Gérer les difficultés de contact : une approche axée sur l'enfant

2003-FCY-5F

1.0 INTRODUCTION

1.1 Contexte

Au Canada comme dans des pays comparables (Australie, Nouvelle‑Zélande, Royaume‑Uni et États‑Unis)[1], le nombre de familles ayant subi un divorce[2] a augmenté considérablement depuis les années 1970 (Furstenburg, 1990; Nicholson, 2002b; Statistique Canada, 2002a, 2002b; l'Institut Vanier de la famille, 2000). Les chercheurs ont porté une grande attention à l'étude des répercussions du divorce sur les enfants (Emery et Kelly, 2002; Emery, 1994; Freeman, 1995; Gold, 1992; Hetherington, 2002; Kalter, 1990; Kelly, 2000; Wallerstein et Kelly, 1985; Wallerstein et al., 2000). Plusieurs thèmes importants se dégagent de trois décennies de recherche vouée à comprendre et à atténuer ces répercussions. Trois variables en particulier sont souvent mentionnées comme éléments contribuant au résultat sur l'enfant : le conflit parental constant, les compétences parentales et la création d'une relation positive enfant-parents après le divorce.

Le fait de se concentrer sur les besoins des enfants a influé sur le déroulement clinique et judiciaire des cas au Canada (Cossman et Mykitiuk, 1998; Freeman, 1998). La législation fédérale et provinciale actuelle requiert que le critère de décision concernant les enfants dans les familles après le divorce soit l'intérêt supérieur de l'enfant. Cependant, d'après Smith et Gollop (2001 : 30), « ... bien que l'on ait toujours tenu compte de "l'intérêt supérieur de l'enfant" dans le contexte judiciaire après le divorce, cet intérêt supérieur a presque toujours été fortement dominé par des hypothèses professionnelles quant à ce qui est bon ou mauvais pour lui... ». Les résultats des recherches en science sociale, tels ceux cités ci‑dessus, ont sans aucun doute orienté les modifications de 1986 à la Loi sur le divorce. Par exemple, l'article 16 requiert que « ... le tribunal applique le principe selon lequel l'enfant à charge doit avoir avec chaque époux le plus de contact compatible avec son propre intérêt et, à cette fin, tient compte du fait que la personne pour qui la garde est demandée est disposée ou non à faciliter ce contact » (gouvernement du Canada, 1986). On qualifie souvent ces dispositions de principe du contact maximum.

Malgré les changements législatifs et le fait que l'on comprenne mieux l'incidence du divorce sur les enfants, les litiges liés au divorce se poursuivent. Cossman (2001 : 183) nous rappelle ceci : « ... aucune réforme du droit ne pourra éliminer tous les conflits entre les parents qui se séparent et divorcent ». Par exemple, les changements à la législation australienne de la famille ont suscité des défis alors que parents et tribunaux tentent d'atteindre la vision d'une responsabilité parentale continue, tout en réduisant les conflits qui interviennent entre les parents qui divorcent. Le maintien d'un contact continu a fréquemment exposé les enfants à une aggravation du conflit parental (Sheehan, 2000).

Bien que l'importance de la relation enfant-parents pour le bien‑être des enfants soit généralement acceptée, il est en général difficile de forger et d'appuyer des relations qui bénéficient aux enfants dans la famille après le divorce. Dans la documentation, les problèmes qui surviennent dans les relations enfant-parents après le divorce sont de plus en plus qualifiés de difficultés de contact[3]. Certains auteurs affirment que, malgré l'importance de cette relation, il peut y avoir des situations où le contact continu n'est pas avantageux pour l'enfant (Hewitt, 1996). Par exemple, si la sécurité physique ou psychologique de l'enfant ne peut être assurée, des contacts supervisés pourraient être appropriés. L'identification et la gestion des difficultés de contact amènent souvent des fournisseurs de services, des avocats et les tribunaux à intervenir. Depuis 1975, une abondante documentation a vu le jour dans ce domaine. Le débat entourant les difficultés de contact s'est polarisé par suite de l'expression de leurs positions respectives par les auteurs et les groupes de pression. Les interventions bien intentionnées des spécialistes judiciaires ou des services reflètent souvent les propos prévalents dans la documentation populaire et spécialisée et ne correspondent pas toujours à l'intérêt supérieur des enfants.

