendance à l'aliénation comme stratégie de survie ou les tentatives pour « sauver »
un parent vulnérable. Kelly et Johnston maintiennent que des antécédents de contacts limités ou inexistants avec le parent rejeté accroissent la vulnérabilité de l'enfant. Lorsque le contact est interrompu, l'enfant a très peu d'occasions, sinon aucune, d'évaluer sa perception du parent rejeté. Les auteures indiquent aussi que les contacts supervisés, souvent mis en
place au cours des enquêtes sur le mauvais traitement des enfants, renforcent la croyance de l'enfant que le parent rejeté représente un danger. La vulnérabilité de l'enfant augmente encore s'il est isolé émotionnellement et s'il a un accès limité à des ressources externes (p. ex., des thérapeutes ou d'autres personnes qui comptent pour lui). Kelly et Johnston soulignent la similarité entre leurs observations de la présentation clinique de ce groupe d'enfants et celles de Gardner (1992) et de Wallerstein (1985).
En résumé, Kelly et Johnston estiment que la complexité de ces cas requiert :
... une évaluation complète pour comprendre les multiples facteurs déterminants et influences qui mènent au rejet abrupt par l'enfant d'une relation précédemment acceptable et significative. Chacune de ces influences a son propre poids et sa propre signification pour un enfant particulier dans une famille donnée. Aucun facteur unique ne produit l'enfant aliéné (Kelly et Johnston, 2001 : 264).
Kelly et Johnston maintiennent (2001 : 264) que seule une « compréhension totale de ce développement pathologique dans les relations parents-enfant »
mène à « un plan et à une structure efficaces en vue d'interventions légales, judiciaires et thérapeutiques qui visent à régler l'aliénation profonde de l'enfant par rapport au parent »
.
2.5.4 Stoltz et Ney
Stoltz et Ney (2002 : 222) prolongent la reformulation de Kelly et Johnston (2001) à l'égard de l'enfant aliéné. Ils critiquent la façon dont ces auteures expliquent les réactions raisonnables et déraisonnables à l'aliénation et affirment ce qui suit :
Il s'agirait de critères raisonnables d'évaluation si l'on ne négligeait pas d'autres facteurs contextuels puissants. Ce que nous croyons, c'est que les réactions considérées comme déraisonnables sont aussi raisonnables et adaptatives lorsqu'on les examine dans leur contexte et que l'échec de les tenir pour tels a de graves conséquences.
Pour Stoltz et Ney, le fait d'exclure le contexte de la réaction d'un enfant crée une compréhension erronée de la dynamique en cours dans la famille après le divorce.
Stoltz et Ney (2002 : 36) préfèrent le terme « résistance aux visites »
. La résistance :
... comprend le vaste continuum des comportements des diverses parties concernées (parents, enfants, avocats, familles, spécialistes, etc.), allant (par exemple) de plaintes verbales aux retards répétés à ramener l'enfant, en passant par le refus de celui-ci à voir le parent qui n'a pas la garde, et ainsi de suite.
L'objectif de Stoltz et Ney de faire de ce problème une situation de résistance est de polariser l'attention sur la dynamique et non sur les personnes. Stoltz et Ney (2002 : 227) affirment que cette reformulation permet de tenir compte d'autres facteurs, y compris « ... la confrontation suscitée par le système judiciaire et la possibilité que l'intervention professionnelle (p. ex., l'évaluation psychologique) puisse être interprétée dans une optique judiciaire et perçue comme une menace, ajoutant ainsi à la résistance »
.