1.2 Portée du présent projet

Les termes « aliénation parentale » et « syndrome d'aliénation parentale » sont de plus en plus utilisés devant les tribunaux (Williams, 2001). En conséquence, le ministère de la Justice a demandé aux auteurs de fournir une évaluation critique de cette documentation afin de déterminer si l'aliénation parentale est un concept utile et généralement accepté. Étant donné l'accent placé par le gouvernement du Canada sur sa stratégie du droit de la famille axé sur l'enfant (ministère de la Justice, 2002; gouvernement du Canada, 2002), annoncée récemment, on nous a aussi demandé de fournir de l'information au sujet des interventions fondées sur des éléments probants qui correspondent à l'intérêt supérieur des enfants.

Notre examen initial de la documentation a révélé l'existence d'une gamme de problèmes dans les relations enfant-parents après le divorce. L'aliénation, qui ne représente qu'un aspect de la nature complexe de ces relations, est souvent la forme extrême d'une hostilité constante entre parents séparés. Lorsque les enfants deviennent aliénés d'un parent, l'hostilité qu'ils ressentent se traduit souvent par une opposition forte et tenace à ce parent. En conséquence, le ministère de la Justice a accepté d'élargir sa demande initiale pour que nos travaux englobent ce que nous appelons les difficultés de contact. Nous sommes d'avis que ces difficultés sont un phénomène qui fournit une image plus complète des enjeux pour les enfants et des façons de répondre à leurs besoins.

1.2.1 Que sont les difficultés de contact?

Le terme « difficulté des contacts » signifie plus que la simple aliénation et les comportements aliénants; il représente plutôt tout changement néfaste dans la relation enfant-parents après le divorce. Il y aurait difficulté de contact lorsque les occasions où un parent et un enfant se voient ou échangent sont moins fréquentes ou moins satisfaisantes qu'avant la séparation du couple. La dynamique des difficultés de contact est complexe et nécessite un examen minutieux des facteurs liés à l'enfant, à ses parents et à la situation de la famille après le divorce. Dans certains cas, des relations minimales ou inexistantes enfant‑parent correspondent à l'abandon de l'enfant par un parent. Les difficultés de contact peuvent aussi témoigner de la résistance de l'enfant à passer du temps avec un parent. Les conflits parentaux constants peuvent entraver la capacité d'une famille à développer de bonnes relations enfant‑parent. Stoltz et Ney (2002) signalent que des enjeux systémiques tels que les litiges et le règlement antagoniste de conflits peuvent aussi créer des difficultés de contact ou les perpétuer.

1.2.2 But du présent mémoire

Le présent document de travail décrit les enjeux essentiels entourant les difficultés de contact. En particulier, nous y examinons le concept souvent qualifié d'aliénation parentale (AP) ou de syndrome d'aliénation parentale (SAP). Nous résumons la pensée spécialisée actuelle et la recherche sur les besoins des enfants et les difficultés de contact enfant-parents dans la famille après le divorce. Dans le cadre de cette étude plus générale, nous résumons aussi la compréhension actuelle du terme « aliénation parentale » et établissons s'il y a consensus autour de la définition de ces étiquettes et de leurs effets sur la relation de l'enfant avec ses parents.

Le chapitre 1 décrit la méthode employée pour examiner la documentation et interroger les informateurs clés. Le chapitre 2 énonce les questions d'importance entourant les difficultés de contact et, entre autres, les avantages des contacts ou les risques qui en découlent pour les enfants, les facteurs qui influent sur les contacts, le point de vue de l'enfant au sujet des contacts, la prévalence des difficultés de contact et les principales formulations de la compréhension de ces difficultés (Gardner, 1992; Johnston, 1993 et Kelly et Johnston, 2001). Le chapitre 2 fait aussi état de certaines critiques à l'endroit de ces formulations. La recherche concernant l'aliénation est résumée au chapitre 3 et le chapitre 4 décrit les conséquences d'une solution axée sur les enfants aux difficultés de contact et les voies stratégiques possibles pour un système de droit de la famille axé sur les enfants. La conclusion est présentée au chapitre 5.

1.3 Méthode

De nombreux débats ont porté sur les sources de difficulté entourant les relations enfant-parents dans la famille après le divorce, sur la terminologie décrivant ces relations difficiles et sur les interventions cliniques et judiciaires appropriées. Birks (1998 : 15) note ce qui suit : « ... il semble qu'il y ait des modes dans les théories et, parfois, les théories prévalentes semblent s'entrechoquer ». Nous n'avons pas abordé cette recherche avec une définition préconçue du SAP et nous n'avions pas de position quant à savoir si la définition de ce terme respecte les critères de preuve exigés dans les systèmes internationaux généralement acceptés de classification des diagnostics. Nous avons plutôt puisé à l'abondante documentation et aux entrevues d'informateurs clés pour recueillir des définitions à examiner et à peser.

À partir d'une étude préalable de la documentation effectué par un des auteurs (Freeman, 1998), nous avons examiné des livres et des publications à comité de lecture par les pairs en droit et en sciences sociales, remontant jusqu'à 1995. Les mots clés utilisés dans cette recherche comprenaient : enfants et divorce, aliénation parentale, aliénation, alignement, garde, accès et visite. Une recherche sur l'Internet à l'aide des mots clés aliénation, aliénation parentale et syndrome d'aliénation parentale a aussi été entreprise à l'aide des moteurs de recherche Metacrawler et Google.

Notre préférence est d'utiliser un vocabulaire qui respecte les enfants et leurs relations avec leurs parents. Cependant, pour assurer une représentation exacte de la documentation, nous avons repris le vocabulaire relevé chez la source même dans les renvois aux travaux d'un auteur. Par exemple, le terme « relation de visite », de Wallerstein (1985), est utilisé dans notre étude sur ses travaux. Nous reprenons le terme parent « n'ayant pas la garde » au sujet des travaux de Racusin et al. (1994). Les termes « parent ciblé » et « parent aliénant » de Gardner sont utilisés à l'égard des travaux de cet auteur.

Notre examen initial de la documentation a révélé que la recherche concernant le SAP était limitée. Puisqu'il n'est pas rare qu'une nouvelle recherche prenne jusqu'à deux ans avant de paraître dans une revue à comité de lecture par les pairs, une consultation des informateurs clés du domaine du droit et des sciences sociales a été entreprise pour compléter l'examen de la documentation. Outre les informateurs canadiens, le processus de consultation s'est étendu aux informateurs clés de quatre autres pays : les États‑Unis, l'Australie, la Nouvelle‑Zélande et le Royaume‑Uni. À l'annexe A figure la liste des informateurs clés. À l'aide d'un échantillonnage ciblé, nous avons contacté des chercheurs, des médiateurs, des universitaires et des spécialistes éminents des disciplines du droit et de la santé mentale. Nous avons aussi obtenu de l'information plus récente au sujet des points de vue clinique et judiciaire de chercheurs spécialisés sur cette question. L'annexe B résume les définitions publiées que le processus d'examen de la documentation a permis de recueillir.

Au cours des entrevues (voir l'annexe C), nous avons fourni aux informateurs clés l'occasion de nous dire comment ils définissaient le concept du SAP et de nous dire ce qu'ils pensaient de la prévalence des difficultés de contact, des raisons pour lesquelles ces difficultés sont présentes à divers degrés dans les familles et des facteurs qui pourraient servir à les prévoir. Nous avons tenté de savoir si, d'après eux, l'âge d'un enfant influençait les difficultés, quelle incidence les antécédents en matière de violence et d'abus avaient sur les relations et quel rôle jouaient la famille élargie et les autres parties intéressées. Nous avons discuté de l'utilité du concept du SAP, à savoir s'il peut être considéré comme un syndrome, et de la réussite d'interventions particulières d'ordre judiciaire et clinique. La prise en compte de l'opinion des enfants dans l'identification et la résolution des difficultés a aussi été étudiée. Enfin, nous leur avons demandé de suggérer des orientations et des pratiques, de même que des sujets de recherches futures.