Stoltz et Ney avancent l'hypothèse que, si le divorce était géré d'une manière moins accusatoire, il y aurait peu de résistance aux visites. À partir de la formulation révisée de la résistance, ils proposent un certain nombre de répercussions sur la pratique, soit la nécessité :
- d'avoir une ouverture d'esprit et de clarifier les attentes concernant la conformité aux ordonnances judiciaires sur le calendrier de l'enfant;
- d'évaluer de façon constante et au cas par cas la nature dynamique du système dans le cadre de l'intervention;
- de renseigner les parties au sujet de la dynamique de la résistance, de la relation entre les menaces et la résistance et de l'importance de développer la confiance;
- de reconnaître que les parents et les enfants sont les spécialistes de la dynamique et qu'ils doivent s'associer à une approche fondée sur la collaboration pour évaluer et régler les problèmes;
- d'amener les spécialistes à s'engager dans une pratique de réflexion pour minimiser le risque de contribuer à la dynamique;
- de polariser les interventions vers le but qui est d'atténuer la résistance et d'accroître la confiance;
- d'effectuer des recherches et de mener un dialogue concernant le paradoxe spontané d'imposer une relation enfant‑parent affectueuse et saine;
- de réaliser d'autres enquêtes sur la corrélation entre le processus accusatoire du divorce et la résistance d'un enfant aux visites.
2.5.5 Travaux afférents
D'autres auteurs ont fondé leurs recommandations d'évaluation et d'intervention sur le concept d'aliénation et ont tenté d'élargir la formulation de Gardner.
Lund (1995) expose le point de vue d'un thérapeute sur la médiation. Elle affirme que l'aliénation reflète normalement un niveau élevé de conflit parental et de psychopathologie chez les deux parents. Elle élargit le cadre de Gardner pour comprendre ces familles afin de délaisser une formulation fondée sur le blâme et d'envisager diverses possibilités viables de traitement. Comme Johnston (1993), Lund propose plusieurs explications possibles du rejet parental, telles que les problèmes normaux de développement entourant la séparation, les lacunes dans les compétences parentales du parent qui n'a pas la garde, un comportement conflictuel de la part de l'enfant, le conflit aigu des parents, de graves difficultés dans la relation (excluant le mauvais traitement) et la violence faite à l'enfant. Elle reconnaît la contribution possible des membres de la famille élargie et des systèmes de
soutien. Comme Gardner, elle croit que la présence de l'aliénation est déterminée par « ... la mesure où un enfant est programmé consciemment ou inconsciemment »
(Lund, 1995 : 311). Se fondant sur cette formulation, Lund réclame des tribunaux des directives claires pour gérer ces cas. Les recommandations d'intervention sont fondées sur une approche d'équipe qui comprend des séances parents-enfant, la thérapie individuelle pour les parents, la médiation pour régler les conflits et la communication entre les thérapeutes qui travaillent avec la famille.
Darnall (1998) semble accepter la conceptualisation de l'aliénation présentée par Gardner, distinguant toutefois entre le concept et le syndrome. Sa définition figure à l'annexe B. En bref, il croit que l'aliénation est tout ensemble de comportements qui perturbent la relation entre un enfant et un parent. Un de ses apports dans ce domaine de la pratique est sa catégorisation des parents aliénants comme étant « naïfs »
, « actifs »
ou « obsédés »
.
2.6 Critique des formulations dominantes
Le débat entourant le syndrome d'aliénation parentale (SAP) dans la documentation a eu tendance à se concentrer sur quatre plans :
- la pertinence de la terminologie;
- les antécédents et la définition du concept;
- les critères probants aux fins diagnostiques et judiciaires;
- les solutions cliniques et légales.
2.6.1 Terminologie
Depuis le début des années 1990 se poursuit un débat entourant l'existence du phénomène d'aliénation et du SAP. Il y a beaucoup de scepticisme. Nombre de cliniciens et certes la majorité des informateurs clés considèrent la terminologie comme moralisante et victimisante (Etemad, 1997). Johnston (2001 : 2) y voit une tentative pour médicaliser les symptômes. À son avis « ... le terme SAP n'ajoute aucune information propre à éclairer le tribunal, le clinicien ou leurs clients »
. Freckleton et Selby (2002 : I-3420) sont du même avis. Pour eux, la terminologie de Gardner s'inspire du contexte du viol, des femmes battues et de l'agression sexuelle contre des enfants et, à ce sujet, ils affirment ceci :
La trompeuse et pseudo-scientifique patine de l'objectivité et de la fiabilité conférée par le mot
« syndrome », ne semble pas justifiée... Il est fort possible que les inconvénients de l'accent placé sur la justification scientifique du syndrome d'aliénation parentale soit telle que son acceptation soit inutile ou même contre‑productive (2002 : I‑3420).
Dans le cadre de ce débat, nombre d'auteurs indiquent que les problèmes de contact existent, mais que le terme n'est pas utile. Par exemple, Sturge et Glaser (2000) croient que le terme « hostilité implacable »
le serait davantage. Ils avancent que l'utilisation de l'étiquette SAP suppose une cause menant à une intervention prescrite. Cependant, à leur avis, la complexité des situations et des différences entre les familles nécessite une gamme d'interventions. L'utilisation d'un terme tel le SAP est généralement considérée comme faisant référence à une pathologie et mettant l'accent sur les questions de pouvoir et de contrôle. Elle ne favorise pas l'amélioration de la situation des enfants ni n'augmente la probabilité d'interventions réussies.
Certains de ceux qui appuient le concept considèrent que le problème réside dans le mot « syndrome »
(Hayward, 1999). D'autres, tels que Turkat (1997), distinguent les formulations du SAP. Il affirme, par exemple, qu'il peut y avoir une ingérence poussée qui ne comporte pas de plan systématique ou retors. Il peut y avoir un SAP direct tout autant qu'indirect.
Certains informateurs clés ont avancé que la terminologie entourant le SAP était attrayante aux yeux des parents et spécialistes en quête d'explications simples pour des situations complexes, mais que ces étiquettes ne rendaient pas adéquatement les nuances de la situation. Actuellement, ces étiquettes ne font que donner aux comportements aliénants un statut quasi clinique et détournent l'attention de ce qui se passe vraiment chez l'enfant. Gardner a déclaré qu'il pourrait y avoir d'autres facteurs pour expliquer ces situations, selon plusieurs informateurs. Ceux-ci soulignent la nécessité de jugements cliniques objectifs pour assurer que la prise de décisions tienne compte d'une gamme de facteurs (l'âge de l'enfant et l'étape de son développement, la relation de coparentage, la relation non parentale entre les adultes, la capacité parentale et les questions de santé mentale).
La question de la terminologie fait partie d'un débat beaucoup plus large au sujet du vocabulaire utilisé dans le contexte des changements familiaux. Mahony (2001 : 5) a lancé à cet égard un défi qui tombe à point. Il écrit ceci : « ... le libellé de notre législation concernant la garde, la responsabilité et l'accès et la façon dont ces termes sont définis doivent être harmonisés avec les modes actuels de pensée au sujet des droits et des intérêts des enfants ainsi que des responsabilités parentales qui en découlent »
.
2.6.2 Conceptualisation
Outre les préoccupations quant à l'utilité de termes tels que le SAP, la formulation de Gardner suscite beaucoup de critiques. Bruch (2001) prétend que Gardner accorde trop d'importance à la prévalence du SAP, qu'il ne reconnaît pas le comportement prévisible après le divorce et qu'il confond les réactions liées au développement de l'enfant avec la psychose. Bruch (2001 : 550) affirme que « le PAS élaboré et mis de l'avant par Richard Gardner n'a aucun fondement logique ni scientifique. Ce terme est rejeté par les chercheurs responsables en sciences sociales et il n'a aucun fondement solide dans la théorie ou la recherche psychologiques »
. D'autres affirment que les méthodes et techniques de recherche de Gardner ne sont ni fiables ni valides et n'ont pas fait l'objet d'un examen par les pairs. Ils signalent aussi que ses livres sont publiés à compte
d'auteur (Freckelton et Selby, 2002; Zirogiannis, 2001). Ceux qui appuient la formulation et la terminologie de Gardner en vantent la valeur, mais reconnaissent aussi la faiblesse de la conceptualisation (Etemad, 1997), et notamment sa présentation faible des données, le ton moralisateur, la création d'un scénario « bon parent/mauvais parent »
et le soutien empirique défaillant.
Des critiques de types divers au sujet de la formulation de Gardner sont signalées dans la documentation. Elles portent sur :
- sa compréhension limitée de la prévalence du concept dans les familles qui vivent un divorce, le processus qui donne naissance à l'aliénation, les facteurs prévisionnels de celle-ci et les résultats pour les enfants;
- la prétention à la reconnaissance et à la légitimité de travaux non étayés par des recherches objectives et quantitatives;
- le manque d'examens objectifs de la formulation et de soutien empirique dans les publications à comité de lecture par les pairs;
- le fait qu'il est inapproprié d'accoler l'étiquette de syndrome à l'aliénation;
- la simplification excessive de l'étiologie des symptômes en se concentrant sur le parent aliénant;
- la prise en compte limitée d'autres explications du comportement de l'enfant et/ou du parent;
- le fait que la véracité des mauvais traitements allégués n'est pas examinée, pas plus que la possibilité de résultats incorrects liés aux allégations de mauvais traitement.
D'autres critiques portent sur :
- la mauvaise utilisation des termes par les parents et les spécialistes, particulièrement lors des litiges, et le doute à savoir si le concept est conforme aux normes de Frye ou de Daubert/Kumho (voir le glossaire) pour l'admissibilité des éléments probants;
- la difficulté de réfuter la formulation de Gardner parce qu'elle est tautologique;
- les opinions
« expertes »
conflictuelles au sujet de ces concepts[5].
(Bruch, 2001; Etemad, 1994; Faller, 1998; Freckleton et Selby, 2002; Johnston, 2001; Peralta‑Vaughn, 2001; Rybicki, 2001; Smith et Coukos, 1997; Waldron et Joanis, 1996; Warshak, 2000a; Warshak, 2000b).
En général, les formulations de Johnston (1993) et de Kelly et Johnston (2001) ont été mieux reçues. Warshak (2000a) se demande dans quelle mesure le fait d'adopter le terme « enfant aliéné »
aide à mieux dépister l'aliénation dans les familles qui divorcent. Il ajoute que la terminologie de Johnston et Kelly est ambiguë, mais il reconnaît qu'elles s'emploient à la clarifier dans leur modèle. Il affirme qu'elles confondent séparation et aliénation. Warshak estime que la formulation de Johnston et Kelly ressemble plus à celle de Gardner qu'elle n'en diffère quant aux comportements des parents et aux réactions des enfants. À son avis, cependant, Kelly et Johnston reconnaissent l'apport des enfants et, à un degré bien moindre, celui du parent aliéné.
Selon Gould (1998 : 172), il importe moins « ... de pouvoir établir de façon décisive l'existence d'un "syndrome" que d'aider les familles divorcées à guérir »
et d'établir « ... l'existence de comportements qui exercent une influence systématiquement négative de la part d'un parent sur un enfant et qui limitent considérablement la capacité de celui-ci à établir un lien sain avec l'autre parent »
. Johnston (2001 : 2) est d'accord, déclarant que les enfants et les parents « ... seraient mieux servis par une description plus précise du comportement de l'enfant dans le contexte de sa famille »
.
2.6.3 Critères probants
Au moment de mettre sous presse, le SAP ne figurait pas dans le manuel de diagnostic (DSM-IV-TR) 2000 de l'American Psychiatric Association, sauf sous la rubrique générale « problèmes de relations parents-enfant »
(Parent-Child Relational Problem). Il n'y a pas de consensus dans la documentation sur la santé mentale en ce qui concerne le terme SAP, ni au sujet de la conformité du concept aux critères de reconnaissance d'un syndrome ni à celui des moyens les plus efficaces d'intervenir auprès du sous‑groupe de familles qui ont des difficultés de contact après un divorce.
Warshak (2002) avance qu'il importe beaucoup de clarifier la terminologie afin de réduire l'incidence de mauvais diagnostics et il signale que, chez les spécialistes des sciences sociales, il est pratique acceptée d'utiliser les dossiers cliniques et les observations comme première étape pour signaler un nouveau phénomène. Les définitions sont élaborées au fil du temps à partir d'observations répétées dans des sources multiples de données. Ultimement, la conceptualisation tirée des rapports cliniques fait l'objet d'enquêtes utilisant des échantillons plus larges, des mesures standardisées et des groupes témoins. La recherche fait normalement l'objet d'un examen rigoureux par les pairs pour que les conclusions soient acceptées par les spécialistes en santé mentale (Warshak, 2000a).
Laing (1999) signale qu'un certain nombre de personnes qui ont témoigné aux audiences du Comité parlementaire mixte spécial sur la garde et le droit de visite des enfants ont fait état de syndromes cliniques (dont le SAP) qui ne respectent pas les critères de recherche généralement acceptés dont parle Warshak. Cartwright (1993) s'oppose à ce genre de critique en indiquant qu'à mesure que le phénomène sera mieux compris, il sera redéfini. Gardner a en fait révisé à plusieurs reprises son modèle depuis 1985. Néanmoins, il y a un manque de recherches entourant le concept du SAP énoncé par Gardner.
Certains auteurs ont récemment traité des difficultés d'utiliser les éléments probants du syndrome et les innovations cliniques et scientifiques dans les litiges (Birks, 1998; Freckleton et Selby, 2002; Williams, 2001). Renvoyant aux travaux de Myers, Williams signale que ces difficultés peuvent être dues en partie au manque de directives, dans la documentation judiciaire, sur la façon de définir et d'utiliser des éléments probants psychologiques novateurs.
Williams (2001 : 278) signale que les cours suprêmes du Canada et des États‑Unis ont récemment examiné une question essentielle : quels sont les principes que les juges de première instance devraient utiliser pour déterminer l'admissibilité des témoignages des experts? Il maintient que le concept d'aliénation :
... soulève de graves problèmes s'il est examiné de manière critique quant aux principes d'admissibilité. Les tribunaux ont manqué de vigilance dans l'exercice de leur rôle de
« gardien ». L'admissibilité du syndrome d'aliénation parentale et/ou de l'aliénation parentale ne devrait pas être prise naïvement pour acquise.
Warshak (2000a) affirme que ces termes ont tendance à être utilisés indistinctement et sans tenir compte des raisons des difficultés. Le SAP, à son avis, est « l'effet »
du comportement des parents (Warshak, 2002).
Hayward (1999) indique que les allégations d'aliénation peuvent être un facteur judiciaire efficace pour les pères. Les autorités s'inquiètent pour la plupart de l'usage que l'on fait du concept d'aliénation dans les litiges, étant donné la recherche limitée en ce domaine (Johnston, sous presse) et ses contraintes méthodologiques inhérentes (Zirogiannis, 2001). Johnston (2001) considère le SAP comme une « stratégie judiciaire à la mode »
. D'autres sont d'avis qu'on s'en sert pour détourner l'attention de comportements dangereux tels que la violence familiale (Bruch, 2001; Smith et Coukos, 1997). Par ailleurs, Warshak (2000a) est d'avis que les étiquettes telles que le SAP nous forcent à nous pencher sur les stratégies visant à atténuer le problème. Johnston (2001) croit que l'étiquette du SAP ramène à la guerre des sexes et dresse les
pères contre les mères. Elle prétend que les médias exploitent cette tension.
Voici ce que rapporte Bruch (2001 : 537) à la suite d'une recherche électronique visant à trouver les causes, entendues aux États‑Unis entre 1985 et février 2001, dans lesquelles figure le terme « aliénation parentale »
:
... outre Gardner, nombre de spécialistes en santé mentale ont témoigné du fait que le SAP existait, mais bien peu étaient disposés à recommander que la garde soit transférée et que l'on mette fin aux contacts avec le responsable principal... La fréquence avec laquelle le SAP a été invoqué par des témoins experts, des avocats ou des juges dans ces causes et l'absence presque totale d'interrogation sur sa validité scientifique sont profondément inquiétants.
Mahony (2001) répond à la préoccupation de Bruch lorsqu'il nous rappelle l'importance de concentrer sur les enfants les discussions entourant le régime parental.
2.6.4 Recours
La formulation de Gardner est reflétée dans les recours qu'il recommande pour les cas légers, modérés ou graves d'aliénation (voir la section 2.5.1). Travaillant avec la formulation de Gardner, Darnall (1998) propose d'autres recours, y compris un temps de compensation lorsqu'il y a ingérence dans le calendrier de l'enfant, des déclarations d'outrage au tribunal et l'incarcération du parent aliénant. Il appuie la proposition de Gardner voulant que, dans les cas les plus graves, l'autorité parentale soit transférée à l'autre parent. Mason (1999) s'inquiète de la manière dont l'enfant pourrait interpréter de telles mesures. Des inquiétudes sont aussi exprimées quant au fait que Gardner préfère un thérapeute unique à une approche d'équipe (Etemad, 1997).
Bon nombre de chercheurs et de cliniciens rejettent les recours de Gardner et les qualifient de radicaux, punitifs et limitant la possibilité d'une relation significative (Bruch, 2001; Freckleton et Selby, 2002; Johnston, 2001; Murray, 1999). Wall et al. (2002 : 90) notent que, selon les témoignages des services consultatifs des tribunaux de la famille et des enfants au cours de consultations effectuées au Royaume‑Uni, lorsque les interventions ne réussissent pas à provoquer des changements dans de telles situations, il vaut mieux tenter de faciliter une forme ou une autre de contact indirect que d'infliger des amendes ou l'emprisonnement ». Johnston (2001 : 15) maintient que les interventions musclées de ce genre, de la part des tribunaux :
... comme les amendes, l'emprisonnement, le transfert de la garde et les visites forcées, ont de faibles chances de transformer les relations familiales. En fait, elles risquent de durcir les litiges familiaux et d'enraciner chez les enfants et les adolescents une amertume qui se traduit par une résistance tenace et un mépris du système judiciaire et des spécialistes qui y travaillent.
Wall et al. (2002 : 97) ont adopté une position vigoureuse sur cette question : « ... non seulement les amendes et l'incarcération sont-elles des méthodes brutales d'exécution des lois, mais elles sont totalement inadéquates comme moyens de régler le problème »
.
Warshak (2000a) note que les modèles de Gardner ainsi que de Kelly et Johnston sont tous deux fondés sur l'expérience clinique et appuyés par la documentation, mais qu'ils manquent de recherches empiriques. La différence principale, croit‑il, réside dans les interventions proposées. Bruch (2001 : 543) est d'accord sur l'amélioration scientifique que leur travail représente, mais elle est d'avis qu'ils « ... vont au‑delà de ce que permettent leurs données en faisant des recommandations d'intervention judiciaire élargie, coercitive et très intrusive »
. Elle soulève plusieurs objections. Tout d'abord elle remet en question l'hypothèse implicite voulant que toutes les difficultés interpersonnelles sérieuses peuvent être aplanies par une intervention en santé mentale. À son avis, la proposition de Kelly et Johnston traite les compétences
parentales après le divorce d'une façon plus intrusive et provoque l'essor d'une « industrie du divorce »
pour les spécialistes en la matière.
La préoccupation de Bruch reflète l'idée de Wallerstein et al. (2000) selon laquelle les interventions qu'ils qualifient de « trop zélées »
sont inappropriées étant donné que les alignements sont transitoires. Bruch affirme que Kelly et Johnston n'ont pas tenu compte pleinement de toutes les hypothèses sous‑jacentes au rôle assumé par les tribunaux et les spécialistes en santé mentale lorsqu'il y a des litiges sur les régimes parentaux ou des difficultés de contact. Elle soulève d'autres questions importantes au sujet des recommandations d'intervention et de la formulation de Kelly et Johnston, se demandant notamment si :
- elles dépassent l'intention et la portée de la loi actuelle;
- les coûts des litiges et des interventions pénalisent les parents moins fortunés;
- l'intérêt supérieur de l'enfant peut être servi sans intervention judiciaire;
- la nature consensuelle ou non consensuelle des arrêtés judiciaires est respectée.
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